Citations de Louise Browaeys (92)
Demain, nous écrirons des lettres, nous ferons de la broderie, nous lirons des manuels de survivalisme.
Demain, nous diviserons notre empreinte carbone par quatre, nous panifierons au lieu de planifier, nous cuisinerons les lentilles vertes du placard. Demain l'eau sera bonne. L'oppression des femmes et celle des sols auront concomitamment cessé. Des milliers de femmes oseront s'exprimer de leurs voix argileuses.
Demain, j'enjamberai le sommet des arbres grâce à des bottines à ressorts. Demain sera autant pétri de contradictions qu'aujourd'hui, mais peut-être saurons-nous mieux les chérir.
Et bien avant, lorsque j'étais enfant, j'utilisais un stylo-plume pour écrire mes listes et mes lettres : des sornettes de petite fille en cage, une sorte de feuilleton tragique et primesautier. Maintenant, sur mon ordinateur, je n'épouse plus la cambrure des virgules, je ne vois plus mes ratures, je n'ai plus de bosse au majeur ni d'encre sur toute la longueur de l'index. Je passe mon temps à râler en cherchant mon chargeur dans la maison. Je t'appelle dès que la connexion Internet plante. Je vais trop souvent à la ligne, comme si je semais des radis. J'abuse du correcteur d'orthographe.
Je suis donc sortie de ma cabane par un dimanche matin ordinaire et j'ai entrepris une bonne taille. J'ai coupé toutes ces phrases de ma tête et de mon corps avec un sécateur professionnel et j'ai décidé que ce qui était sur mon corps était beau, parce que singulier. Comme au Japon, où l'on répare les objets en soulignant leurs lignes de faille avec de l'or, au lieu de chercher à les masquer, je me suis déployée sous le soleil, telle une nymphe d'insecte affamé, avec toutes mes fêlures et mes irrégularités.
Alors j'écris cette Reverdie pour celles et ceux dont le ventre gargouille et qui n'ont pas de jardin où planter des pommes de terre, qui rêvent d'un saule pleureur penché au-dessus d'un ruisseau - ou simplement d'une feuille de laitue qui croque sous la dent. Pour celles et ceux dont le seul jardin est la littérature, dont le champ n'est que lexical et qui ne connaissent des feuilles que la blancheur d'un format A4. Pour celles et ceux qui ont toujours tenu dans leurs mains des crayons et jamais des brouettes ou des râteaux. Pour celles et ceux qui aiment s'égarer dans un roman comme dans un labyrinthe de charmille, deviennent immanquablement en elles, en eux, tant de petites lumières qui ne demandent qu'à scintiller.
J'ai essayé de raconter ce que j'observais autour de moi et d'accueillir tout ce que je ne comprenais pas. Une verdure, c'est une journée ordinaire à laquelle on ne comprend rien et sur laquelle on écrit pour tenter d'en éclaircir le mystère.
Agir raisonnablement n'a de sens que pour les petites décisions de tous les jours. Pour ce qui bouleverse l'existence, pour s'enfoncer allègrement en terres inconnues, il faut simplement couper les fils et cesser de se bombarder de questions.
Il m'avait fallu trente-six ans pour comprendre que la vie est une déchirure qu'il est vain de vouloir recoller. Mais, au sein de cette faille, il est un chemin qui se dessine malgré tout, dans l'obscurité tiède et bleutée. Aussi dément que cela puisse paraître, c'est comme s'il nous fallait simplement consentir à revêtir notre nouvelle peau.
C'est un témoignage, que j'espère attendrissant, du monde d'avant. Celui qui se pensait sincèrement en route vers la transition en triant ses déchets. Celui qui imaginait pouvoir concilier capitalisme et humanisme et se reconnecter à la nature. Le monde d'avant les chaleurs insoutenables, les krachs boursiers, les pandémies et les déplacements massifs de population.
Nous avions eu plusieurs occasions de donner un sérieux coup de gouvernail et, en toute connaissance de cause, nous avions préféré ne pas le faire.
Catherine Larrère explique que les retards dans la connaissance des inégalités environnementales témoignent précisément de la difficulté à relier les dimensions environnementales et sociales de nos sociétés et de nos vies. Comment ne pas voir le parallèle entre le traitement que nous faisons subir à la nature et celui infligé aux hommes dans certaines usines ? Une étude de l'Académie nationale des sciences américaine décrivant les coûts environnementaux de la mondialisation économique depuis 1961 montre que les pays les plus riches, par leurs activités, ont généré 42% de la dégradation de l'environnement à travers le monde tout en assumant seulement 3% des coûts qui en résultent. (p. 51)
Je devais vérifier que tu prenais des médicaments et je t’ai conseillé de tenir un carnet avec des listes de mots, d’écrire dedans au moins tous les jours, avant de te coucher. C’est ce que tu faisais avant d’aller à l’hôpital, alors j’ai pensé que cet exercice t’aiderait à te guérir. Les mots ne consolent de rien mais ils offrent une maison modeste, une sorte de cabane où l’on peut s’abriter le temps d’une saison et attirer des oiseaux rares.
J’apprendrai que le désir est un croissant de lune. Il apparaît, il disparaît. Rien ne compte plus alors, que le désir ou l’absence de désir, la jouissance ou l’absence de jouissance. Le désir se nourrit d’une lumière dont la source demeure invisible. Avec de l’entraînement, on a confiance, on sait que le désir reviendra.