Écoutez les merlebleus appeler depuis les arbres, et vous arriverez peut-être juste à temps pour voir un oisillon jeter un coup d'œil hors du trou obscur du nichoir, découvrir le vaste monde lumineux pour la première fois, en rester bouche bée et livrer son destin au ciel.
J'ai raté sa dernière respiration. Je n'ai pas vu mon père cesser d'être ma chance, mon roc, mon pilier. Je ne l'ai pas vu me rendre orpheline, car je l'ai quitté des yeux un seul instant, pour regarder la fenêtre de l'autre côté de la chambre, en me demandant quand paraîtrait le jour.
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Le printemps est ma saison préférée, jusqu'à l'arrivée de l'automne, qui devient alors ma favorite : ce sont les saisons du changement, celles qui me disent de me réveiller, de me rappeler chaque jour, chaque minute qui passe est toujours le dernier moment, la dernière fois, le dernier instant où je prendrai cette inspiration précise, où je verrai ce nuage-là filer à travers le bleu singulier de ce ciel-là.
Quand l'agitation devient excessive :
Reste immobile.
Fais silence.
Écoute.
Il m'a fallu beaucoup d'audace pour me réclamer de l'écolittérature malgré ma grande ignorance de la nature sauvage; mais le bon côté de l'ignorance est l'émerveillement, et je m'émerveille avec brio.
[...] mais nous, les humains, sommes extrêmement sensibles à la différence et, plus une variation s'écarte de la norme, plus elle nous fascine. Nous croyons qu'un trèfle à quatre feuilles porte chance. Un corbeau sauvage adopte un chaton abandonné, et la vidéo devient virale. Une pâquerette à la forme insolite nous surprend, nous intrigue et nous ravit.
Nous sommes loin d'être aussi charitables quand il s'agit de nos congénères. Les enfants qui présentent la moindre différence physique, émotionnelle ou cognitive sont systématiquement harcelés. La maladie mentale est tellement stigmatisée que ma mère n'a jamais voulu parler de ses épisodes dépressifs, même quand je me battais moi-même contre la dépression.
Les êtres humains sont férus de narration. Ils allongent le cou pour apercevoir les carcasses de métal sur la voie d'autoroute fermée et construisent mentalement, dès les premiers ralentissements, un récit brodé autour de ce qui reste encore visible. Nos contes, même les plus tragiques, s'appuient sur la personnalisation du récit. L'histoire d'un enfant syrien noyé échoué sur le rivage nous accable à en perdre le sommeil ; l'histoire de quatre millions de réfugies fuyant la Syrie, en revanche, nous apparaît plutôt comme une équation à résoudre.