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Citations de Laura Poggioli (95)


[…] ce qui se passait dans l’intimité de la pensée était particulièrement difficile à appréhender en Russie, parce qu’on parlait d’un peuple qui avait vu ce territoire sacré violé pendant plus de sept décennies — le totalitarisme étant une violence que nous, qui ne l’avons pas vécue, ne pouvons pas nous représenter. En Union soviétique, l’État était entré dans la tête des hommes et des femmes, niant à l’individu le droit d’exister pour lui seul. On avait fusillé les aristocrates, les bourgeois, les propriétaires, les religieux. Ensuite, il avait fallu rééduquer tous les autres, leur apprendre ce que l’on attendait d’eux désormais, enlever de leurs crânes ce qui pouvait résister, détruire des livres, empêcher les poètes et les romanciers d’écrire et les artistes de créer librement, parce qu’il n’y avait plus qu’une vérité.
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Je m’étais dit que je devais raconter cette histoire, mais pas seulement. Je voulais raconter tout ce qui foutait le camp en Russie, sans mettre de côté tout ce que j’y aimais, tout ce qui me remuait, tout ce qui était beau au-delà des préjugés et des on-dit
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« Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon. » Je connaissais la phrase liminaire d'Anna Karénine par cœur depuis l'adolescence mais j'en mesurais maintenant la portée.
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Dans cette Russie où j’habitais alors, la sécurité que je ressentais dans l’espace public différait en tout point de la violence que je vivais de plus en plus souvent avec le garçon que j’aimais.
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Ces réactions sont liées à la grande Histoire, à la place des femmes dans la société. Ludmilla Ouliitskaia, grande voix de la littérature russe, en a parlé longtemps à un journaliste, reprenant à peine son souffle, assise sur le canapé de son grand et lumineux appartement. "Les femmes russes ont obtenu le droit de vote en 1917, quand les françaises ont attendu 1944. Elles ont bénéficié de plus d'égalités qu'elles n'auraient voulu, forcées à des travaux qu'aucune femme ne faisait généralement: elles ont construit des routes, des voies de chemin de fer, ont travaillé dans les usines pendant la guerre, fabriqué des armes... Alors qu'en Occident les femmes se battaient pour avoir les mêmes droits que les hommes, les femmes russes rêvaient de n'avoir qu'à élever leurs enfants avec un homme pour s'occuper d'elles! La faible popularité du féminisme vient de ce paradoxe. (p.145)
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Je me disais: je ne suis faite que pour le désir qu’on cache parce qu’on en a honte, pas pour l’amour qui se vit au grand jour.
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Mais ce qui se passait dans l'intimité de la pensée était particulièrement difficile à appréhender en Russie, parce qu'on parlait d'un peuple qui avait vu ce territoire sacré violé pendant plus de sept décennies - le totalitarisme étant une violence que nous, qui ne l'avions pas vécu, ne pouvions pas nous représenter.
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Un jeune homme a même créé, sur le réseau social Vkontakt, un groupe réunissant des personnes qui réclament la condamnation des soeurs Katchatourian au maximum requis en Fédération de Russie. "Les filles ont bien pu raconter ce qu'elles voulaient pour attirer la pitié et justifier leur crime." Peu importent la quantité de témoignages validant leurs dires, les résultats de l'enquête et les expertises. Pour ce même jeune homme, le mouvement #Metoo était une saleté venue des pays occidentaux. C'est ce que la majeure partie de la société pensait, raillant le bien fondé des accusations à l'encontre du producteur hollywoodien Harvey Weinstein. (p.144)
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En Russie, il y avait ce proverbe qui disait "Biot - znachit lioubit - s'il te bat, c'est qu'il t'aime", et les proverbes, c'est comme le passé : quand on ne sait plus où on va, on s'y agrippe pour se persuader qu'on est du bon côté.
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Pour beaucoup, un meurtre restait un meurtre et une victime de violences avait toujours la possibilité de partir. Les foyers d'accueil sont inexistants, les associations submergées, mais qu'à cela ne tienne: quand on veut, on peut.
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L'esprit humain trouve toujours une façon de contourner l'adversité. De très nombreux Russes avaient commencé à recopier des textes à la main dans des petits cahiers qu'on se passait de foyer en foyer. Les proches des poètes apprenaient leurs vers par cœur, pour que, si ces petits cahiers venaient à disparaître, les vers restent imprimés dans la mémoire d'au moins un être humain, voire de plusieurs, car n'importe qui alors pouvait se retrouver condamné, envoyé au goulag, pour dix ans, vingt ans.

Dans la violence totalitaire, l'intime n'existait plus. On avait d'abord décidé de nationaliser toutes les propriétés et de réattribuer les logements en fonction du nombre de personnes qui y vivaient. On avait appelé cela des appartements communautaires, des komounalki. On collait une famille par chambre, on se partageait la cuisine, la salle de bains, il n'y avait plus aucune intimité, et pour avoir des rapports sexuels hors du regard des enfants et des voisins, on pouvait toujours s'enfermer dans les toilettes. Et puis, évidemment, tout le monde s'espionnait. Le plus vil ressortait: ton voisin t'embêtait ? Un petit courrier et c'était réglé. Tu l'avais entendu critiquer le camarade Lénine ou plus tard le camarade Staline ? Alors le goulag, il le méritait. Ou peut-être n'avait-il jamais critiqué le premier secrétaire du Parti ailleurs que dans le secret de son crâne auquel tu ne pouvais pas accéder, mais tant pis pour lui, il n'avait qu'à pas t'ennuyer.
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Fondée par l'activiste Aliona Popova, l'organisation Ti Ne Odna (Tu n'es pas seule) a rendu publiques sur les réseaux sociaux les affaires de meurtre, de tentatives de meurtre et de lésions corporelles auxquelles elle avait accès. Je ressentais le même écœurement à chaque affaire qu'elle partageait. S'il te bat, c'est qu'il t'aime.

C'est sûrement parce qu'il l'aimait que, le 22 septembre 2020, un habitant de Voronej, après une dispute, a incendié la voiture dans laquelle étaient assises sa fille de un an et sa femme. Il a aspergé la carrosserie avec de l'essence et y a mis le feu de l'intérieur avec des briquets. La mère a réussi à ouvrir la portière du véhicule en flammes et à faire sortir sa fille, brûlée au premier degré.

C'est sûrement aussi parce qu'il l'aimait que Sergueï Koukouchkine a violé sa fille d'un an et demi. Et c'est sûrement parce qu'il était le cet amour filial que le tribunal du Tatarstan l'avait acquitté deux fois en 2020, estimant que garant de «l'accusé n'avait aucune envie de satisfaire ses besoins sexuels», faisant fi de l'expertise du médecin ayant examiné l'enfant à l'hôpital et informé la police de la présence de blessures révélatrices d'abus sexuels, et du fait que l'homme ait regardé le jour même une vidéo dans laquelle un homme enfonce son index dans un vagin artificiel.

C'est sûrement enfin parce qu'il les aimait que Mikhail Khatchatourian s'en est pris à ses trois filles. « Les douleurs physiques et psychiques infligées par le père à ses filles pendant des années sont considérées comme des circonstances atténuantes mais on ne peut pas affirmer qu'elles constituent le mobile de l'attaque. Elles ne suffisent donc pas à justifier la prise en compte de la légitime défense. » Les conclusions de l'enquête ont été rendues le 14 juin 2019, près d'un an après le crime: Krestina et Angelina, majeures au moment des faits, devraient être jugées pour « meurtre commis en groupe avec préméditation », un crime passible de huit à vingt ans de prison.
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Quelques jours plus tard, il avait recommencé ses brimades. Les pelmeni étaient trop cuits, je n'avais pas acheté d'aneth pour aller avec la smetana, je n'étais bonne à rien, il fallait tout me dire, qu'avait-il fait pour mériter ça?
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On pouvait tout lui imposer, tout chercher à maîtriser de sa pensée et de ses actes, mais dans les quelques mètres carrés qu’on lui avait donné dans le komounalka du quartier, l’homme rouge pouvait continuer à frapper sa femme: qui l’en empêcherait ?
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S’il te bat, c’est qu’il t’aime.
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Ici, les hommes sont infidèles parce qu'ils n'ont pa speur de perdre leur femme. En revanche, si une femme perd un homme, qui sait si elle pourra un jour en retrouver un.
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En tentant de contrôler chaque pan de l'existence on n'avait fait que creuser les failles de l'intimité. Parce que si, en URSS, on avait construit un homme nouveau, il était resté une zone impénétrable à l'intérieur des foyers: à cet endroit seul, les hommes avaient pu continuer à exercer une forme de domination, de pouvoir, avaient gardé l'ascendant sur leur existence. On pouvait tout lui imposer, tout chercher à maîtriser de sa pensée et de ses actes, mais dans les quelques mètres carrés qu'on lui avait donnés dans le komounalka du quartier, l'homme rouge pouvait continuer à frapper sa femme : qui l'en empêcherait ?
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L'affaire a pris une dimension cathartique : les défenseurs des filles y ont vu l'occasion de purger des siècles de soumission, de tyrannie et de violences faites aux femmes; leurs détracteurs ont craint, quant à eux, de voir se diluer dans un potentiel acquittement des trois sœurs l'essence même des valeurs patriarcales, autoritaires, mais protectrices des affres de la modernité.
Cette affaire a également été cathartique pour moi, tant elle me guérissait de mon rapport aux hommes.
Mon professeur de collège m'avait rendu insipides les relations qui allaient suivre avec les garçons de mon âge. Et puis j'avais perdu confiance. Il m'avait mise sur un piédestal : j'étais la plus intelligente de ses élèves, il me prêtait tous ses livres, il aimait rester des heures à parler avec moi, il passait son bras autour de mes épaules quand on visitait los Reales Alcazares pendant ce voyage scolaire au cours duquel tout le monde avait vu son comportement, sans réagir toutefois, même quand il m'avait serrée toute la nuit contre lui dans l'autobus qui nous conduisait à Séville.
Après, je me dirais souvent que, même dans une relation fondée sur des échanges intellectuels, les hommes n'en voulaient en fait qu'à mon corps: malgré mes diplômes, mon mariage bourgeois, le luxe matériel auquel j'avais accédé, les hommes sentiraient toujours que je n'étais qu'une fille venant de nulle part et qu'eux, les puissants, étaient en mesure de posséder. Je voyais pourtant la sexualité comme un instrument de pouvoir. Je m'étais souvent dit, plus ou moins consciemment, que je pouvais avoir tous les hommes, puisque même le professeur que toutes les filles adulaient était tombé amoureux de moi, et tous les hommes que j'avais voulus après lui, je les avais eus. Mon manque de confiance en moi y trouverait un peu de réconfort, mais au fond de moi je me disais: je ne suis faite que pour le désir qu'on cache parce qu'on en a honte, pas pour l'amour qui se vit au grand jour.
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Quand les violences domestiques ont explosé en France pendant le premier confinement, j'ai vu un reportage sur le sujet. Les voisins s'inquiétaient du bruit dans l'appartement d'à côté, la police arrivait, on entendait la femme pleurer, l'homme hurler, les coups tomber, mais la femme disait aux policiers que son compagnon n'avait rien fait, qu'ils avaient mal compris, que ce n'était pas ce qu'ils croyaient. On ne les balayait pas facilement la honte de soi, la peur des représailles, la culpabilité.
En Russie aussi les violences faites aux femmes ont augmenté durant le confinement, mais aucune étude n'a été faite à ce sujet. La journaliste Nastia Krasilnikova l'évoque dans la série documentaire Khvatit! (Assez!). Dans chacun des six épisodes de cette enquête, l'une des premières du en Russie, elle décortique le sexisme qui imprègne genre réalisées la société, le rôle joué par Internet, les maltraitances sur les enfants, les violences obstétricales, le poids de la religion, les mécanismes de la violence conjugale et de l'emprise psychologique. On n'a pas l'habitude de parler de ces sujets en Russie, ils font partie de ce qui est supposé rester dans l'intimité des foyers.
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Il ne faut surtout pas que le chagrin dépasse, même s'il brûle très fort la gorge, parce que le chagrin c'est comme la peur : quand on le veut vraiment, on peut le garder à l'intérieur.
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