Recommandation #23 Treize marches de Kazuaki Takano
Thriller étranger (Japon) - 4,22/5
Un condamné à mort s'avoue coupable sans disposer de souvenirs par rapport à ce qu'on peut lui reprocher. Une réminiscence dans le couloi
D'un côté, les japonais veulent punir de mort les criminels foncièrement inhumains, de l'autre, ils voient d'un œil mauvais ceux qui parlent ouvertement de le faire. C'est ça qui est sournois chez ce peuple qui cloisonne autant ce qu'il pense et ce qu'il montre aux autres.
Être condamné à la peine capitale, c'est avoir déjà disparu de ce monde.
Il marchait avec le même collègue dans l'enceinte du centre de détention lorsqu'ils tombèrent sur une petite construction de couleur ivoire qui se dressait au milieu d'un bosquet. Elle avait le charme d'une maison de gardien dans un parc forestier.
— Qu'est-ce-que ce bâtiment ? demanda innocemment Nangô.
— Le lieu d'exécution.
Malgré lui, Nangô s'immobilisa. C'était donc là qu'on pendait les condamnés. La solide porte métallique évoquait un conte pour enfants cruel.
— Une fois qu'on a été en taule, on ne peut plus porter de montre. Ça rappelle trop les menottes.
Comme l'avait proclamé un penseur chinois du IIIè siècle avant notre ère, l'humain est une créature qui "ne peut manquer de se battre dès lors qu'il éprouve le manque".
Jun'ichi posa une question qui le taraudait depuis longtemps :
- Est-il vraiment possible de juger du repentir d'autrui ? Est-ce que quiconque peut savoir si un criminel se repend sincèrement ?
Un léger sourire aux lèvres, Sugiura répondit :
- La jurisprudence montre que les critères de jugement sont nombreux : si les indemnités accordées à la famille de la victime sont importantes ou non, si l'accusé a versé des larmes devant la cour, s'il a monté un autel dans sa cellule et s'il prie devant tous les jours...
- Honorer l'âme de la victime ne la fera jamais revenir. Et puis, si on est jugé sur ce genre de choses, cela veut dire que les riches à la larme facile s'en sortent mieux que les autres, non ?
La Mort arrive à neuf heures du matin.
Ryo Kihara le savait. Une fois seulement, il avait entendu ses pas.
Ce jour là, il avait d'abord perçu le bruit sourd d'une porte en métal grinçant sur ses gonds, semblable au grondement de la terre. Quand l'air avait cessé de vibrer, l'atmosphère dans sa cellule avait changé du tout au tout. Les portes de l'enfer s'étaient ouvertes, et le véritable effroi, celui qui ne laisse pas même le corps frémir, s'en échappa.
Le couloir silencieux résonna bientôt d'une multitude de pas : une file de gardiens avançait, plus longue et plus rapide que Kihara ne l'aurait imaginé.
- Ne vous arrêtez pas !
Le prisonnier était incapable de regarder la porte. Assis, comme il se doit, à genoux au milieu de sa cellule de confinement, il fixait ses doigts tremblants sur ses cuisses.
- Ne vous arrêtez pas, par pitié !
Une puissante envie d'uriner afflua dans son bas ventre. Plus les pas approchaient, plus ses genoux tressautaient. Il ne pouvait empêcher sa tête trempée de sueur de s'incliner vers le sol.
Le bruit des semelles battant les carreaux du couloir s'intensifia. Jusqu'à atteindre sa cellule. En quelques secondes, son cœur sur le point d'éclater fit circuler son sang à une vitesse folle, au même rythme que ses poils se dressaient sur sa peau.
La procession ne s'arrêta pas.
La Mort dépassa sa porte, fit encore neuf pas, puis marqua l'arrêt.
Le temps de comprendre qu'il avait la vie sauve, Kihara reconnut le glissement d'une trappe de surveillance, puis le cliquetis d'un verrou métallique. Il devait s'agir, non pas de la cellule voisine, mais e la suivante. Une voix grave appela :
"Numéro 190, Ishida"
La voix du surveillant-chef ?
"C'est l'heure. Sors."
En guise de réponse, un cri affolé.
"Hein ? Moi ?
- Oui, suis nous."
Honorer l'âme de la victime ne la fera jamais revenir. Et puis, si on est jugé sur ce genre de choses, ça veut dire que les riches à la larme facile s'en sortent mieux que les autres, non?
Eisenhower avait prévu que les choses évolueraient de la sorte. Lors de son ultime discours présidentiel, il avait averti les citoyens du danger que représentaient les complexes militaro-industriels, mais il ne fut pas écouté. Tant qu'il existait, un peu partout dans le monde, des firmes pour tirer des bénéfices des guerres, il n'y aurait aucune raison pour que celles-ci cessent un jour d'éclater.
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Si la valeur de la vie d'un criminel est inversement proportionnelle à la gravité de son crime, dans ce cas... Un frisson lui parcourt l'échine. Dans ce cas, sa vie à lui, qui s'était rendu coupable de coups et blessures ayant entraîné la mort, était-elle à ce point déniée de valeur ?
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