Pourquoi diable écrit-on encore des romans ?
Pour passer le temps. Pour laisser une trace. Pour conjurer le néant. Pour sauver ce qui peut l'être, de la folie des gens et des choses.Pour naître à nouveau, l'ayant voulu et en pleine connaissance de cause.Pour recommencer le monde autrement. Pour donner un sens à la vie,à la mort.Pour confier sa peine au papier. Par esprit de délation. Par conviction testamentaire. Pour arracher un peu de beauté à la fuite des jours. Pour s'assurer d'avoir éteint la lumière avant de mourir. (p.157)
Il y a de cela deux ou trois semaines, j'étais assis, mal fagoté, sur un banc du Luxembourg en compagnie de Proust (un livre de poche), je n'avais pas remarqué que ma casquette avait glissé à terre. J'avais oublié - quand on lit un grand écrivain, le monde à l'entour a tendance à s'estomper, voire à disparaître complètement - l'apparence que je m'étais donnée.
Là, plus là.
L'enfant s'amusait à faire disparaître le monde en se cachant la figure dans les mains. En l'observant, j'enviais sa croyance en ses pouvoirs. N'était-il pas le maître de l'être et du néant ? Il se tourna vers moi et m'anéantit aussi sec. Là, plus là : bon résumé de la situation. Il est si difficile d'imaginer ne plus être là.
Les grands voluptueux ne connaissent ni les joies célestes du paradis, ni les flammes de l'enfer, encore moins l'éternité à la petite semaine du purgatoire.
Elle et moi, je le sais désormais de science sûre, nous glisserons dans les limbes, innocentés par l'amour.
Général et agent double le matin, comédien l'après-midi, amant le soir, bonsoir. Et moi, jamais ?
Parmi les figures imposées auxquelles un jeune auteur n'échappe pas,le déjeuner avec l'éditeur est une pièce de choix.La tradition veut qu'il n'ait lieu qu'une fois le manuscrit accepté, on ne déjeune pas avec les refusés. (p.215)
Entre un roman érotique et un roman ordinaire, l’écart selon Baptiste est minime. Ici, le petit oiseau sort au bout de trois cents pages, là il sort dès la première. L’ennui, c’est qu’il ne fait plus que ça. De toute façon, et quel que soit le dispositif, on a toujours affaire, dans l’un et l’autre cas, au couple voyeur/exhibitionniste. C’est le principe même de la lecture. Il est vrai que certains auteurs, particulièrement sournois, retors ou tordus, mettent un temps infini et beaucoup de chichis, à procéder à leur mise à nu, – une œuvre entière, parfois.
(Deauville)
Me voici assis sous la verrière du centre culturel au milieu de la vingtaine d'auteurs venus "attendre leurs lecteurs",derrière un mur de livres.L'exercice est déjà difficile pour un homme moyennement sociable,alors pour moi,qui le suis si peu,c'est un véritable supplice. Je n'ai jamais su faire semblant de m'intéresser à des gens venus faire semblant de s'intéresser à ces bêtes curieuses que sont les auteurs. Et l'admiration est si proche de l' exécration,n'est-ce pas ? (p.102)
Maîtres et Compagnons
Études (Lire écrire, rire )
Automne 95
Parmi toutes les formes de méconnaissance dont peut souffrir un écrivain, il en est de rares et de perverses qui n'ont rien à voir avec la censure ou le refoulement, ni même avec l'incuriosité chronique des faiseurs de réputation. Marcel Schneider n'a jamais été à la mode,sa musique est trop subtile et discrète pour les ouïes autorisées que seul le tintamarre des cymbales médiatique parvient à tirer de leur torpeur.
A son actif, pourtant, une douzaine de romans,six recueils de nouvelles,autant d'essais et de livres sur la musique (ses Schubert et Wagner récemment édités au Seuil sont toujours une référence pour les mélomanes), bref une oeuvre à tonalité fantastique et poétique qui ne laisse pas d'étonner quand on la découvre. (p.421)
Christian Bourgois
On le disait mondain.En réalité, il masquait sous les dehors élégants et désinvoltes du dilettante (au sens fort et original du passionné) un doute lancinant et une profonde mélancolie. Et il était un véritable éditeur, en témoigne son impressionnant catalogue qu'il considérait comme son oeuvre. Cultivé, grand lecteur,travailleur acharné, pas insensible aux modes,plus réceptif aux poètes qu'aux romanciers,mais les narines grand ouvertes au nouveau,il lisait les livres qu'il publiait, prenait des risques, aimait les écrivains et les artistes,savait en parler avec chaleur et pertinence. (p.198)