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Citations de Kapka Kassabova (171)


Les différents âges de la femme se présentent et s'enfoncent dans la vapeur. Leurs corps s'évanouissent peu à peu. Des corps qui ont donné la vie, subi le bistouri, trimé des décennies derrière leur machine à coudre, planté et déplanté des potagers, émigré, puis sont revenus, qui ont encaissé les coups puis l'abandon de leur mari et de leurs enfants, épuisés, immobiles sur des lits étriqués avec pour seule compagnie le vacillement du téléviseur dans le coin de la pièce et les souvenirs d'amours anciennes. Sous le verre crasseux du dôme, avec ce goutte-à-goutte incessant, ces réminiscences glougloutantes, ce savoir que renferme le corps se propageait par vaguelettes à travers chacune de nous, comme si nous ne formions qu'un seul et unique organisme. Plic, plic, plic. Dans le bassin des dames, nous sommes jeunes et vieilles à la fois.
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Ma grand-tante, sa voisine, avait un jardin vivrier sous la vigne ombrageant sa cour, ainsi que des poulets et des chèvres dans sa grange. Ah, le frisson matinal de dénicher des oeufs bien cachés, l'odeur de la grange et des roses ! Chez elle, il y avait une pièce où l'on stockait et transformait la nourriture. Des bocaux de yaourt fermentaient pendant la nuit, emballés dans du papier journal, du fromage frais s'égouttait dans des torchons, des cagettes de pomme reposaient en prévision de l'hiver, du sirop de sureau pétillait en bouteille, et des rayons de miel dégoulinaient sur des plateaux. Elle était toujours affairée près d'une casserole bouillonnante ou d'un plan de travail où elle étalait la pâte, montait la mayonnaise avec des oeufs chauds et épluchait des légumes encore terreux pour les rôtir au four. Nous la regardions, subjugués, métamorphoser les machins peu ragoutants arrachés au sol en autre chose, telle une laborantine. Et les mixtures devaient sans cesse être goûtées, bien sûr. Puis venait la préparation des conserves, en début d'automne, un rite saisonnier lors duquel elle trônait, majestueuse, sur une chaise grinçante près d'un chaudron, à faire bouillir les bocaux pleins de bonnes choses avant de les fermer hermétiquement. Elle était comptable en semaine, gardienne des trésors de la terre le week-end. Nourrir était son talent, et bien qu'elle n'ait pas eu d'enfants, elle était une vraie mère pour nous tous.
Ainsi naquit mon enchantement pour la terre comestible.
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Les fibres organiques s'entremêlaient avec les paillettes industrielles. Des tabliers en laine peints par des aïeules avec des pigments de mousse se superposaient avec des tissus colorés à la teinture chimique achetés 2 dollars dans un bazar. Leurs visages étaient ceux de couturières. Des femmes qui avaient rapiécé les vies qu'on leur avait volées, un fragment après l'autre.
Et à présent elles cousaient en plus les vêtements de tout le monde, ici même aux Bouleaux, afin que le reste du continent puisse les acheter le samedi - jour de labeur pour la couturière - dans les rues branchées des grandes villes, ornés d'étiquettes destinées à justifier leur prix exorbitant, enveloppés dans du papier de soie, puis déposés dans des sacs ornés de lettres dorées en relief que les acheteurs rapportaient à la maison tels des chasseurs-cueilleurs fous ayant oublié depuis belle lurette l'art de la chasse et de la cueillette et ne sachant plus que consommer.
Chaque fois que je vois une étiquette de vêtement "Fabriqué en UE", le visage d'une femme des Bouleaux m'apparaît.
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Le soleil couchant illuminait le mur du Pirin. L'air était si doux que j'aurais pu le boire, comme une potion. Un après-midi, l'air se troubla et revêtit une teinte sépia, la montagne se fit plus lointaine, et l'atmosphère poignante, comme si nous avions été parachutés dans le passé sans préambule.
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Nous avons perdu deux choses essentielles à notre bien-être : le silence et l'obscurité. Nos systèmes nerveux sont pollués par le bruit et les lumières électriques. Les mieux lotis pratiquent la "thérapie en chambre noire" et les retraites silencieuses. Il faut désormais acheter le silence et l'obscurité car le monde civilisé ne les procure pas gratuitement. Il nous apprend à avoir peur du noir et du silence. Et pour compenser notre peur, il nous divertit à coup de bruit et de lumière. Le bruit et la lumière viennent combler le vide laissé par le sens et la puissance perdus. Ce sont les idoles qui remplacent le sacré. Nous sommes prisonniers de notre civilisation, torturés par les stimuli, incapables de nous reposer.
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Nous quittions la maison de bon matin, sacs en bandoulière, et passions la journée à glaner des orties, dont elle se frottait ensuite les doigts pour soulager son arthrite, avant de les préparer en beignets. Nous mangions à même les branches les mûres et les griottes qui tachaient nos habits, nous récoltions des fleurs de tilleul et de sureau qui me faisaient éternuer, et elle s’asseyait pour tricoter des napperons informes, dans une forêt de pins, tandis que je ramassais les glands de la saison passée pour réaliser des figurines informes, à l'aide de colle. Chez elle, il y avait un lit où des herbes séchaient sur du papier journal, et elle était toujours en train de mâcher quelque chose tout juste sorti du sol.
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Ayshe and her sisters didn’t speak Turkish. They only found out they were ‘Turks’ when the police knocked on their door –impossible not to think of yellow stars. The exodus of three hundred and forty thousand people with families, futures, and sometimes bodies broken by their own State was the largest movement of people in Europe since World War II. And it happened in peacetime.

Ayshe et ses sœurs ne parlaient pas turc. Elles apprirent qu'elles étaient turques quand la police frappa à leur porte- comment ne pas penser aux étoiles jaunes. L'exode de 340000 personnes avec familles, futures et même les corps brisés par leur propre État a été le plus grand mouvement d'expulsion en Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et cela arriva en temps de paix.

*340000 turcs vivant depuis des siècles en Bulgarie furent expulsés de force par le gouvernement bulgare, suite à la chute du communisme et le peu qu'ils possédaient ne leur fut pas permis d'emporter avec.
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Tout se produit deux fois. Une fois en tant que fragment de vie et une seconde fois sous forme de souvenir...ou d'oubli.
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Pour qui n'a pas coutume de dormir sans toit, l'expérience est renversante. Car, sous les astres, il n'existe aucune frontière entre le sommeil et la conscience. Je rêvais que j'ouvrais les yeux pour découvrir des millions d'étoiles. Jamais je n'vais vu tant d'étoiles, hormis un soir d'hiver dans l'archipel des Hébrides, sur l'île d'Uist. Je flottais, allongée, au-dessus de la vallée, effarée par ma piètre connaissance des étoiles, ma piètre connaissance de tout. Je suis incapable de saisir où je suis et ce que je suis par rapport aux astres. Ils m'appellent de leurs voix célestes, je me lève et m'appuie contre la balustrade en bois, le sureau me caresse le bras. En bas, dans la vallée, les lumières de la ville scintillent tels des vers luisants dans une grotte.
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C'était une maison ordinaire et délabrée comme on en voit partout dans les villages, avec un muret en pierre bas, des sabots en plastique dans l'entrée et une vitre brisée remplacée par un pan de carton. Du jardin émanaient les murmures des roses et de ces petites pommes précoces qui vous emplissent la bouche d'amertume quand vous les croquez. De l'eau-de-vie de prune artisanale fermentait dans des cuves de 100 litres non loin du robinet extérieur. Les effluves boisées des tomates cœur de bœuf m'assaillirent dès le portail, à l'instant où je tendis la main pour l'ouvrir.
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Le soleil déclinait sur la vallée, émaillant tout d'un liseré vermeil. Les splendides sommets à l'ouest et à l'est, les champs calcinés piqués de chardons hauts comme un humain, où une jument et son poulain avaient cessé de brouter, comme alertés par un bruit lointain, même la route criblée de nids-de-poule, tout étincelait d'une chaleur dorée. Le silence était celui de l'humanité partie faire un long somme. Les grillons accordaient leurs élytres en vue du concert vespéral.
(Incipit)
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La lune semblait pétrie de beurre baratté. Je sentais la sève monter dans les pins, comme le sang afflue vers l'épiderme. Aux phases de pleine lune, tout ce qui est là est doublement là.
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Nourriture de berger

Lait de brebis, cru.

Faites mijoter jusqu'à épaississement sans cesser de remuer. Buvez chaud ou froid. Il est dense et truffé de mottes crémeuses. Il a le gout des bois, des herbes sauvages et de la laine, des saisons et des levers de soleil déployés à perte de vue, d'une chose qu'on ne sait plus nommer.

Si tu en bois le matin, tu n'as pas faim de la journée, tant il est nourrissant, affirmait Shefket. Protéines et graisse pures. Ta consommation baisse drastiquement, mais tu as tous les apports nutritifs qu'il te faut. C'est ainsi que les bergers emmagasinaient de la force pour tenir jusqu'au soir pendant la saison de la traite. Tu sens le gout des 36 herbes et plantes que broutent les brebis ? Certaines sont uniques et ne poussent que dans le Pirin. Et le Pirin est, comment l'expliquer ? Infini. Pas du tout comme la vie humaine.
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Les pins se refermaient sur nous de toutes parts, tel un mur vivant, et bien que l'hôtel se trouvât au sommet de la route, il était également au fond de quelque chose. Une simple barrière en pin représentant une créature hybride mi-serpent, mi-dragon le séparait de la forêt. La lune était suspendue dans le ciel, énorme et crémeuse comme le beurre, au dessus des conifères au contours acérés. La chaleur du jour s'était dissipée et l'air était frais sur la peau. Le silence de la forêt faisait l'effet d'un puits où il n'y aurait rien d'autre que le son - limpide et parfait, s'élevant pour effleurer notre visage - de l'eau de source.
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The house was an ordinary, run-down village affair with a low stone fence, rubber galoshes in the doorway, and cardboard in place of a broken window. The garden whispered with roses and small early apples that fill your mouth with bitterness when you bite into them. Home-made plum brandy fermented in hundred-litre tubs by the outdoor tap. The woody smell of the bulbous sweet bull’s heart tomatoes hit me from the gate when I reached in to open it.
La maison était une bicoque décrépite, avec une basse palissade en pierre, des galoches en caoutchouc devant la porte, et un morceau de carton fixant une vitre cassée. Le jardin murmurait avec des roses et des pommes nouvelles dont un morceau croqué laissait un goût amer dans la bouche. De l'eau de vie de prune fait maison fermentait dans des tubes de cent litres à côté du robinet du jardin. Le parfum boiseux des tomates cœur de bœuf bulbeuses me frappa dés la porte du jardin quand j'avançais pour l'ouvrir.
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Entrer dans leur entrepôt, c'était comme pénétrer dans un temple. La première chose qui vous saisissait, c'était l'odeur. Un parfum chargé, celui d'une terre grouillante de lombrics, de racines qui susurraient, de bourgeons fripés qui ressuscitaient au contact de l'eau, de pétales séchés qui vous faisaient tourner la tête avec leur phéromones, et de baies luisantes l'air tout à fait anodin quand vous les fouliez aux pieds dans la forêt, mais capable de vous intoxiquer ou de vous sauver la vie, selon la dose ingérée. Un parfum d'être végétaux, antiques et immuables. Un parfum qui disait : "Arrête-toi et ôte tes chaussures", ou encore "Viens, entre donc, entre donc".
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C'est arrivé à mi-parcours. Sur les hauteurs du massif des Rhodopes, à la frontière gréco-bulgare, une route sinueuse gravissait la gorge et, au sommet, à l'endroit où elle s'achevait, était perché un ultime village fantôme, avec ses fenêtres dépouillées de leurs vitres et sa fontaine en pierre tarie. Plus personne n'habitait là. Au-delà de la route et du village, des forêts de chênes en guise de no man's land. Nous pensons quitter ce monde sans jamais nous frotter au surnaturel, sauf dans les films, mais ce jour-là, dans ce patelin, je vécus quelque chose qui emplit mon cœur d'effroi. Je ne sais toujours pas si ce qui s'est produit était "réel", mais les sentiments suscités en moi m'habitent toujours.
(incipit)
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Kapka Kassabova
La vraie vie des hommes et des femmes, c'est celle que vous ne voyez pas.
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La forêt à proprement parler ne commençait qu'ici. La montagne était si vivante que son intense présence se buvait telle une potion. Évoluer à travers une montagne boisée où l'on ne discerne rien d'autre que le chemin sous nos pieds n'a rien à voir avec arpenter un paysage dénudé dont l'œil peut tout savoir. On peut voir venir de loin la moindre créature, la moindre intempérie. Le chemin devant et derrière nous se déroule tel un tapis. Dans la forêt, différentes forces sont à l'œuvre. Une rumeur vous entoure, des yeux partout, des formes qui ressemblent à d'autres formes, des mouvements peut-être esquissés par la danse du soleil sur la mousse. Peut-être pas. Et tout à coup une biche surgit et vous scrute comme l'œil de Dieu.
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Quand un village perd ses spécialistes de la terre, il devient un Village vide. Le lien entre nature et culture se défait. Il se mue en station touristique, en banlieue satellite, ou redevient sauvage ; un endroit ni cultivé, ni totalement en friche, jalonné de maisons en ruine, de vieillards au cœur brisé et de jeunes illetrés venus des hameaux voisins en quête de quelque chose à vendre, recycler ou voler.
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