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Critiques de Ludwig Feuerbach (2)
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L'essence du christianisme

"Le grand tournant de l'histoire sera le moment où l'homme prendra conscience que le seul dieu de l'homme est l'homme lui-même."

L'essence du christianisme, essai philosophique dense et complexe, est né dans un contexte historique et philosophique déterminant. En effet, le 19ème siècle est traversé d'une part par des pensées et des utopies (utopie libérale et utopie socialiste) qui interpellent à la fois l'organisation politique et économique de la société et le bonheur collectif en invitant le capitalisme libéral, le communisme, le socialisme et l'anarchisme (la société en se transformant construira ensuite l'individu).

D'autre part, à une époque ou Hegel domine la pensée philosophique, ce siècle est animé par des mouvements de pensée radicaux qui interrogent le statut existentiel de l'individu (comment d'abord construire un individu qui ensuite transformera la société) et celui de la religion, en posant la question "Comment ne pas être religieux", à laquelle Ludwig Feuerbach va proposer une réponse dans une oeuvre majeure radicalement athéiste, L'essence du christianisme.



D'abord hégélien, Feuerbach va s'autonomiser intellectuellement en s'opposant à l'affirmation de Hegel que la philosophie après ce dernier s'abolira : à l'époque de la modernité chrétienne post révolutionnaire et post napoléonienne ("la fin des temps" dit Hegel), L Histoire et la philosophie, dont l'esprit est né en Orient pour se déployer en Occident, connaîtront leur accomplissement au soir de leur existence et parviendront à leur terme. Or pour Feuerbach, il s'agit seulement de la fin d'une certaine façon de faire de la philosophie et il va proposer un post-hégélianisme d'une grande vivacité et d'un culot intellectuel fort courageux.

Appartenant au mouvement des hégéliens de gauche avec August von Cieszkowski, David Strauss, Marx, Engels, Ruge, Stirner, Bauer, et un passage éclair de Bakounine (qui a quitté les hégéliens de droite), mouvement qui rejette le conservatisme politique et religieux du corpus hégélien et n'en conserve que l'efficacité de la méthode dialectique, Ludwig Feuerbach va élaborer une théorie de l'athéisme inédite.



Avant de rédiger cette oeuvre, L'essence du christianisme, Feuerbach qui enseigne la théologie à l'université publie son essai Les pensées sur la mort et l'immortalité où il réfute l'immortalité de l'âme (il sera congédié de son poste de professeur). Libéré du corset universitaire, Feuerbach publie en 1841 L'Essence du christianisme qui fait partie des grands classiques de la théologie et consacre l'humanisme matérialiste naturaliste de Feuerbach (je le trouve quant à moi plus réaliste naturaliste que matérialiste) et inaugure sa scission d'avec l'école hégélienne en démontrant philosophiquement l'athéisme et ses conséquences politiques, où le philosophe affirme que l'anthropologie est l'explication et la vérité de la théologie, c'est-à-dire qu'un discours sur Dieu est toujours un discours sur l'homme.

Les hommes ont créé Dieu à leur image inversée, et si la religion est constitutive de l'humanité, il faut que l'homme soit en son centre et non Dieu ("religion de l'homme" que Max Stirner va vivement critiquer dans l'Unique et sa propriété, y décelant de façon prémonitoire les autoritarismes des idéologies fanatiques du siècle suivant).

Cherchant à comprendre le sens et l'essence du phénomène religieux, Feuerbach décortique l'illusion religieuse et pose que.Dieu est une fiction créée comme une image "inversée" des hommes : Dieu est tout ce que l'homme rêve d'être et ne pourra jamais être, parfait, absolu, éternel, omniscient, omnipotent, infini. L'homme si imparfait et fini, incapable de réaliser son essence dans un monde aussi imparfait et fini que lui, va projeter imaginairement hors de lui son désir de perfection et d'infini dans un être supérieur qu'il appelle Dieu. Ce processus d'expulsion de son essence irréalisable hors de lui vers une illusion divine orchestrée par une fiction religieuse constitue son aliénation. « À partir de son Dieu tu connais l'homme, et inversement à partir de l'homme, son Dieu : les deux ne font qu'un. »

En se sens il s'oppose à Hegel et à sa philosophie spéculative, lui reprochant de proposer une identification abusive entre philosophie et théologie, contre laquelle Feuerbach propose une nouvelle base spéculative : penser au niveau du sensible le plus matériel pour que l'aliénation se dévoile comme appauvrissement de l'homme.

Pour mettre fin à l'auto aliénation de la conscience religieuse de l'homme, Feuerbach construit une critique philosophique de la religion qui rend compte des conditions de possibilité de cette conscience religieuse, affirmant le sens anthropologique de la croyance en Dieu, proposant de réapproprier à l'homme lui-même ces attributs dont il s'est dépossédé en les investissant dans Dieu : pour être libre et disposer de lui-même, l'homme doit être son propre dieu. Feuerbach fait ainsi de l'Absolu l'humanité elle-même et fait de l'athéisme un humanisme.

Marx, dans ses Thèses sur Feuerbach, lui reprochera "de faire abstraction du cours de l'histoire et de traiter le sentiment religieux comme une réalité en soi, en présupposant un individu humain abstrait, isolé". Sa critique de Feuerbach est ramenée à l'homme concret et intersubjectif centré sur l'intuition sensible et sur l'amour générique, la réalité n'y est saisie "que sous la forme d'objet ou d'intuition mais non en tant qu'activité humaine" affirme Marx. Cette critique frontale est à tempérer avec cette lettre adressée à Feuerbach où Marx descend en flèche la critique des jeunes hégéliens de gauche contre l'Essence du christianisme, notamment celle de Bauer, lettre où Marx renouvelle son attachement à Feuerbach comme celui "qui a donné un fondement au socialisme". Pourtant leurs différences philosophiques rendront par la suite tout rapprochement impossible.



Tout cela finalement pour dire que j'aurais rêvé être une souris dans le bar à vin de Hippel, juste pour écouter cette gauche hégélienne refaire passionnément le monde en levant le coude, à l'aube d'un 20ème siècle qui consacrera, dans une débauche d'idéologies fanatiques, de totalitarismes en tout genre, de guerres et d'exterminations industrielles, de manipulation et d'exploitation des peuples, la venue puis la fin d'un communisme autoritaire assassin et le règne quasi universel d'un libéralisme panopticien dont le cynique et utilitariste Bentham doit se réjouir outre tombe.


Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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Manifestes philosophiques

formidable
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