AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Marie Cardinal (170)


Au cours des méditations auxquelles j’étais souvent astreinte (puisque j’allais dans une école religieuse et que, en plus, ma mère pratiquait beaucoup) je m’ennuyais terriblement. Je n’arrivais pas à penser. Si on me disait de méditer pendant un quart d’heure sur la charité chrétienne par exemple, je me mettais à faire comme tout le monde, je calais ma tête entre mes mains et je me disais : «Aimez-vous les uns les autres, c’est vraiment bien. Oui, il faut s’aimer les uns les autres, ça c’est vrai et ce n’est pas facile parce qu’il y a des gens qu’on n’a pas envie d’aimer et puis il y en a d’autres qu’on voudrait bien aimer et qui ne se laissent pas aimer. »
Commenter  J’apprécie          536
L'oubli est la plus compliquée des serrures mais il n'est qu'une serrure, il n'est pas une gomme ou une épée, il n'efface pas, ne tue pas, il enferme.
Commenter  J’apprécie          420
Moi qui n’avais pas pu pleurer depuis si longtemps moi qui cherchais en vain depuis tant de mois le soulagement des larmes, voilà qu’elles coulaient enfin par grosses gouttes qui détendaient mon dos, mon torse, mes épaules. J’ai pleuré pendant longtemps. Je me vautrais dans cet orage, je le laissais prendre mes bras, ma nuque, mes poings serrés, mes jambes repliées sur mon ventre. Depuis combien de temps n’avais-je pas éprouvé le doux calme du chagrin ? Depuis combien de temps n’avais-je pas laissé mon visage barboter dans la tendresse des larmes mêlées d’un peu de salive et de morve ? Depuis combien de temps n’avais-je pas senti couler la gentille liqueur tiède de la peine ?
J’étais bien là, comme un enfant repu dans son berceau, les lèvres encore pleine de lait, envahi par la torpeur de la digestion, protégé par le regard de sa mère. J’étais allongée sur le dos, des tout mon long, obéissante, confiante. Je me suis mise à parler de mon angoisse et j’ai deviné que j’allais en parler longtemps, pendant des années. J’ai senti dans le fin fond de moi que j’allais peut-être trouver le moyen de tuer la chose.
Commenter  J’apprécie          400
Parler, parler, parler, parler.
"Parlez, dites tout ce qui vous passe par la tête, essayez de ne pas faire de tri, de ne pas réfléchir, essayez de ne pas arranger vos phrases. Tout est important, chaque mot."
C'était le seul remède qu'il me donnait et je m'en gavais. Peut-être que c'était ça l'arme contre la chose : ce flot de mots, ce maelström de mots, cette masse de mots, cet ouragan de mots ! Les mots charriaient la méfiance, la peur, l'incompréhension, la rigueur, la volonté, l'ordre, la loi, la discipline et aussi la tendresse, la douceur, l'amour, la chaleur, la liberté.
Commenter  J’apprécie          370
« L’oubli est la plus compliquée des serrures mais il n’est qu’une serrure, il n’est pas une gomme ou une épée, il n’efface pas, ne tue pas, il enferme. Je sais maintenant que l’esprit capte tout, classe tout, range tout et entretient tout. Tout, cela veut dire : même ce que je crois ne pas avoir vu, entendu ou senti, même ce que je crois ne pas avoir compris, même l’esprit des autres. Chaque événement aussi minuscule soit-il, aussi quotidien soit-il ‘comme par exemple de m’étirer le matin en bâillant), est catalogué, étiqueté, serré dans l’oubli mais indiqué dans la conscience par un signal souvent microscopique : une brindille d’odeur, une étincelle de couleur, un clignement de lumière, une parcelle de sensation, un éclat de mot. Et même encore moins que cela : un frôlement, un écho. Et même encore moins : un rien qui existerait. »
Commenter  J’apprécie          322
Les mots pouvaient être des blessures ou des cicatrices de blessure, ils pouvaient ressembler à une dent gâtée dans un sourire de plaisir.
Les mots pouvaient aussi être des géants, des rocs profondément enfoncés dans la terre, solides, et grâce auxquels on franchit des rapides.
Les mots pouvaient enfin être des monstres, les S.S. de l’inconscient, refoulant la pensée des vivants dans les prisons de l’oubli.
Commenter  J’apprécie          293
-Vous n'aimez pas Paris ?
- J'aime Paris au contraire. Paris c'est beau et c'est poignant. Les deux. Les structures et les espaces sont beaux, les gens sont poignants. Une beauté à pleurer, une misère à pleurer. Il y a une tradition de cette ambiguité: le Louvre et Gavroche, les jardins du Luxembourg et les bandits de Montrouge. Notre-Dame et les Invalides, les faubourgs Saint-Germain et le 20e. Proust et Zola ou Céline. A côtoyer ces merveilles, la misère y est encore plus grande. (p. 32)
Commenter  J’apprécie          260
A l'heure dite j'étais au fond de l'impasse, toute empaquetée de serviettes, de coton, engoncée dans des sortes de couches que je m'étais fabriquées. J'ai attendu un peu parce que j'étais arrivée en avance. La personne avant moi est sortie. Comme la veille j'ai entendu les ouvertures et les fermetures des deux portes. Enfin je suis entrée et j'ai dit tout de suite :
« Docteur, je suis exsangue. »
Je me souviens très bien avoir employé ce mot parce que je le trouvais beau. Je me souviens aussi que je voulais avoir un visage et une attitude pathétiques. Le docteur m’a répondu doucement et calmement :
« Ce sont des troubles psychosomatiques, cela ne m’intéresse pas. Parlez-moi d’autre chose. »
Il y avait là ce divan que je ne voulais pas employer. Je voulais rester debout et me battre. Les mots que cet homme venait de prononcer m’avaient giflée en pleine face, jamais je n’avais rien encaissé de si violent. En pleine figure ! Mon sang ne l’intéressait pas ! Alors tout était détruit ! J’en étais suffoquée, foudroyée. Il ne voulais pas que je parle de mon sang ! Mais de quoi d’autre voulait-il que je parle ? de quoi ? En dehors de mon sang il n’y avait que la peur, rien d’autre, et je ne pouvais pas en parler, je ne pouvais même pas y penser.
Je me suis effondrée et j’ai pleuré.
Commenter  J’apprécie          260
L'oubli est la plus compliquée des serrures mais il n'est qu'une serrure, il n'est pas une gomme ou une épée, il n'efface pas, ne tue pas, il enferme.
Commenter  J’apprécie          240
La folie se porte mal dans une certaine classe, il faut la cacher à tout prix. La folie des aristocrates ou du peuple est considérée comme une excentricité ou une tare, elle s’explique. Mais, dans la nouvelle classe des puissants, elle ne s’ admet pas. Qu’elle vienne de la consanguinité ou de la misère, passe, cela se comprend, mais pas du confort, de l’aisance, de la bonne santé, de l’équilibre que donne l’argent bien gagné. Dans ce cas-là, c’est une honte.
Commenter  J’apprécie          230
Les humains se sont inventé des dieux qui aiment la souffrance, le sacrifice. Ils font dire aux dieux ce qu'ils veulent eux-même qu'ils disent. (p. 82)
Commenter  J’apprécie          220
Pendant ma maladie je ne rêvais pas, je n'avais pas le moindre souvenir d'un rêve, même pas l'impression d'avoir rêvé. Mon sommeil était un cube noir inentamable, un écran aveugle sur lequel l'analyse a commencé par projeter des rêves anciens.
Commenter  J’apprécie          220
Je me sentais (et je me sens toujours) responsable de les avoir mis au monde mais j'étais en train d'apprendre que je ne devais surtout pas me sentir responsable de leurs individualités. Ils n'étaient pas moi et je n'étais pas eux. J'avais à faire leur connaissance comme ils avaient à faire la mienne.
Commenter  J’apprécie          210
L'oubli est la plus compliquée des serrures mais il n'est qu'une serrure, il n'est pas une gomme ou une épée, il n'efface pas, ne tue pas, il enferme. Je sais maintenant que l'esprit capte tout, range tout et entretient tout...Même ce que je crois ne pas avoir vu, entendu ou senti, même ce que je crois ne pas avoir compris, même l'esprit des autres. Chaque évènement aussi minuscule soit-il, quotidien... est catalogué, étiqueté, serré dans l'oubli mais indiqué dans la conscience par un signal souvent microscopique : une brindille d'odeur, une étincelle de couleur, un clignement de lumière...un éclat de mot...un frôlement, un écho... un rien qui existerait.
Commenter  J’apprécie          210
14 février 1985

Je vis dans une solitude si grande que je ne sais plus ce qu'une journée veut dire. (p. 109)
Commenter  J’apprécie          170
Il y a dans notre vocabulaire une quantité de phrases toutes faites qui entraînent une pensée toute faite, dictée par les usages, et qui servent à répondre aux questions embarrassantes. Ce sont des pirouettes. Mais, au moment où on les utilise, on ne sait pas qu'on est en train d'éviter l'obstacle, on croit qu'on donne une véritable réponse. Au fait, c'est vrai que c'est une réponse ; mais une réponse pour la forme. Une réponse qui bouche la fissure, qui colmate la fuite, qui arrête l'hémorragie. C'est une réponse qui muselle le gros tourment d'où est montée la question, mais qui n'empêche pas le tourment de gronder comme un forcené, comme un prisonnier.
Commenter  J’apprécie          160
Quand, pour des raisons même excellentes-surtout excellentes-, ont a été chassé de sa maison, il n'y a plus jamais de maison, plus jamais le désir d'en avoir une, son arrachement a fait trop souffrir, elle reste à l'intérieur de l'être comme une amputation.... (...) et la sauvage nomade qui emporte sa maison avec elle. Elle est une escargote...le passage compte plus que l'installation. Elle ne veut que des escales. (p. 39)
Commenter  J’apprécie          160
Quand j'avais commencé à me mettre au monde, à me considérer comme une personne indépendante, comme un individu, j'avais éprouvé le besoin d'avoir une voiture pour aller plus loin, plus vite. J'avais hâte de rattraper le temps perdu, de tout voir, de tout connaître.
Commenter  J’apprécie          130
Il me semble que la chose a pris racine en moi d'une façon permanente, quand j'ai compris que nous allions assassiner l'Algérie. Car l'Algérie c'était ma vraie mère. Je la portais en moi comme un enfant porte dans ses veines le sang de ses parents.
Commenter  J’apprécie          130
Toutes ces choses n'existaient pas puisqu'on n'avait pas le droit d'employer les mots qui les désignaient
Commenter  J’apprécie          130



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Marie Cardinal (2407)Voir plus


{* *} .._..