Citations de Maud Ventura (387)
Je pense que tu te trompes sur toute la ligne. Tu ne t'es jamais dit que ton mari t'aimait plus que toi tu l'aimes ? Tu dis que tu es folle amoureuse de lui, mais ne crois-tu pas que c'est lui le véritable amoureux ? De vous deux, c'est le seul dont l'amour ait dépassé l'amour passionnel des débuts. Toi, tu vis encore dans cette phase d'obsession qui ne dure normalement que les premiers mois d'une relation. Tu ne lui fais même pas confiance, c'est comme si vous n'aviez rien construit ensemble.
Ma fille a aujourd'hui sept ans, presque huit. Quand je lui lis une histoire, j'essaie d'en choisir une où il n'y a pas de prince et où l'amour ne vient pas. Je lui achète des livres aux héroïnes indépendantes qui défient des dragons, voguent sur des navires de guerre, déterrent des ossements de dinosaures. Choisir ce genre de récits fait partie de la responsabilité douloureuse que je ressens vis-à-vis de ma fille. Je veux à tout prix qu'elle ne fasse pas les mêmes erreurs que moi.
À nos débuts, notre paysage amoureux ressemblait à une étendue infinie de dunes ; il évoquait le danger de l'aridité et l'immensité du ciel étoilé, la chaleur étouffante du jour et la froideur soudaine de la nuit. Puis nous sommes devenus un lac : une étendue plate et lisse. J'ai vu mon mari s'habituer à ma présence jusqu'à ne plus la trouver miraculeuse. J'ai vu le désert se transformer en lac.
Pendant que mon mari prend sa douche, je l'attends sur le canapé. J'ai l'impression d'être un meuble moi aussi.
D'ailleurs, j'ai appris il y a peu qu'il y avait deux modes de pensée : certaines personnes pensent sous la forme d'un long monologue intérieur, en formulant de vraies phrases ; quand d'autres réfléchissent au contraire par concepts abstraits.
(p. 324-325)
Je suis amoureuse de mon mari.Mais je devrais plutôt dire: je suis toujours amoureuse de mon mari.
J'aime mon mari comme au premier jour,d'un amour adolescent et anachronique. Je l'aime comme si j'avais quinze ans,comme si nous venions de nous rencontrer,comme si nous n'avions aucune attache ,ni maison ni enfants.
Je l'aime comme si je n'avais jamais été quittée, comme si je n'avais rien appris, comme s'il avait été le premier,comme si j'allais mourir dimanche.(Page 11).
Louise est sublime dans sa longue robe noire, et, je ne peux pas m'empêcher de lui faire remarquer que cette couleur et cette coupe lui vont bien. Je m'en veux au moment même où les mots sortent de ma bouche. C'est un travers que je tente de corriger depuis des années : je commente systématiquement un collier, une tenue, un rouge à lèvres ou un parfum qui me plaisent (il faudrait que je me contente de me renseigner discrètement pour savoir d'où ils viennent et acheter les mêmes plus tard). J'ai toujours éprouvé une admiration démesurée pour les femmes de mon entourage, et le leur faire sentir me place insidieusement en infériorité par rapport à elles. Il faut que j'apprenne à ne pas le faire. A moins le faire. Louise me remercie, mais ne me retourne pas le compliment. Dans les milieux bourgeois, on se complimente peu.
Si j’avais choisi d’être aimée plutôt que d’aimer, j’aurais sans doute été une meilleure mère, j’aurais aussi eu la disponibilité d’esprit nécessaire pour former de belles amitiés et avoir de vraies ambitions de carrière.
Lors de ma première traduction sur la révolution copernicienne (le scandale : nous ne sommes pas le centre du monde, la Terre tourne autour du Soleil, exilée dans un univers infini), je ne cessais de comparer cette découverte scientifique à ma vie sentimentale.
(p. 49)
Si l'on pouvait identifier nos dernières fois avec autant d'évidence que nos premières, il est certain que des milliers de moments seraient vécus plus intensément.
- Tu as oublié ta bague hier soir en rentrant, elle était en bas à côté des clefs ! fanfaronne mon mari en me tendant mon solitaire (objet si bien nommé : je ne me suis jamais sentie aussi seule que depuis que je suis mariée).
Sa naïveté m'est insupportable. Mon mari est tellement certain de mon amour que même ma bague posée en évidence sur le meuble de l'entrée ne lui est pas apparue comme une menace . Mais dans quel monde vit-il ?
Heureusement que ce n'est qu'une fois par an et par enfant. Je suis peut être une mauvaise mère, mais je n'imagine pas qu'un parent, même très aimant, puisse, s'il est sain d'esprit, trouver la fête d'anniversaire de son enfant supportable. C'est ma définition de l'enfer : des enfants bruyants au centre de l'attention, des discussions entre parents qui se jugent avec autant de discrétion que la robe rouge que je porte aujourd'hui (aucune, donc).
Je suis amoureuse de mon mari. Mais je devrais plutôt dire : je suis toujours amoureuse de mon mari.
Depuis que j'ai rencontré mon mari, mes parents, mes soeurs, mes collègues n'ont cessé de commenter mon bonheur. Ils l'affirment tous avec assurance : " Tu en as de la chance". On me dit que j'ai de la chance comme si j'avais gagné mon mari au loto.
Quand j'aime, je deviens sévère, triste, intolérante. J'installe une ombre de gravité autour de mes amours. J'aime et je veux être aimée avec tellement de sérieux que cet amour devient vite épuisant (pour moi, pour l'autre). Bref, j'ai l'amour malheureux.
Excepté mes démangeaisons inexpliquées et ma passion dévorante pour mon mari, ma vie est parfaitement normale. Rien en déborde. Aucune incohérence. Aucune manie.
Il est facile de reconnaître une première fois, mais on sait rarement qu’on est en train de vivre une dernière fois.
Mon mari n'a pas de maîtresse. Et au fond de moi, je le sais bien. Mais même enfoncé en moi, mon mari m'est inaccessible. Même ici, il continue à me manquer très fort. Quand il quitte mon corps, il y laisse une plaie béante, un vide affreux, une blessure prête à s'infecter.
Aujourd'hui, je ne dirais pas que je regrette ce choix, mais je me rends compte que le prix à payer était très lourd, bien plus lourd que ce que j'avais anticipé. Si j'avais choisi d'être aimée plutôt que d'aimer j'aurais sans doute été une meilleure mère, j'aurais aussi eu la disponibilité d'esprit nécessaire pour former de belles amitiés et avoir de vraies ambitions de carrière.
Je ferme les yeux pour me le représenter, mon plus grand bonheur ressemble à une vie restreinte à l'espace de notre maison. Mon idéal serait un tête-à-tête perpétuel avec mon mari : nous sommes tous les deux dans notre salon, nous buvons un café corsé et nous discutons pendant des heures. Parfois, je m'imagine seule sur terre avec lui. J'invente une épidémie foudroyante, une guerre nucléaire dont nous sommes les uniques survivants, une île déserte où nous échouons après un accident d'avion. Quand je pense à mon propre bonheur, il se conjugue systématiquement à deux : nous sommes seuls et nous sommes deux. Je n'y peux rien si mon paradis est le couple, le duo, la paire.