Citations de Matthieu Galey (35)
Ecrire âmitié pour y retrouver l'âme, et vânité pour en débusquer l'âne.
Le TGV. Une ligne droite dans la France profonde. Aucune de ces scories qui se sont accumulées le long des voies depuis cent ans, hôtel Terminus minable, passages à niveau, hangars, etc., qui rendent souvent si triste les paysages vus du train...Ici, on croirait traverser le Moyen Age en pullman.
1er juillet 1961
Coiffée d’ une espèce de casquette de paille noir, les yeux faits à la suie, ses épaules de moineau couvertes, malgré la canicule, d’une étole de renard bleu, c’est un cadavre ambulant, avec un sourire de Dracula qui glace les sangs : la baronne Blixen voyage, suivie de son imprésario et de sa secrétaire. Arrivé tôt, je me trouve assis quelques minutes entre le squelette gothique et la réfrigérante duchesse de La Rochefoucauld. L’une parle un rauque anglais, l’autre et d’une surdité murale. Situation de cauchemar.
"Je ne suis pas un écrivain, vous savez. Moi, je griffonnais quand j'étais triste, et après je n'étais plus triste, voilà tout. Alors, j'ai continué."
page 903
L' immense foule qui vient d'accompagner Sartre de Broussais au Cimetière Montparnasse, non sans piétiner quelques croix au passage. Le fils de Todd est même à l'hôpital, ayant reçu un bout de pierre tombale sur le bras.C'est à la fois superbe et consternant. La rëflexion naive de ce dame du XIVeme à sa fenêtre, étonnée par ce rassemblement: «Vous ne me ferez pas croire que tous ces gens-là connaissaient Sartre!» traduisant sans qu' elle s'en doute une inquiétante vérité. Aux obsèques de Victor Hugo il n etait guère de personnes qui ne connussent au moins un vers de Victor Hugo, des titres, quelque chose, et l'histoire de son exil à défaut du reste La, rien. L'immense majorité n'a jamais lu Sartre, ne peut pas le lire; elle enterre un symbole, un porte-parole (mais on ne sait pas laquelle) : à la limite, elle s'enterre elle-même.
Dernière humilité, peut-être, pour aller en pèlerin à la rencontre de l'éternel, qui l'attend, à n'en pas douter. Car peu d'hommes d'aujourd'hui ont connu cette fois sereine, jusqu'au bout, malgré les traquenards du diable et ses garçons.
page 885
Bizarrerie. En rentrant, elle fait un grand détour parce qu'elle ne peut pas passer par le bas de la rue du Montparnasse : allez savoir pourquoi ? S'ils n'étaient pas fous à demi, les écrivains feraient un autre métier.
page 703
On est tout étonné de plaire encore, on se rengorge, on prend cela pour soi, et l'on vous dit un beau matin : "Moi, j'aime les vieux."
page 659
Depuis trente-sept ans, j'avais une glace épatante, où mon image ne changeait pas, parce que ma vue baissait à mesure que j'avançais en âge. Nous étions très contente l'une de l'autre. Et oui on m'a obligé à porter des verres de contact, et je me suis vue, ce qui s'appelle vue. Une vieille horreur ! Ce n'est pas moi, ce ne peut-être moi. C'est comme les photos : toujours trop belles ou trop épouvantables, jamais moi.
page 638
Et je pense soudain, en regardant le jardin, au peu que je sais en botanique. Ce sera un grand regret de quitter cette terre sans même connaître ma voisine, la flore. Ne pas savoir le nom des plantes ni celui des oiseaux : pire qu'une ignorance, une impolitesse envers la nature.
page 576
Cher Clavel, il aimait de Gaulle, Kant et Dieu. Il va rejoindre les deux premiers, mais le troisième sera-t-il au rendez-vous ?
page 537
R. me téléphone de Lourdes. "Ce sera difficile de vous trouver une chambre. La saison est terminée. Pas de miracles en hiver...
page 507
Mais quand je vois ces centaines de livres ouverts par si peu de monde, à quoi bon une vie de souffrance (le bonheur, je n'y crois pas) pour figurer par les "écrivains" ? Si 95% des romanciers avaient cultivé des petits pois au lieu de s'échiner sur des ouvrages oubliés aussitôt parus, la littérature n'en serait pas changée d'un iota. "Chateaubriand ou rien." on en revient toujours à ça.
page 506
Druon, à l'assemblée. Moins ridicule que je ne le craignais pour lui. Mais ses idées, dont il n'amende rien, demeurent consternantes dès qu'il s'agit d'imaginer le futur.
Rendre vie au Palais-Royal, voilà ce qu'il a trouvé ! va-t-on à nouveau y rencontrer des putains comme au XIXe siècle ?
page 428
Hugo, choses vues, 17 juillet 1870 : "Dans cent ans, il n'y aura plus de guerre, il n'y aura plus de pape et le chêne (planté trois jours plus tôt à Guernesey) sera grand" Planter un arbre en juillet ! C'est bien d'un poète. Il n'a pas dû vivre deux saisons. Les autres - pape et guerres - se portent bien, merci.
page 415
Tandis que je roulais vers cette maison, par de petites routes, j'avais l'impression d'être un globule dans les artères de la France, allant du coeur au foie. Un globule qui prend des vacances...
page 409
Julien Green - d'après lui : méfiance mais l'histoire est jolie - va voir les vaches dans une étable à la campagne, et revient, stupéfait "Sais-tu, dit-il à sa soeur Anne, que ces bêtes sont si polies ? Elles se sont levés quand je suis entré."
page 375
Refuse (Chardonne) obstinément de paraître dans le livre de poche : "Je suis très difficile sur la qualité de mes lecteurs ! Je ne veux pas être lu par n'importe qui "
page 287
Ce soir, elle (Madame Eve Delacroix) ira entendre de la musique chez Genevoix. Elle est aux anges, la misanthrope, aux anges. Demain matin, dans son demi-sommeil - qui se prolonge tout de même souvent jusqu'à dix heures, elle l'avoue -, elle rêvera en mesure à son bonheur tandis que les employés de son époux, debout depuis l'aube, travailleront en chantant, "puisqu'ils sont tous heureux", elle en est sûre...
page 278
De Dieu : "Il a tout raté : il est vrai que moi (Chardonne), je n'ai pas à me plaindre, il m'a assez réussi. Mais il a tout a fait négligé Mauriac."
page 265