Citations de Maud Ventura (375)
Je déjeune avec une collègue que j’apprécie. On parle de nos élèves (c’est intéressant), de nos maris (c’est le moment que je préfère), de nos enfants (la conversation perd immédiatement en intérêt).
Combien de fois ai-je espéré que mon mari me mente, qu'il me trompe ou qu'il me quitte : le rôle de la divorcée brisée est plus facile à tenir. Il est déjà écrit. Il a déjà été joué.
Ma fille apparaît dans l'encadrement de la porte. Une soirée en tête à tête avec mon mari, ce n'est quand même pas trop demander. On a déjà passé la journée à fêter son anniversaire.
Ma fille murmure qu'elle a mal au ventre. Elle s'assoit sur mes genoux avant d'enfouir son visage dans mon cou. La seule pensée que j'arrive à me formuler, c'est qu'elle est en train de ruiner mon maquillage. Pour la poudre de soleil que j'ai appliquée dans mon décolleté et sur mes joues pour me donner bonne mine, c'est raté.
J’aime nos enfants, c’est une évidence. Je les aime, mais il est également très clair que j’aurais préféré ne pas les avoir. Je les aime, mais j’aurais préféré vivre seule avec mon mari. Aujourd’hui, je crois pouvoir dire avec certitude que je survivrais à la mort de l’un de nos enfants mais pas à celle de mon mari.
Je sais que c’est idiot, mais plus mon mari fait des courses importantes, plus j’ai l’impression qu’il m’aime. C’est comme s’il investissait dans notre couple. Comme le primeur qui pèse les petits sachets en papier, je peux quantifier son amour chaque dimanche à son retour du marché grâce au montant du ticket de caisse abandonné au fond du cabas.
J'aime nos enfants, c'est une évidence. Je les aime, mais il est également très clair que j'aurais préféré ne pas les avoir. Je les aime, mais j'aurais préféré vivre seule avec mon mari. Aujourd'hui, je crois pouvoir dire avec certitude que je survivrais à la mort de l'un de nos enfants mais pas à celle de mon mari.
Le mardi est un jour belliqueux. Pas besoin de chercher des explications compliquées : sa couleur est le noir et son étymologie latine nous apprend que c’est le jour de Mars, le dieu de la Guerre. La prise de la Bastille a eu lieu un mardi. Le 11 septembre 2001 aussi. Le mardi est toujours un jour dangereux.
Je m'approche de mon mari, je suis juste derrière lui, mon souffle dans son cou, l'idée m'effleure de le pousser. Est-ce que j'aurais la force de le faire passer par-dessus la barre d'appui ? Et s'il s'accroche à la balustrade, serais-je capable d'appuyer sur ses doigts pour qu'il tombe dans le vide ? Je sais que oui. Aucune lumière en face, aucun vis-à-vis compromettant, aucun voisin sorti promener son chien tardivement. Je sais que je ne risque rien. C'est à moi qu'appartient la décision : est-ce que mon mari mérite de vivre ? Je n'ai aucun mal à l'imaginer inconscient sur le sol, le crâne fracassé, le sang inondant son cerveau. J'ai encore moins de mal à m'imaginer en veuve inconsolable (le noir va bien aux blondes) – cette femme qui avait tout pour être heureuse, et dont un stupide accident a changé le cours de l'existence. J'hésite, renonce et recule. C'est sûrement une vengeance disproportionnée pour le punir de m'imposer de dormir les volets fermés.
Preuve qu’il n’y a rien entre nous : quand on aime on a encore envie de parler, de se voir, d’être ensemble. Quand on dort, on renonce à l’autre ; dormir, c’est cesser un peu d’aimer. C’est pourquoi j’en ai toujours voulu à mon mari de s’endormir aussi vite en ma présence.
Le mariage, c'est faire des compromis.
Quand mon mari me rejoint enfin, je referme mon livre. Systématiquement, quand mon mari entre dans la pièce, je pose mon roman, je coupe la radio, je lâche ma copie, j'éteins la télévision. Par réflexe, je m'arrête. Je me mets à sa disposition.
Quand je ne suis pas trop absorbée par mes propres pensées .....je joue à un jeu qui peut durer des mois, voire des années. Je me demande pourquoi je pourrais décrire une personne de mon entourage en trois mots....
Il m'a fallu quatre ans pour trouver les trois mots existentiels de mon mari. Pour sentir qu'en trois adjectifs, j'arrivais à faire le tour de lui sans angle mort. Mon mari est donc charismatique, introverti et contradictoire.
Mon mari n'a plus de prénom, il est "mon mari", il m'appartient.
Depuis l'adolescence, je répète le même schéma : j'aime tellement fort que je me consume dans mon propre amour (en analyses, en jalousie, en doutes) - si bien que lorsque je suis amoureuse, je finis toujours par être un peu éteinte. Quand j'aime, je deviens sévère, triste, intolérante. J'installe une ombre de gravité sur mes amours. J'aime et je veux être aimée avec tellement de sérieux que cet amour devient vite épuisant (pour moi, pour l'autre). Bref, j'ai l'amour malheureux.
Le lundi a toujours été mon jour préféré. Parfois, il se pare d'un bleu profond et royal - bleu marine, bleu nuit, bleu égyptien ou bleu saphir. Mais plus souvent le lundi prend l'apparence d'un bleu pratique, économique et motivant, adoptant la couleur des stylos Bic, des classeurs de mes élèves et des vêtements simples qui vont avec tout.
Depuis que j’ai rencontré mon mari, mes parents, mes sœurs, mes collègues n’ont cessé de commenter mon bonheur. Ils l’affirment avec insistance : « tu en as de la chance ». On me dit que j’ai de la chance, comme si j’avais gagné mon mari au loto.
Il change de chaîne, puis éteint. Cet unilatéralisme de la télécommande me questionne : mon mari serait-il autoritaire ? Il ne me demande pas si je veux regardet le film jusqu'à la fin. il ne dit pas, comme les autres maris le font certainement : "On éteint ?" Il ne prononce jamais ces phrases de transition qui peremettent de conclure et de passer à autre chose. Il ne dit pas : " On va se coucher ? " Ses actes se font sans préavis : il saisit la télécommande, éteint la télévision, se lève et monte se coucher. Il ne met pas des mots sur les choses. C'est à moi de comprendre.
Mes écouteurs sur les oreilles, je réécoute notre conversation de ce matin. Je l’ai enregistrée avec mon téléphone portable posé sur la table du petit-déjeuner (à quoi sert la fonction dictaphone, sinon à cela ? Je suis sûre que tout le monde le fait). Le bruit des cuillers et des bols des enfants m’empêche de tout entendre. Heureusement qu’ils chuchotent à table, ou bon nombre de mes enregistrements seraient totalement inaudibles.
Je guette les réponses évasives de mon mari, me concentre sur les choix de ses mots quand il m’annonce qu’il aimerait retourner à la piscine après le travail et qu’il a un dîner ensuite.
A nos débuts, notre paysage amoureux ressemblait à une étendue infinie de dunes ; il évoquait le danger de l'aridité et l'immensité du ciel étoilé, la chaleur étouffante du jour et la froideur soudaine de la nuit. Puis nous sommes devenus un lac : une étendue plate et lisse. J'ai vu mon mari s'habituer à ma présence jusqu'à ne plus la trouver miraculeuse. J'ai vu le désert se transformer en lac.
Le mardi est un jour belliqueux. Pas besoin de charcher des explications compliquées : sa couleur est le noir et son étymologie latine nous apprend que c'est le jour de Mars, le dieu de la Guerre.