20 déc. 2021
Marieke Lucas Rijneveld wrote a poem about a work by David Hockney. Curious about how the British painter inspired the Dutch writer?
Au milieu de la table du petit déjeuner trônait une petite corbeille à pain en osier, le fond recouvert d’une serviette rehaussée d’anges de la Nativité. Certains d’entre eux mettaient leur zizi à l’abri derrière une trompette, d’autres derrière une touffe de gui. Même en tenant la serviette à contre-jour de l’ampoule, je ne parvenais pas à voir à quoi le bidule pouvait ressembler ; je pariai pour une tranche de mortadelle roulée en cigare.
– Regardez, celui-là ressemble au pasteur Renkema, visez un peu cette grosse tête, ces yeux globuleux. Et il n’a pas plus de cou que Renkema !
Sur sa paume, il tient un crapaud brun. On rigole, mais pas trop fort : on ne se moque jamais du pasteur, pas plus qu’on ne se moque de Dieu. Ce sont des amis intimes, mieux vaut être prudent.
Derrière nous, la porte s’ouvre. Maman est en train de tester un fromage. Elle se retourne et pose la sonde à côté d’elle, près de l’évier.
– Pourquoi y a pas de café ? demande papa.
– Parce que t’étais parti.
– Tu vois bien que je suis là. Et il est bien plus de quatre heures.
- T’as qu’à t’en faire.
– Ce que j’ai à faire ici, c’est restaurer le respect ! À grandes enjambées, il sort en claquant la porte. La colère a des gonds qui nécessitent d’être huilés. Pendant quelques secondes, maman fait mine de se remettre à la tâche, puis, après un soupir, va tout de même préparer du café. Le quotidien ici se résume à du calcul mental : ainsi, le respect se compose de quatre morceaux de sucre et d’un trait de crème dans le café.
[...] je veux bien grandir mais je ne veux pas que mes bras grandissent en même temps. Parce que tu tiens pile entre eux.
- S’ils deviennent trop grands, répond Hanna après un silence, je les enroulerai deux fois autour de moi, comme mon écharpe.
Les premières semaines qui ont suivi la mort de mon frère, je m'attendais à ce que papa le ramène, certes transi de froid, sur le porte-bagages. Que tout finirait bien. A présent, je sais qu'il rentre toujours à la maison sans personne sur son porte-bagages et que Matthies ne reviendra pas, pas plus que Jésus ne descend jusqu'à nous sur un quelconque nuage.
Personne ne connaît mon cœur. Il est retranché derrière parka, épiderme et côtes. Dans le ventre de maman, mon cœur a été important pendant neuf mois, mais depuis qu'il en est sorti, plus personne ne se soucie de savoir s'il bat au bon rythme, personne ne prend peur quand il s'arrête quelques secondes ou quand il bat la chamade sous le coup d'une peur ou d'une tension.
À chaque pas que je fais, les pantoufles craquent. Papa a dit un jour : "La mort arrive à chaque fois en sabots. "Je n'avais pas saisi son propos. Pourquoi pas sur des patins ou chaussée de baskets ? À présent, je comprends : dans la plupart des cas, la mort s'annonce, et c'est nous qui refusons de la voir ou de l'entendre. Ainsi sait-on qu'en bien des endroits, la couche de glace n'est pas assez épaisse, ainsi sait-on que la fièvre aphteuse ne va pas épargner notre village plus qu'un autre.
p.185
- Qui prie longtemps déborde de péchés, murmure Obbe.
p.79
Je crois qu'on vit alors un petit moment de bonheur, même si papa prétend que ce n'est pas pour nous, le bonheur, qu'on n'est pas faits pour être heureux, pas plus que notre peau blanche n'est faite pour endurer le soleil - après dix minutes, elle aspire à l'ombre, à l'obscurité.
p.77
Hanna retire son visage, sa peau moite se décolle peu à peu de la mienne - laissant une couche de vaseline -, à croire qu'elle est l'un des corps célestes de mon plafond qui tombent de temps à autre, m'empêchant de faire un vœu puisque le cosmos n'est pas un puits à vœux mais une fosse commune : chaque étoile est un enfant mort, la plus belle étoile étant Matthies - maman nous l'a appris. Voilà pourquoi j'ai parfois peur qu'il tombe et atterrisse dans un autre jardin que le nôtre sans que nous n'en remarquions rien. Faut-il vraiment s'en inquiéter ? Il y a tant de nuits où les étoiles sont moins nombreuses dans le ciel.
p.182