Lou Marceau

Croyez-moi, à cet instant précis, on est tous les deux en chute libre.

Sans lui, je me sens bancale, incomplète, et je déteste ça.

- Je savais bien que vous trouveriez un truc complètement stupide à dire ! je lui crie tandis qu'il s'éloigne, tête toujours basse mais éclat de rire bien audible, vers le food truck et ses hot dogs.
Allez savoir pourquoi, je souris encore comme une idiote quand je me détourne pour retourner à ma contemplation de la statue de la Liberté.

« Mais il a raison. Ce baiser était nul. Et même si ma mère n’avait certainement pas en tête mes prouesses sexuelles quand elle dispensait ses conseils à la petit Lana, elle m’a appris l’excellence. Pas cette médiocrité.

- Alors, Belgrade ? J’ai le droit de te montrer comment j’ai envie de t’embrasser ? Histoire que tu saches enfin ce qu’est un vrai baiser...

Je me grandis, prends une profonde inspiration.

- Lana ?

- Steadman, fermez-la, je grogne en revenant devant lui.
Avant de lever les yeux vers ses iris moqueurs, d’entourer sa nuque de ma main pour l’attirer à moi. Et de plaquer mes lèvres sur sa bouche trop bavarde. »

Non, Tadzio Steadman est juste insupportable. J'ai l'impression d'être avec un gamin sous amphétamines auquel personne n'aurait jamais expliqué la signification des limites et du mot « NON ». Quand je ne dois pas lui interdire de s'allumer une énième clope à la fenêtre de la chambre occupée par son grand-père, je suis obligée de lui demander de jouer de la guitare ailleurs que dans ma salle d'attente. Ou d'éviter de se déplacer avec son skate dans les couloirs du service.

Pas de merci, non, ne rêvons pas.
Juste ces mots qui ont pour effet d'augmenter considérablement et instantanément ma tension :
Bientôt votre tour, Miss Serbie... Vous dînez quand avec moi ?
Si j'étais un mec, j'imagine que je pourrais affirmer qu'il commence à me les briser.

-Patientez, Steadman. J'essaie de laisser agir votre charme irrésistible.
Je marque un temps, feins d'attendre quelque chose avant de le dévisager d'un air navré.
- Zut. Ca marche pas.

Et j'ai vraiment l'impression d'avoir gobé un acide par inadvertance. Enfin, l'idée que je me fais d'un acide puisque mon seul fait de gloire en matière de colitude rebelle a été de tirer sur une cigarette en seconde avant d'aller vomir aux toilettes du lycée.

Parce que pendant que je cale les premières notes pour l’encourager et l’accompagner, alors que sa voix se brise un peu et qu’elle révèle un soupçon d’une fragilité qu’elle se plaît tant à cacher, je prends soudain conscience, comme une évidence, que je suis en train de tomber amoureux d’elle

Même s’il m’a agacée profondément, j’ai compris, à la seconde où je l’ai vu entrer dans mon bureau, qu’il appartenait à cette catégorie de personnes bénies des dieux.

Avec cette fille, je patauge tout le temps, finalement, et pourtant je ne peux m’empêcher de vouloir plus et de m’accrocher.

Parfois, la vie vous joue vraiment des sales tours. Plus exactement, parfois, elle est parfaitement pourrie. Et injuste. C’est ce que je me dis en tout cas face au miroir de ma salle de bains, en observant les traînées que mon mascara, dilué par mes larmes, a laissées sur mes joues déjà joliment hâlées, mon nez gonflé et mes yeux rougis qui me donnent l’apparence étrange d’une petite truie croisée avec un lapin souffrant de myxomatose.

Son rire fuse, joli, si joli. Je fonds.

Mais subitement j'ai envie de lui expliquer à mon tour qu'on peut être sûr de soi comme elle - et ce sera très bien -, ou plus indécise - et ce ne sera pas bien grave. On peut aussi n'avoir aucun doute mais envie d'être curieuse quand même. J'aimerais lui dire qu'on est pas toujours obligé de se cantonner à ce qu'on connaît. Ou que même, parfois, ce dont se méfie gagne aussi à être connu.

Demain est un autre jour ne signifie pas nécessairement que demain sera un jour meilleur.

Ce que cette fille parvient à faire de moi est littéralement effrayant.

- Hum... Réfléchissons. Peut-être parce que ça ne s'explique pas ? Parce que c'était lui, parce que c'était moi, et bla-bla ? Mais aussi, parce que tu es objectivement très sexy. Peut-être parce que, justement, tu n'es pas une gamine, même si tu te comportes comme telle, et que j'ai adoré t'entendre rire. Parce que quand tu marches, tu es la féminité incarnée; que j'aime quand tu souris et encore plus quand tu me souris, et que, pour tous ces petits détails, j'ai envie de te connaître davantage et de passer du temps avec toi. Pour cela... ou peut-être parce que notre baiser m'a confirmé que toi et moi, c'était explosif et que ce serait vraiment stupide de ne pas vérifier que ce sera encore mieux quand je serais en toi.
J
e pousse doucement mon sexe, désormais en douloureuse érection, contre son ventre pour qu'elle comprenne bien que je suis sérieux, et je vois, à ses pupilles qui se dilatent encore plus, que le désir que j'éprouve pour elle n'a rien à envier à celui qu'elle ressent, elle, en ce moment.

Si je tiens compte de ce que j'ai observé et entendu ces derniers jours, c'est une femme qui n'a eu qu'un seul homme dans sa vie ; celui qui vient de la quitter pour une autre. C'est une femme blessée donc. Une femme que je ne connais pas encore mais que j'aimerais voir redevenir confiante.

- Mais c'est de toi dont j'ai envie, Alexandra. Je n'ai pas besoin de distractions.
- Je ne sais pas à quoi tu joues ni ce que tu veux, Leandro ; au cas où cela t'aurait échappé, je dois avoir dix ans de plus que toi.
- And so what, Alexandra ? On s'en fout de ton âge, à la fin !
- Et alors ? Tu as bien mieux à faire que de traîner avec des femmes plus vieilles que toi. De toute façon, je ne suis pas attirée par les hommes plus jeunes.
- J'ignore si c'est à mettre sur le compte de la chaleur mais tu tiens des propos parfaitement incohérents, à la limite du délire. Je n'ai pas besoin de ton argent et baise avec qui me plaît sans trop de soucis, en principe, et sans payer ni être payé !
- J'avoue que j’ai du mal à comprendre pour quel motif tu t'intéresserais vraiment à moi, alors ?

Ma caresse est lente, voluptueuse, et même si la tête me tourne un peu, je ressens chacune des sensations qu’elle fait naître au creux de mon ventre. La chaleur de la nuit tropicale ajoute encore à l’érotisme de cette situation. Jeff, allongé sous moi, abdominaux contractés, m’observe à travers ses paupières mi-closes.
Et Leandro.
Surtout Leandro.
Leandro, debout à l’entrée de la chambre, bras croisés sur sa chemise ouverte, torse bronzé, tatoué, parfait, et dont je sens les yeux sombres qui me dévorent. Il se délecte du spectacle de mes hanches nues que je balance langoureusement, autant pour lui que pour jouer avec Jeff et faire monter mon propre plaisir.
J’avoue… Surtout pour lui.
Je m’approche de la bouche de Jeff pour y promener ma langue, mes fesses se tendent vers le Brésilien silencieux et je me plais à l’imaginer, goûtant du regard le spectacle impudique que je lui offre.

L’endroit idéal pour bouquiner à l’ombre en se laissant bercer par le bruit des vagues. Ou pour dormir. Au lieu de ça, on s’inflige délibérément la double souffrance de faire des exercices physiologiquement contre nature (en tout cas contre la mienne) et de subir en prime la vision des minuscules fesses toutes pommelées des deux gamines super bien foutues auxquelles Leandro faisait les yeux doux. Je m’en fiche de ces filles, soyons claires. Mais ça m’agace.