Vous vous sentez perdus parmi les 466 romans de la rentrée littéraire 2023 ? Pas de panique, France Culture s'est associé à L'Obs pour vous proposer ses 10 romans coup de coeur du moment.
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit :
- Jérôme Garcin, journaliste et romancier
- Elisabeth Philippe, critique littéraire (L'Obs)
- Arnaud Laporte, producteur de l'émission "Affaires culturelles" sur France Culture
- Oriane Delacroix, collaboratrice à France Culture
- Marie Richeux, productrice de l'émission "Le Book club" sur France Culture et écrivaine
#rentréelittéraire #litterature #romans
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Je laisse derrière moi cet endroit dont on apprend plus tard qu'il se dit cité-dortoir. (...) Où vis-tu ? Meudon-La-Forêt. pour moi, mon frère, les amis de mon frère, quelques amis, il y a toujours dans cette réponse un mélange de fierté et de silence. Ce lieu d'où nous ne cesserons de partir pour grandir, nous ouvrir , aller au cinéma, découvrir des musées, a une identité propre dont nous nous réclamons quand nous n'y sommes pas, sans être en mesure d'en dire grand-chose. (...) Rentrer, c'est marcher vers les arbres. c'est faire l'expérience de toutes les perspectives y menant. (p. 68)
Fernand Pouillon imagine s'élever bientôt ici les immeubles d'une cité qui accueillerait dignement, et dans le mélange le plus complet, des êtres humains...pour longtemps, rajoute-t-il dans ses pensées. Au contraire de l'urgence qui préside à la réalisation d'autres grands ensembles, mais complètement dans le sillon de ceux-ci, non seulement il entend que l'on puisse s'y projeter, y installer sa vie, tout comme il l'a fait à sa plus grande surprise, dans sa maison d'Alger. (...)
Un immeuble est une musique. (p. 86)
- Le livre, tu vas le faire comment ?
-Je ne sais pas encore. Je voudrais raconter ça. Ces immeubles où j'ai grandi. Ce que c'est que vivre sur le même palier que quelqu'un. Je voudrais raconter comment l'Algérie s'est soudainement rappelée à moi. (...) Comment d'une vie sans lien entre les rives on passe à un tissu cousu serré. (...) je ne connais personne qui m'ait dit quoi que ce soit sur ce pays. Je voudrais raconter comment cet immeuble s'élève pourtant entre autres sur la guerre d'Algérie et l'exil. Et dire que j'y ai passé vingt ans, sur le même palier que toi. Je voudrais dire la puissance d'un palier, qui me fait découvrir un jour que tu es né là-bas. (p. 48)
Je regardais ses mains, je pourrais décrire précisément ses deux mains : la même peau que ma mère, un peu mate, très fine, extrêmement douce, lavées mille fois par jour, marquées de cela, les phalanges soulignées, rondes, les ongles coupés ras. Je regardais ses mains, elles m'avaient sortie du ventre de ma mère, elles avaient sorti mon frère du ventre de notre mère, elles avaient, les deux mains de tante M., sorti des milliers d'enfants du ventre de leur mère, et je mettais mes pas dans les siens pour ne pas me perdre dans les couloirs du métro.
Suzanne était une puissante boussole. Elle retournait mon ouvrage et m'en lisait les motifs à voix haute. Elle semait des mots que je ramassais patiemment . Elle allait avoir trois ans. Pendant les premières semaines de sa vie, je trouvais cela impossible, d'avoir donné naissance à quelqu'un. "Comment est-ce possible ? " murmurais-je le soir, inlassablement, en regardant son petit corps. (p. 113)
Elle me raconterait l'histoire autrement et me consolerait, peut-être, de n'avoir à entendre que si peu de voix de femmes. A Alger, à Paris, sur le chantier de Meudon-La-Forêt, au ministère du Logement, dans les bureaux de l'architecte, leurs voix me manquent. (p. 122)
Fernand Pouillon dit avoir eu l'idée d'un monument, et c'est un monument qui naît sur les plans. "L'inverse du mépris. l'élévation. " On reconnaît cela aux premiers calculs, aux premiers dessins. alors le travail allège les poids qui affaissent ses épaules. (...)
Il en va des choses comme avec les gens. Ceux dont on sent qu'ils nous accompagneront nous accompagnent. ( p.61-62)
UNE NUIT DE CHANT, quarante jours de deuil. Des prières et des notes pour guider l'âme du mort. Le mot "islam" n'a aucun sens, le mot "musulman" n'est jamais prononcé. " Arabe" à peine,"Rebeu", "ramadan", oui. Et "jure-sur-le-coran" aussi. (p. 11)
J’aurais cet été-là deux maîtres ignorants : l’enfance imprévisible de ma fille, la langue intraduisible de mes rêves.
Qu'est-ce qui avait motivé pendant des siècles la haine et le rejet dont les filles-mères étaient l'objet ? Le fait qu'elles ne soient pas mariées ? Ou le fait que l'absence de mariage rende leur sexualité crue, visible, réelle en somme, pas abritée, pas surveillée, pas régulée ? C'est cela que l'on avait voulu tuer et c'est peut-être cela que je traversais à ma manière, bien des années plus tard et dans une toute autre condition. Me dire enceinte, c'était apparaître dans l'habit souillé de la sexualité des femmes. (p. 104)