Le rejet de l’épuration de masse par la population s’est traduit, comme on l’a vu, par sa transformation en réhabilitation de masse par les Spruchkammern et le classement de la majeure partie des individus compromis dans la catégorie des « suiveurs ». Or, le type du « suiveur » (Mitlaüfer) est devenu un lieu de mémoire pour les Allemands. Comment expliquer que ce concept négatif puisse être considéré aujourd’hui comme constitutif de l’identité allemande ? Gesine Schwan apporte une réponse éclairante : elle montre que le concept de « suiveur » n’a pas toujours revêtu aux yeux des Allemands la connotation péjorative qu’il possède actuellement, associée aux valeurs d’opportunisme, de conformisme et de carriérisme. C’est même l’inverse au moment de la dénazification. Le classement dans cette catégorie apportait des avantages matériels et professionnels (ne pas perdre son travail). Surtout, le concept de « suiveur » exonérait, il avait le sens d’une décharge politique et morale. L’absence de conviction politique dans le fait d’avoir « suivi » le nazisme était jugée positivement, les « suiveurs » n’étant précisément pas inclus dans le cercle des « coupables » (Täter) : ils étaient ainsi libérés de la responsabilité du nazisme. C’était méconnaître la distinction que Jaspers établissait entre culpabilité collective et responsabilité collective. Pour l’opinion de l’immédiat après-guerre, les « suiveurs » ne sont certes pas des héros, mais somme toute des gens « normaux ». Est ainsi née l’image d’une normalité de comportement humain et civique excluant la responsabilité politique.