Citations de Laurent Terry (54)
Un bruit de pas le fit sursauter. Il tourna la tête. Une barre de néons faiblards surplombait la zone, mais les détails restaient dans l'ombre. Il discerna pourtant la silhouette d'une femme suivie de quatre types. Lorsqu'ils furent suffisamment proches, West pu mieux voir ces hommes. Ils portaient tous shorts et baskets, un uniforme comme un autre. (...) Il découvrit aussi la femme qui les accompagnait et comprit qu'il s'était fait berner depuis le début.
Les cages à êtres humains, alignées comme autant de clapiers, avaient viré de cradingues à franchement insalubres. Les cloisons étaient striées de souillures jaunâtres et le sol de béton semblait creusé, comme s’il avait vu passer des siècles de scélérats dans son genre.
La tristesse transpirait de ces vies de flics, brisés d’avoir trop contemplé les vices de l’âme humaine. Certains parvenaient sans doute à s’y faire et même à y trouver leur compte, mais d’autres se réveillaient en hurlant, trempés de sueur, et maudissant leur foutue existence.
En regardant cet homme aujourd’hui, personne n’aurait pu se douter de ce qu’il représentait alors. Wheeler avait touché les étoiles, aujourd’hui il draguait le fond des océans du désespoir.
Il aimait parcourir ces rues, humer l’odeur des épices qui semblait venir tout droit des grandes cités sud-américaines. Il observait le flux chamarré de passants qui traversait le quartier. Ici, se croisait tout ce qui Miami comptait de diversité. Blancs, latinos, noirs, sans distinctions. Les jeunes venaient ici manger un sandwich cubain au jambon sucré, les hommes d’affaires s’offraient une bonne table et la diaspora cubaine tentait de retrouver ses racines.
Cet épiphénomène n’aurait pas suscité plus qu’un haussement de sourcil chez le commun des suspects, mais West n’était pas de ceux-là.
Être aguerri aux affaires les plus sordides était une chose, s’y trouver confronté personnellement en était une autre. West n’avait jamais été à ce point impliqué. Parfois, il subissait la vue d’un corps en piteux état ou le récit d’un parent en larmes.
Les hommes plus âgés l’avaient toujours attirée. Elle taisait son âge dans le but avoué de tromper ses proies et de parvenir à ses fins. C’est ce qui s’était passé ce soir-là. Face caméra, elle affirma que Noah Carrington n’avait aucun moyen de connaître son âge au moment des faits. Sans mentir explicitement, elle avait éludé le sujet toute la soirée. Elle regrettait profondément le tort qu’elle lui causait aujourd’hui et réfutait en bloc les accusations de perversité dont il était l’objet.
Elle aimait la vie et s’en était donné à cœur joie. Les mots étaient choisis. Suffisants pour fournir une bonne idée au téléspectateur, mais pas assez pour que sa réputation soit à jamais entachée.
Comme moi, vous attachez une grande importance aux valeurs familiales et les horreurs dont on m’accuse vous ont sans doute choqués. J’en suis mortifié. J’ai fait une erreur gravissime en me laissant aller avec une jeune femme. Mais est-ce le plus odieux des crimes comme je l’ai entendu çà et là ? Suis-je un être pervers ? Un monstre qui recherche les jeunes filles comme des proies ?
Vous avez lu que j’avais des « inclinaisons spéciales », que j’étais hanté par la sexualité et même bien pire que cela. Ces mots m’ont blessé. Ils ont surtout heurté mes proches et tous ceux qui me côtoient et participent activement à ma campagne. Mais je connaissais les risques ! Je sais parfaitement que la politique est impitoyable.
Il marchait lentement. Sans savoir pourquoi, il veillait à ne faire aucun bruit, comme s’il craignait de réveiller quelque bestiole endormie. C’était une salle de bains. Une baignoire à l’émail rose, une vasque à l’avenant, et un miroir arrimé au mur.
Le corps est une machine extraordinaire et celui de West se remémora cet enchaînement de gestes à la perfection. Sur le coup, il fut satisfait de ce baroud d’honneur. Il sentait l’air siffler à ses oreilles et il put croire durant quelques secondes qu’il allait s’en sortir. Ses illusions s’évanouirent lorsqu’une paire de bras puissants enserra ses jambes. Un All black n’aurait pas renié ce geste parfait.
West en eut le souffle coupé.
Les visages qu’il croisait étaient pour lui une avalanche de perceptions. Il discernait chaque vibration, chaque pensée. Il sentit l’âme langoureuse de cette fille en robe à fleurs, il saisit les doigts crispés et la violence contenue d’un homme qui observait le public d’un regard haineux. Jamais il ne pouvait débrancher sa caboche, mais les rafales d’émotions que lui offrait la musique noyaient un peu le bombardement sensoriel. Le rythme était si présent qu’il se faisait chaud, enveloppant, comme une couverture douillette.
N’était-ce que négligence coupable, un policier qui ne voulait pas se coltiner un meurtre de plus ou bien cela cachait-il autre chose ? Impossible à dire à ce stade. Autre fait établi, Carmen avait croisé le chemin du pire des monstres, un tueur de femmes qui sévissait depuis des années et qui avait trouvé un nouveau terrain de chasse à Miami. Cet homme (il supposait qu’il s’agissait d’un homme) avait-il cessé de tuer pendant plusieurs années pour s’y remettre aujourd’hui ou bien avait-il agi dans un état voisin, à l’étranger ? Les questions ne manquaient pas.
quarante-sept ans, voilà ce qui lui restait : des souvenirs et la quête chimérique d’une histoire qui avait fui comme le sable entre ses doigts. Était-ce pour ça qu’il courait après le meurtrier de Carmen ? Pour stopper le temps qui filait sous ses yeux ? Probablement.
On dit que l’argent ne fait pas le bonheur, mais aujourd’hui, il n’aurait pas craché sur une suite grand luxe avec vue sur le Mississippi.
Le problème, c’est que maintenant le public me prend pour un pervers prêt à tout pour mettre dans son lit des jeunes filles à peine pubères.
J’étais une vraie championne pour paraître dix ans de plus. Un peu de maquillage, une tenue adéquate, et hop ! Je vous l’ai dit, durant cette période, je m’en donnais à cœur joie.
Laisser un tueur de femmes se balader dans les rues ? Ça n’était pas du goût de ces petits gars dans leurs bureaux en penthouse. Lorsqu’on compte se faire réélire, il vaut mieux éviter ce genre de publicité. Je les emmerdais avec mes doutes et mes états d’âme. Après la mort de Simon, je n’ai pas eu le choix. J’ai dû arrêter ce mec et le passer à la moulinette… Simon a dû en couler une bielle de là où il se trouvait.