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Critiques de Mervyn Peake (87)
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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Eh bien quelle visite les amis ! Voici un château dont la plume me hantera longtemps : Celui de Gormenghast avec sa lignée d'aristocrates d'Enfer… tout feu tout flamme ! Ne vous attendez pourtant pas à un château plein de fantasy ni d'horreur. C'est un roman d'ambiance gothique, à découvrir pour sa plume ensorceleuse, qui donne vie à ces 400 pages… d'Enfer ! le cycle de Ghormenghast raconte son histoire en 3 tomes (1100 pages). Ce tome 1 est consacré à Titus d'Enfer, du nom de l'héritier qui y naît enfin.





Sous peine, comme ses habitants, de se laisser engloutir par ses ténèbres, Gormenghast est un château que le lecteur doit activement explorer. La plume de Mervin Peake est le meilleur guide : animiste, espiègle, qui fait à elle seule tout le charme de l'histoire et des personnages. Ceux-ci, pour la plupart, n'ont rien d'autre à faire que de comploter les uns contre les autres. Car sous ses faux airs immuables, imperturbables et placides des grandes lignées, une rude bataille de pouvoir est livrée au fin fond de ce château, personnage principal d'une famille entièrement régie par les rituels, et au sein de laquelle chacun a sa place bien déterminée ; Mais ce n'est pas toujours celle qu'il ou elle voudrait… Des gens de sang aux domestiques, tous désirent ce qu'ils n'ont pas : la liberté des uns, le pouvoir des autres, la jeunesse ou l'expérience… l'amour.





« Ce n'était pas souvent que Craclosse contemplait d'un oeil indulgent le bonheur des autres. Il voyait dans le bonheur les germes de l'indépendance, et, dans l'indépendance, ceux de la révolte. »





Et si l'équilibre est bousculé dans le château ancestral du Comte d'Enfer, de son épouse qui parle aux oiseaux (!) et de sa fille évaporée qui nous le fait visiter, c'est que l'héritier tant attendu, Titus d'Enfer, naît le jour de notre arrivée au château. Branle-bas de combat aux cuisines, si goulument décrites, pour le valet personnel du comte bientôt menacé, pour la vieille nounou qui doit trouver une femme au village pour allaiter l'enfant en restant indispensable, pour le canonique maître du rituel et son fils encore plus momifié, pour les tantes jumelles jalouses de l'héritier qui sont prêtes à tout pour prendre sa place, bref : bienvenue au musée des horreurs, où chaque portrait est dépeint comme les bocaux de ces savants fous, faisant naître en nous la vision d'un secret cabinet de curiosités, que la plume virtuose de Mervin Peake chatouille et anime sous nos yeux ébahis. Oui, décidément, l'atout majeur de ce livre est cette plume qui dessine chaque personne et chaque objet, animant chaque détail grâce à ses descriptions quasi-vivantes.





« Nannie Glu tourna ses yeux bordés de rouge vers l'homme imberbe, à la tignasse en bataille et dont les prunelles nageaient comme deux méduses derrière les verres de ses lunettes ».





L'auteur a un don sans pareil pour décrire cet univers gothique de la manière la plus imagée possible. C'est peut-être que, comme Maryam Petrosyan lorsqu'elle a écrit sa sublime et labyrinthique « Maison Dans Laquelle », l'auteur a d'abord dessiné son univers avant de nous le livrer, ce que l'on ressent véritablement à la lecture. Il faut dire que le dessin est autant son univers que l'écriture, puisque ce sont très certainement les illustrations de Mervyn Peake que vous avez à l'esprit lorsque vous pensez à Alice Au Pays Des Merveilles !





Pour autant, comme dans toute maison où l'extraordinaire devient l'ordinaire, on pourrait s'ennuyer si l'auteur ne nous dispensait pas quelques menues aventures, des explorations insolites de ce château qui fait rêver, d'innocentes magouilles ou de plus machiavéliques intrigues, certaines luttes de pouvoir, quelques tentatives de meurtre et, comme dans tout catacombe d'un château de cet envergure… quelques cadavres ! Ajoutez à l'ambiance les noms des personnages qui correspondent à leurs porteurs, et vous aurez un aperçu de cet univers truculent : Glu (la nounou pot de colle), Lenflure (l'enfoiré de cuisto qui pimente l'histoire), Finelame (le commis de cuisine arriviste qui fera l'histoire en manipulant tout le monde), Salprune (le docteur qui lève le coude mais a beaucoup de finesse), Craclosse (le vieux valet sur la sellette) et j'en passe, sans compter le comte d'Enfer lui-même — qui en vit un, dans la prison dorée de sa maudite lignée.





« Nannie Glu entra, portant dans ses bras l'héritier de millier d'hectares de pierres croulantes et de vieux ciment, l'héritier de la tour des Silex et des douves stagnantes, des monts déchiquetés et du fleuve glauque où, douze ans plus tard, il irait pêcher les poissons hideux de son héritage. »





Où en sera-t-on douze ans plus tard ? A nous de le découvrir, en lisant la suite !
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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Mervyn Peake était peintre, romancier, et poète. Rien d'étonnant alors à ce que la trilogie de Gormenghast, dont « Titus d'Enfer » est premier tome, soit une oeuvre lyrique fascinante construite comme un tableau.



*

J'ai été extrêmement sensible à ce récit unique, dont l'écriture, poétique, enchanteresse, angoissante, monstrueuse, m'a transportée par son imagination incroyable et sa beauté littéraire.

Chaque scène est décrite avec une minutie de détails, et peu à peu, l'auteur dessine un monde clos et lugubre, un ilot ceinturé de hautes murailles perdu au milieu d'une forêt dense et profonde.



*

Mervyn Peake a réussi à concevoir un ensemble baroque totalement fascinant, troublant, tant l'atmosphère et les personnages sont sombres, mystérieux et je dirais presque surnaturels. J'ai eu l'impression d'être plongé dans l'univers poétique et décalé de Tim Burton.

Si le titre fait référence à Titus, le nouveau-né de la famille d'Enfer, le personnage principal de ce récit est sans aucun doute le château de Gormenghast.



Par certains côtés, il est omniprésent, et donne l'impression d'une masse vivante, imposante, oppressante, intimidante, rampante, vorace, rongée par le temps. On l'imagine aisément, avec tout un labyrinthe de couloirs sinueux et de galeries étroites, de passages secrets, d'escaliers sombres, de greniers poussiéreux, de tourelles et de sculptures menaçantes, remarquable bestiaire fantastique de pierre grisâtre.



Par d'autres côtés, je l'ai perçu à travers un filtre d'irréalité et d'étrangeté. J'ai eu l'impression de voyager le temps d'un songe, ou peut-être bien de vivre dans un autre temps.

En tous les cas, ce monde m'est apparu sous la forme d'un vieux film en noir et blanc. J'ai été captivée par la vision brumeuse qui m'a été offerte, dans laquelle les formes, les lumières, les ombres saturés d'encre de Chine et d'argent se révélaient.



Sur le papier, se dessinent ainsi, peu à peu, le château maudit de Gormenghast, un monstre inquiétant et tortueux dont on sent la respiration et les murmures. Ses contours labyrinthiques créent immanquablement un contraste saisissant d'ombres et de ténèbres transpercées d'éclats de lumière.



« Gormenghast, du moins la masse centrale de la pierre d'origine, aurait eu dans l'ensemble une architecture assez majestueuse, si les murs extérieurs n'avaient été cernés par une lèpre de demeures minables. Ces masures grimpaient le long de la pente, empiétant l'une sur l'autre jusqu'aux remparts du château, où les plus secrètes s'incrustaient dans les épaisses murailles comme des arapèdes sur un rocher. Une ancienne loi permettait à ces taudis de vivre dans une intimité glaciale avec la forteresse qui les surplombait. Sur les toits irréguliers s'allongeaient, saison après saison, les ombres des contreforts rongés par le temps, des tourelles altières et brisées, et surtout la grande ombre de la tour des Silex. Cette tour, irrégulièrement mouchetée de lierre noir, s'élevait au milieu des créneaux en coup de poing de la maçonnerie comme un doigt mutilé, blasphématoire, vers le ciel. Les hiboux, la nuit, en faisaient un gosier plein d'échos. le jour, elle restait muette dans son ombre portée. »



Je me suis attachée à ce vieux château délabré qui garde tout de même une certaine majesté. Mais que serait Gormenghast sans ses habitants ?



*

Dans ce décor sinistre très cinématographique, chaque personnage est remarquablement et follement mis en scène. Mervyn Peake joue avec sa plume, écrivant tour à tour, de manière subtile, délicate, excessive ou outrancière. Chaque portrait s'inscrit dans la mémoire du lecteur par son étrangeté et ses descriptions caricaturales et grotesques.



Dans la famille « d'Enfer », je demande le père, Lord Tombal. Homme solitaire, mélancolique et taciturne, il ne vit que pour ses livres. Je voudrais également Dame Gertrude, son épouse, celle qui m'a fait la plus grosse impression. Femme rêveuse et effrayante, elle vit retranchée dans sa forteresse au milieu d'oiseaux de toutes sortes et des chats immaculés.



« La comtesse descendit enfin de l'échelle à pas de mammouth. Quand elle eut de nouveau les deux pieds sur le sol, elle se dirigea vers le lit sombre, alluma la mèche d'une bougie à demi fondue et, s'adossant aux oreillers, modula entre ses longues lèvres un sifflement d'une douceur particulière.

Elle ressemblait à un arbre d'hiver, soudain gigantesque, paré de son feuillage d'été. Pourtant, ce n'était pas d'épaisses frondaisons qu'elle était couverte, mais d'oiseaux. Cent paires d'yeux étincelaient comme des billes de verre à la lueur de la bougie. »



Vient après, leur fille Fuchsia, jeune fille sombre, sensible, en manque d'affection, et le fils, Titus, futur maître de Gormenghast. Mais pour l'instant, ce petit être au visage disgracieux, abandonné entre les mains du personnel, suscite l'indifférence la plus totale de sa famille.

Pour compléter le tableau de cette famille peu conventionnelle, les deux vaniteuses tantes, Clarisse et Cora, deux jumelles ivres de pouvoir et de reconnaissance.



*

Dans la famille « Personnel de maison », je demande, l'arachnéen et taciturne valet personnel de Lord Tombal, le dénommé Craclosse. Puis, j'appelle le burlesque docteur Salprune et sa lassante soeur Irma, Grisamer le maître des cérémonies et garant du respect des traditions ancestrales, la vieille gouvernante Nannie Glue, Keda la nourrice, Finelame le jeune commis perfide, arriviste et beaucoup trop intelligent et enfin, pour finir, Lenflure le chef-cuisinier pervers et haineux, dont voici une description de l'auteur :



« Il dévore maintenant la double file des maigres apprentis, comme un calmar prêt à avaler une créature des profondeurs. Buvant des yeux les jeunes garçons, le chef sent un frisson sensuel lui parcourir la moelle, car il sait que son pouvoir est absolu. »



*

Les acteurs de l'intrigue sont maintenant au complet, tous les ingrédients de la tragédie sont présents.

Le jeu peut commencer.



« Dans leurs prisons d'argile, les passions allaient butiner maintenant dans les alvéoles de pierre. Il y aurait des pleurs, et il y aurait d'étranges rires. Des naissances et des morts sous les plafonds ombrageux. Et des rêves. Et de la violence. Et des charmes rompus. »



Alors que certains habitants du château vivent dans un quotidien monotone, fastidieux et routinier, indifférents au monde qui les entoure, soumis à des rites aussi immémoriaux que désuets, d'autres avancent leur pion, intriguent et manipulent.



« Les choses doivent être justes. Pourquoi ne le sont-elles pas ? À cause de l'ambition, de la cruauté, de la course effrénée au pouvoir. C'est à cela qu'il faut mettre fin. »



*

Transporté à la fois dans un monde réel, écrasant et fantastique, je me suis délectée de cette ambiance gothique totalement décalée. le monde de Mervyn Peake m'est apparu magique, sombre, excentrique, décalé, onirique, mais aussi très réaliste par les sombres pensées de ses habitants, leurs passions et leurs ambitions mesquines et viles, tout à fait humaines.

La psychologie des personnages est très bien décrite. Ils apparaissent détestables, attendrissants, pathétiques, sournois, monstrueux, charmants, sympathiques, ou irritants. Avec une pointe d'humour et d'ironie, l'auteur révèle leurs obsessions, leurs singularités, leurs désirs, leurs doutes, leur fragilité, leur folie qui se mêlent aux dédales de Gormenghast.



« Les ténèbres résonnaient de passions de plus en plus menaçantes, haine, colère, douleur, et les voix de meute de la vengeance. »



*

Premier tome d'une série de quatre, « Titus d'Enfer », écrit en 1940, est une magnifique surprise. L'auteur a pris son temps pour peindre un univers envoûtant au réalisme magique. Grâce à une imagination délirante et foisonnante, les magnifiques décors s'installent progressivement pour dévoiler des personnages inoubliables et une intrigue habile.

Certains lecteurs pourraient parler d'OLNI pour caractériser ce roman atypique et original, mais c'est assurément pour moi un très beau coup de coeur que je dois à Onee. Je ne connaissais ni l'auteur, ni ce roman, mais sa superbe critique m'a convaincue. Je vous engage à la lire et à lire ce roman pour vous faire votre propre avis.
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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Gormenghast est un immense château dressé au cœur des montagnes. C’est un lieu étrange et labyrinthique sur lequel règne l’antique famille des comtes d’Enfer dans les membres semblent vivre ensemble dans une sereine indifférence. Lord Tombal, le chef de famille, passe ses journées enfermé dans sa bibliothèque et cloitré dans sa morne mélancolie, tandis que son épouse communique uniquement avec sa horde de chats et d’oiseaux, dédaignant la compagnie des humains. Leur fille Fuchsia est une adolescente rebelle et fantasque que son imagination trop vive isole du reste du monde. Autour de cette famille peu ordinaire, gravite une nuée de domestiques tous plus excentriques les uns que les autres : le squelettique Cracloss valet de chambre du comte, l’énorme Lenflure le chef-cuisinier, le docteur Salprune, etc. Tout ce petit monde règle son existence sur une suite de rites aussi anciens qu’abscons et les jours s’écoulent ainsi à Gormenghast, monotones, répétitifs, sans surprise… Jusqu’au jour où un héritier mâle voit le jour au château : le petit Titus d’Enfer ! Conjuguée aux ambitions d’un jeune cuistot brillant et malveillant, le rusé Finelame, sa naissance va déclencher une foule d’événements inattendus qui mettront sens dessus dessous les vies bien ordonnées des habitants de Gormenghast.



Premier tome de la trilogie de Gormenghast, « Titus d’Enfer » est un roman des plus troublants, si troublant que j’ai eu un peu de peine à m’y immerger. Tout d’étrangeté, de poésie vaguement cauchemardesque, de folie douce et de mystère, l’univers mis en place par Mervyn Peake ne ressemble à nul autre. Cette bizarrerie omniprésente peut séduire, mais également s’avérer difficile d’accès, selon les lecteurs et leurs affinités. En ce qui me concerne, il m’est arrivé à plusieurs reprises de décrocher légèrement du récit : l’intrigue me paraissait trop immatérielle, les personnages intéressants mais trop archétypaux pour susciter vraiment la sympathie, leurs sentiments trop outrés… En clair, tout ceci était fort beau et magnifiquement écrit, mais un peu trop abstrait pour que je puisse totalement y adhérer. Malgré cette impression de rester un peu à la surface des choses, j’ai pris beaucoup de plaisir à ma lecture et je ne manquerai pas de me plonger dans le tome suivant – d’autant que j’ai bon espoir de trouver dans le jeune Titus (qui pour l’instant manque un peu de présence ; faut dire qu’il n’a qu’un an, le pauvre chou) un personnage auquel m’attacher davantage.



En conclusion, « Titus d’Enfer » est un roman doté d’évidentes qualités et qui n’a pas volé sa place de classique de la littérature fantastique, mais peut-être légèrement hermétique pour qui aime les intrigues plus concrètes et les personnages moins évaporés. Affaire à suivre, tout de même !

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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Trouverons nous un jour la clé de ce mystère insondable : mais qui donc écrit les quatrièmes de couverture ? Quel esprit pervers balade les lecteurs entre Charybde « Fallait pas lire, je spoile » et Scylla « Achète toujours, je raconte n'importe quoi »?

En l'occurrence, c'est sur l'écueil Scylla que j'ai failli échouer, partie joyeusement à la découverte d'une « famille farfelue » dans la matrice de la fantasy anglo-saxonne. Sauf que « farfelu » invite à la légèreté et à l'espièglerie, tandis que la famille d'Enfer navigue plutôt entre neurasthénie et tragédie, promenant son ennui (et parfois le nôtre, avouons-le) dans le lugubre et merveilleux château de Gormenghast qui fait irrésistiblement penser au palais de Xanadu dans le poème de Coleridge.

Oui, car ce livre est un long poème stupéfiant, à tous les sens du mot, qui à la fois étonne et engourdit comme une suite d'arrêts sur images qu'un pouce languissant fait défiler dans un flip-book. « Une lune gibbeuse se levait. La terre et les arbres étaient marbrés de taches noires et blanches dont les reflets nacrés se déplaçaient lentement. Une brume impalpable et brillante comme une huître passait au-dessus de sa tête. »

Bon, alors ça raconte quoi? Euh... Laissez-moi réfléchir. Une famille corsetée par une étiquette absurde et immuable glisse dédaigneusement au milieu de serviteurs grotesques et énigmatiques dans un château dédaléen. À moins qu'il ne s'agisse de LA famille, forcément conservatrice et névrosée (« névrosante » me plairait bien, mais ça ne doit pas exister). Ou de notre société à la dérive. On ne sait pas. Et on s'en fiche. La lune est gibbeuse. Craclosse part affronter Lenflure. le lecteur commence à se dire qu'en presque 600 pages un combat à mort, alors qu'un incendie a déjà eu lieu, c'est un peu trépidant comme rythme. Ça y est, il est pris. Il se retient de tourner la page et savoure l'instant étiré. Il n'en veut plus à l'auteur inconnu du « farfelue ».

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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Lire ce premier tome de la trilogie de Gormenghast, c’est plonger dans un univers unique, à part, un voyage dans un onirisme sombre, créé de toutes pièces par le peintre, romancier et poète Mervyn Peake. C’est un voyage hors normes dans cette famille aristocratique particulière que sont les d’Enfer (rien à voir avec Cruella), comtes de père en fils sur un territoire (à défaut de pouvoir lui donner un nom précis ; sommes-nous dans un pays particulier ? Un royaume ? Rien ne l’indique), et gardiens d’une tradition familiale plusieurs fois séculaire.



A l’ouverture du roman c’est le soulagement : la comtesse vient d’accoucher d’un garçon, Titus, plus d’une dizaine d’années après la naissance de l’aînée, Lady Fuschsia. La lignée va donc se poursuivre, la comtesse se mettre au vert avec ses oiseaux et sa mer de chats, la maisonnée tourner à nouveau au rythme de rites dont les origines et le sens sont depuis longtemps perdus, et les domestiques mener leur service tout en cherchant à se tuer (l’affreux cuisinier Lenflure – qui porte tellement bien son nom – et Craclosse, le majordome du comte d’Enfer, se vouant tous deux une haine sans bornes) ou bien à intriguer pour s’assurer une position dominante (le jeune, ambitieux et cruel Finelame).



L’intrigue du roman est plus que mince mais pour une fois ce n’est pas un inconvénient, bien au contraire, l‘intérêt du roman se situant dans l’univers que dresse Mervyn Peake, peuplé de personnages tous plus extraordinaires et extravagants que les autres, au premier rang duquel le château de Gormenghast, personnage principal incroyable avec ses tours crénelées dans l’une desquelles nage même une jument blanche et son poulain (normal…), ou d’où sort un arbre gigantesque… Gormenghast forme ainsi son propre écosystème, avec ses enceintes qui protègent ses habitants du monde extérieur, ceux-ci n’en sortant jamais et étant rarement en contact avec le peuple vivant à ses abords, les Brillants Sculpteurs, dont l’occupation principale est de réaliser des œuvres dont certaines seront exposées dans la galerie du château que personne ne visite jamais. A l’instar du château, les personnages ont ainsi tous une particularité physique (Craclosse et sa démarche arachnéenne et claquante due aux articulations de ses genoux, l’obésité fantastique de Lenflure, le rire agaçant plein de dents étincelantes et carnassières du docteur Salprune, etc.) souvent un peu ridicules par certains aspects. Curieux monde dans lequel d’ailleurs le système de classe se trouve malmené et bouleversé, valetaille et maîtres passant leur temps ensemble, voire même inversé, avec les intrigues de Finelame qui réussit à dominer psychologiquement les deux vieilles jumelles, Lady Cora et Lady Clarice, après avoir fait ce qu’il voulait d’Irma Salprune, la sœur du docteur particulier de la famille.



Un monde régi aussi par l’absence de signification : les Brillants Sculpteurs échangent leurs œuvres pour quoi ? Pouvoir se promener sur les remblais du château (quelle utilité ?). A quoi servent les rites ? On ne sait plus. Et l’incendie de la bibliothèque, orchestré par Finelame ? Que va-t-il en retirer ? Du pouvoir, mais auprès de qui ? Aucune réponse précise n’est apportée.



Le récit est également servi par une écriture protéiforme, tantôt très réaliste dans ses descriptions, tantôt épique (la bataille de Lenflure et Craclosse), avec parfois des traits d’humour savoureux. Mervyn Peake était peintre et ça se sent, les images venant facilement en tête grâce à cette écriture volontiers hyperbolique et volubile confinant au cinématographique. J’ai ainsi eu l’impression de lire une rencontre entre Tim Burton (la scène des jeunes commis de cuisine m’ont fait penser aux Oompa Loompa de « Charlie et la chocolaterie »), Jean-Pierre Jeunet et Wes Anderson (pour « La famille Tenenbaum » et ses membres si particuliers). Un voyage détonnant et original, que je n’aurais pas découvert sans la superbe critique de @HundredDreams que je remercie chaleureusement et dont je vous conseille la lecture (si ce n’est pas déjà fait).

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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Est-ce que la littérature de l'imaginaire est considérée comme un genre peu noble ? Pourquoi Mervyn Peake est-il si peu lu en France ? Il y a des amoureux de Tolkien, pourtant. Il y a des amoureux de Lovecraft, aussi. Et Mervyn Peake ? On en parle ?

C'est l'un des auteurs cultes de la fantasy, de ce genre qui concilie le merveilleux et le fantastique. «Le texte de fantasy doit provoquer chez le lecteur, selon J. R. R. Tolkien lui-même, awe and wonder, effroi et émerveillement». (La Fantasy, Jacques Baudou) . Aux sources de la fantasy, il y a le mythe mais aussi le conte populaire, la tradition orale, les contes de fées ou les histoires pour faire peur. La littérature médiévale mêle la mythologie celtique à la tradition chrétienne. William Shakespeare nous fait rêver avec certaines de ses pièces féériques. « Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. » Avant Tolkien, il y a Lewis Carroll ( et Mervyn Peake, cet amoureux du nonsense, illustre Alice au pays des Merveilles). Il y a encore le fameux Neverland de Peter Pan. Et Mervyn Peake alors ?



Mervyn Peake, auteur- illustrateur, a une vision. Il est fantasque, familier, drôle, capricieux , étrange, effrayant. "D'un côté, des lignes pures, comme tracées de bout en bout à la main levée, et de l'autre le sens de l'absurde et de la dérision, la poésie baroque et la drôlerie, les détournements de la culture populaire." "Toute l'ambiguïté fascinante de M. Peake se trouve dans cette confrontation parallèle de deux types de trait : d'un côté, des lignes ténues, fragiles, qui oscillent entre beauté et laideur, vérité et caricature, préfigurant de manière saisissante les tracés à main levée de Moebius, et de l'autre, plus complexe, plus méticuleux, tissant des réseaux de hachures, structurant à l'encre de Chine les volumes alors que le pourtour des objets ou des personnages disparaissent progressivement, comme dans Alice au pays des merveilles". (Gyger Patrick et Jaccaud Frédéric, « Lignes de fuite, Mervyn Peake ») Après son expérience de la guerre, il fait des dessins plus sombres, plus effrayants, les symboliques sont sensiblement différentes, comme ses illustrations de Coleridge, terribles. Chez Peake, il y a un style personnel, original, propre au mythe des origines, qui préserve l'imaginaire de l'enfance mais qui me rappelle un peu, aussi, le grotesque des figures de Goya. C'est un créateur burlesque, ambivalent, protéiforme, polyvalent, qui préserve l'innocence du regard, qui prépare à l'expérience, un peu comme William Blake qui était à la fois graveur et poète. C'est dire à quel point l'oeuvre est un véritable petit bijou, que je recommande à tout amateur de fantasy. Intéressez-vous à la littérature jeunesse de Mervyn Peake si vous manquez du temps nécessaire pour dévorer les trois tomes de sa trilogie, son oeuvre la plus célébrée.



On parle à propos de Gormenghast de roman gothique, et je suis d'accord parce que ce château est en effet un personnage à part entière, une véritable forteresse, moyenâgeuse, avec ses tours, ses meurtrières, ses recoins inexplorés, ses zones d'ombres, inquiétantes. Le Château d'Otrante d'Horace Walpole se trouve dans ma liste de livres que je meurs d'envie de lire. Je me demande si j'y retrouverai cette fascination pour l'architecture. Gormenghast reste jusqu'à présent le château le plus fantasmagorique à mes yeux, on dirait « La Maison des Morts » d'Apollinaire.

Depuis la naissance de l'héritier du comte d'Enfer, le temps est suspendu. On nous annonce quelque chose, une menace qui plane. Il y a une sacrée tension entre l'évènement et l'éternité, inhérente au château qui n'a pas d'âge. On entend le silence, cependant. Tout est savamment orchestré par le Maître du Rituel mais le sens des rites ancestraux nous échappe. Rien ne bouge mais ça grouille, ça fourmille, depuis les cuisines jusque sur les toits du château, et au-delà.

Il y a du grotesque chez Peake, un peu comme chez Rabelais, avec ces personnages énormes, comme Lady Gertrude, Lenflure, ou ces personnages tout en articulations qui craquent comme Craclosse ou ces petits êtres qu'on ne remarque qu'à peine, insignifiants jusqu'à ce qu'on mette la lumière sur eux, comme Titus. J'avoue avoir un faible pour Lord Tombal (Lord Sepulchrave dans la version originale), le père, l'absent, l'amoureux des livres. J'admire aussi celui qui surveille les statues, celles qui restent figées pour l'éternité, et ils prennent tous la poussière, les statues comme les hommes.. Ils sont tous incroyables, vraiment, c'est une galerie à découvrir, comme dans un musée de curiosités hétéroclite.



N.B : J'ai puisé dans des vieilles fiches de lecture retrouvées au fond d'un carton pour rédiger cette critique, à propos de la fantasy surtout, et je dis merci à M. Baudou pour toutes ces références sur ce genre si difficile à saisir, parce que les définitions diffèrent indéfiniment. L'oeuvre de Mervyn Peake ne se limite pas à la fantasy ; et le troisième tome de la trilogie relève d'un genre à part, parce que c'est plus sombre et plus flou et plus fou.
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Le Cycle de Gormenghast

Cet ouvrage rassemblant les 3 volumes plus une nouvelle, qui elle-même participe à l œuvre, est un pur joyaux de littérature, inclassable et terriblement addictif. Deux mois que je vis à Gormenghast (j ai lu lentement...) que je partage la vie de Titus de Fuchsia de Craclosse et des autres personnages atypiques de ce livre. Ce monde merveilleusement glauque est en effet très "visuel" de part les descriptions des lieux. L ambiance de ce château labyrinthique est terriblement bien rendu. C est une plongée à laquelle nous invite Marvyn Peake, une descente dans un inter-monde où les coups bas, les affrontements, mais aussi l amour, l éveil s'entremêlent dans cet endroit unique dans la littérature.
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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Un héritier vient de naître à Gormenghast. Il est le soixante-dix-septième comte de la lignée d’Enfer. « La comtesse venait d’avoir un fils. Était-ce le moment de se montrer raisonnable ? » (p. 33) Pourtant, cette grande nouvelle agite bien peu le château dont rien ne semble pouvoir briser l’éternelle routine. Lord Tombal n’est pas un père comblé et lève à peine le nez de ses livres et de sa profonde mélancolie. Lady Gertrude ne pense qu’à retourner à ses chats blancs et à ses oiseaux. La jeune Lady Fuchsia est bien un peu furieuse de ne plus être fille unique, mais elle oublie vite cette contrariété pour retourner dans son monde imaginaire et son grenier plein de bric-à-brac. Ils ne sont pas nombreux, ceux que cette naissance émeut. Il y a Craclosse, le fidèle et dévoué valet de Lord Tombal. « Craclosse fut saisi d’épouvante par quelque chose dont il ne pouvait encore saisir toute la signification, mais qui le submergeait d’horreur. » (p. 248) Il y a Nannie Glu, vieille femme minuscule qui ne cesse de s’affairer dans le château et qui semble le tenir à bout de bras. Et il y a Finelame, employé ambitieux échappé de l’enfer des cuisines et bien décidé à prendre la place du nouveau-né sur le trône de Gormenghast. En coulisse, l’énorme et écœurant Lenflure, chef cuisinier, semble ourdir un terrible plan. Les vieilles jumelles Cora et Clarice ruminent de poussiéreux rêves de pouvoir. Grisamer, maître du rituel, veille que tout se déroule comme cela s’est toujours déroulé. Car elle est là, la grande malédiction de Gormenghast : la lignée des comtes et le vieux château décrépi sont figés dans un cérémonial sans cesse répété. « On ne savait plus ce que signifiait ce rite, car les archives avaient disparu, mais quoique inintelligible la cérémonie n’en était pas moins sacrée. » (p. 346) Et voilà que Titus, à peine âgé de quelques jours, commet son premier sacrilège envers Gormenghast. Le jeune héritier sera-t-il le sauveur ou le destructeur de la lignée d’Enfer ?



Quelle délicieuse étrangeté dans l’atmosphère de ce roman qui oscille entre gothique et baroque ! Les couloirs sombres et labyrinthiques semblent abriter à la fois la pire des menaces ou la plus folle des extravagances. Les pièces dissimulent des arbres, des bibliothèques gigantesques et des prisons dont on ne peut pas s’échapper, sauf par la fenêtre. Le lierre et la mousse montent à l’assaut des pierres depuis des siècles et personne ne s’étonne de la vieillesse des lieux. Serré dans l’ombre du château, le village abrite des silhouettes informes qui n’existent que par la grâce de Gormenghast et qui participent chaque année à la grande cérémonie des sculptures, autre rite insensé qui perdure depuis le premier comte d’Enfer. Il est donc temps que les choses changent. Nourrisson encore innocent, Titus porte en lui les germes de la nouveauté, pour le pire et le meilleur. « Le cycle de douze mois était achevé, et Titus venait d’entrer dans sa seconde année – une année qui, à peine entamée, allait être le théâtre d’un déchaînement de violence dans l’air empoisonné de Gormenghast. » (p. 480)



J’ai été subjuguée par ce roman étrange et irréel. Et je suis convaincue qu’il doit être savoureux de le lire en anglais pour profiter des noms originaux des personnages qui, traduits, correspondent déjà parfaitement au caractère des protagonistes. La suite, très vite !
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Lettres d'un oncle perdu

"Voilà, neveu, je dois terminer cette lettre. Je ne voulais pas l'écrire, mais je suis content de m'être forcé à le faire. Misère de moi ! Mais c'est que j'ai un joli brin de plume. Peut-être qu'un jour je reviendrai en Angleterre ! En attendant, je suis entouré par tout ce que j'aime : traîneaux, kayaks, phoques et chasseurs de baleine. Jackson vient de franchir le seuil de l'igloo. Il a l'air très excité. Oh chailerie ! Qu'il est maladroit : il vient de trébucher sur ma jambe - épée et il a renversé tout le café sur cette page. Misère de lui !"



Aventures et humour pour ce classique Anglais illustré et écrit par l'auteur.



La publication originale date de 1948.



Un livre trouvé à la boîte à livres de mon quartier.



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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Premier tome de cette trilogie que j'ai trouvé en bourse aux livres.

Le moins que je puisse dire c'est que c'est un roman fascinant où l'auteur a une imagination débordante et un humour féroce ; il mêle le tout dans une fiction étrange voire inquiétante.



Tout est bizarre dans ce Château de Gormenghast accroché à flanc de montagne .

Dans un monde impossible l'irréel côtoie une réalité sidérante où se nouent et se dénouent le destin de tous les protagonistes.



Les descriptions des lieus comme des personnages sont minutieusement décrits avec application et délectation. C'est vraiment jubilatoire et passionnant de bout en bout.





A découvrir cette famille farfelue les d'Enfer :

- Lord Tombal d'Enfer passionné par son immense bibliothèque,



- Son épouse Lady Gertrude qui ne vit que pour ses magnifiques chats blancs et les oiseaux de toutes sortes qui vivent avec elle et sur elle 24 heure sur 24,



- Lady Fushia , leur fille adolescente qui s'invente un monde loin de tous dans le grenier poussiéreux au-dessus de sa chambre,



Mais aussi les deux tantes exactement identiques pas très fûtées ; puis Craclosse, Lenflure, Grisemer, Nannie Glu, Dr Salprune,Finelame et toute la valetaille dont le petit peuple des sculpteurs qui vivent dans des huttes au pied du château.



Quelle fantastique écriture ; j'en redemande, il me faudra donc trouvé les deux tomes suivant pour savoir ce qui se passe après le sacre de Titus, enfant de Lord Tombal et Lady Gertrude.



" Nous ne savons pas, mais en lisant Mervyn Peake, il semble toujours que nous attendions l'aurore".





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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Au début, j'ai eu un peu de mal à trouver un point d'entrée dans cet immense château. Où m'étais-je aventuré, et qui étaient ces personnages un peu laids, se livrant à des dialogues hésitants autour de sculptures que nul ne venait contempler ? Cela m'a laissé perplexe, mais il y avait déjà cette langue foisonnante et très visuelle, tissant des descriptions pleines de détails raffinés, dont il serait criminel d'isoler des parties pour les citer ici, car chaque segment de texte n'exprime toute sa beauté qu'au sein d'un ensemble plus large (généralement long de plusieurs paragraphes au moins). Comme un tableau.



Et puis, lors de mes errances des chapitres suivants, les tableaux se sont succédé, toujours plus intrigants... mais pas encore unis par une intrigue.



Jusqu'à ce qu'un frêle garçon initie un mouvement, et commence à me montrer un chemin à travers les structures gigantesques du château. Entraîné dans le sillage de sa grisante ascension, il me fut impossible de ne pas m'identifier un peu à lui, et de trouver de bons côtés aux coups de pieds cruels qu'il allait donner dans la fourmilière poussiéreuse de Gormenghast.



Finelame*, car tel est son nom, est le seul à vouloir imposer un changement, à vivre une aventure dans un univers qui resterait autrement figé, condamné à répéter sans cesse les mêmes motifs, sous la forme d'un rituel immémorial, placé entre les mains de figures maladives et obtuses, qui semblent conservées au-delà de leur existence naturelle par ce rite (la comparaison avec le château décrépit s'impose). le rituel ne nous est que très rarement montré, et toujours sous des aspects absolument ridicules, mais chacun s'y plie. Comme aux règles d'un roman s'écoulant platement du début à la fin.



Et dans ce roman, la présence de Finelame joue donc le rôle d'élément perturbateur. Les autres personnages, en interagissant avec lui et en subissant les retombées de ses actions, acquièrent plus de relief, confrontés à ce changement qui remet en cause leur inertie.



Ils se dévoilent donc, d'abord en préambule dans leur attitude typique, puis dans le sillage de l'apparition de notre "héros", ils acquièrent plus de vie et de couleurs, de même que les combles et autres soubassements en ruine du château de Gormenghast, théâtre de leur agitation soudaine. Chaque chapitre nous présente leur portrait sous un éclairage différent, digne des bougies tremblotantes de la comtesse Gertrude, et qui leur confère des aspects aussi grotesques que leur château impossiblement étendu. Les personnages comportent tous des traits physiques et/ou psychologiques exagérés, plus grands que nature : le rire et le côté dégingandé de Salprune, la mélancolie maladive du Comte, les chleuasmes et les complaintes permanents de Nanie Glu… et que dire de la Comtesse, figure même de l'excès, de par sa corpulence, ses nuées des chats et d'oiseaux, et son isolement de la réalité et de ses proches… ?



Pourtant, chacun d'entre eux m'a paru singulièrement réel. Leurs caractères outranciers n'oblitèrent jamais leur crédibilité : Mervyn Peake réussit l'exploit de pousser l'humanité dans ses retranchements sans la trahir. Les personnages ont leurs voix propres, qui en viendront même à se substituer à celle du narrateur, lors de mon passage préféré de tout le cycle de Gormenghast, qui nous fait toucher au comble de la sympathie et de l'empathie, pour ces êtres humains.



Grâce à tout cela, le grotesque échappe au vide et s'avère être une porte d'entrée vers le romanesque et ses péripéties exaltantes : duels improbables (une spécialité chez Mervyn Peake) et fulgurances poétiques. Par moments, l'univers de Gormenghast se condense, le temps suspend son vol, tout semble devenir plus lent, plus simple, plus acceptable, plus beau. Il suffit juste d'une belle image, comme une goutte d'eau qui reflète et contient tout le château. Ainsi, tous les excès des personnages se fondent dans le calme d'une lecture lente et revigorante, d'une incroyable beauté.



Au-delà de la puissance évocatrice de ce roman, le sentiment le plus prégnant que j'en retire est d'avoir vécu à Gormenghast pendant les 1-2 mois qu'aura durés ma lecture. Des vacances de rêve dans un château hanté par des figures familières, qui ne sont que des fragments de nous-mêmes, détachés et grandissant à l'écart du réel pour mieux y retourner, lorsque nous venons, par notre simple lecture, leur superposer nos visions et nos aspirations, pour finalement enrichir ce château-monde.



*La traduction du nom de "Steerpike" en "Finelame" est un triste exemple de tout ce qui peut se perdre d'une langue à l'autre : on abandonne la sonorité venimeuse du nom (qui évoque un crachat de cobra). Et on délaisse également les idées de "tisonnier" ou de "tournebroche" : quelqu'un qui supervise un objet en train de cuire, de brûler… La traduction de Patrick Reumaux est par ailleurs de grande qualité, mais je ne peux m'empêcher de regretter ce choix.
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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Par où commencer quand on doit évoquer une oeuvre aussi originale et magistrale que celle-ci ? Il est difficile d'exprimer toutes les émotions ressenties à la lecture de ce fabuleux chef d'oeuvre (trop méconnu), cette histoire originale qui défie tous les codes propres aux romans que j'ai pu lire jusqu'à présent. Titus d'Enfer est un ovni qui a sa place parmi les plus grandes oeuvres fantastiques de notre époque. Imaginé par Mervyn Peake dont il est dit qu'il a influencé la fantasy anglo-saxonne, le cycle de Gormenghast n'est pourtant pas un récit surnaturel au sens propre. L'auteur nous livre plutôt un ensemble de scènes irréelles, fortement influencées par le récit gothique, une oeuvre en clair-obscure qui se teinte d'angoisse, d'absurde, de folie, parfois lumineuse et colorée, parfois désespérée et sombre, autrement dit un livre complètement désopilant, tour à tour drôle et terrifiant tout autant que triste et loufoque.



http://www.mervynpeake.org/gallery/0500.jpgGormenghast, c'est avant tout un lieu sans pareil : un château labyrinthique aux tours innombrables et vertigineuses, aux couloirs sombres qui desservent des milliers de chambres, aux mystérieuses cours sur des toits qui frôlent les cieux. C'est une citadelle isolée du reste du monde et bordée par les huttes du peuple des sculpteurs dont l'existence est presque aussi fascinante que celle des habitants de Gormenghast. Enraciné dans un paysage tragique, on y trouve autour que le désert, la montagne ou les marais.



A l'abri des murs fortifiés de Gormenghast, on célèbre la naissance de Titus, soixante-dix-septième comte d'Enfer, un évènement qui agite tous les habitants du château jusque dans les moindres recoins de la gigantesque forteresse. L'héritier est né, l'honneur est sauf car les coutumes profondément enracinées dans la mémoire du château pourront perdurer. Au fil des saisons, les cérémonies en l'honneur de Titus se succèdent et ne se ressemblent pas. Comme sur une scène de théâtre, elles sont tour à tour dramatiques ou absurdes, mais toujours fascinantes. Chacun rempli son rôle à la perfection dans un but qui lui échappe mais qu'importe ! on perpétue le rituel même si on en ignore l'origine ! Au premier plan, des personnages farfelus s'agitent continuellement dans une parodie de vie presque aussi drôle qu'effrayante. Ils sont tiraillés entre folie et déraison, soif de pouvoir ou désespoir le plus profond. Les dialogues bourrés d'humour noir succèdent aux scènes improbables.



Il y a de belles choses dans ce récit. Des descriptions enjouées de chambres invraisemblables qui recèlent d'étranges trésors. Des personnages pleins de courage prêts à mourir par amour. De la poésie, des couleurs, du rire.



Gormenghast mountainC'est ça Gormenghast : une histoire onirique et fantasmagorique peuplée de créatures absurdes qui évoluent dans une citadelle délirante aux allures de dédale. On côtoie les effrayantes jumelles Cora et Clarice toujours habillées de pourpre, le docteur Salprune et sa verve atypique, la dangereuse comtesse Gertrude d'Enfer avec ses oiseaux et ses centaines de chats blancs, Fuschia, son grenier et ses rêves de liberté, Lord Tombal et son amour des livres qui le conduiront irrémédiablement à la folie, et n'oublions pas le pire de tous : l'ambitieux Finelame aux motivations obscures et à l'intelligence extraordinaire. L'existence de chacun gravite autour de Titus dont la naissance va marquer un tournant dans la vie du château.



Gormenghast c'est le livre des superlatifs. J'en ai beaucoup usé pour rédiger ce billet, mais vous verrez si vous le lisez à votre tour, il les mérite amplement !



Je ne possède pas encore la suite, mais c'est un achat que je compte faire rapidement. Impossible de ne pas connaître la suite des aventures de Titus !
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Le Cycle de Gormenghast

C’est à l’occasion de la Masse critique d’octobre de Babelio que j’ai eu l’occasion d’obtenir cette édition du Cycle de Gormenghast chez Omnibus, que je remercie au passage !



J’avais depuis longtemps entendu parler de cet univers qui est l’un des éléments fondateurs de la fantasy occidentale. Le Cycle de Gormenghast est en effet une série de 4 ouvrages : Titus d’Enfer (1946), Titus dans les ténèbres (nouvelle, 1956), Gormenghast (1950) et Titus errant (1959) qui dont l’histoire se passe dans un château aux relents très gothique mais aux personnages baroques à qui il arrive des aventures pleines de mystères et de sombre magie. On est à la croisée des genres : fantastique et fantasy, et l’ambiance est très réussie. C’est incroyable comme l’auteur a fait preuve d’imagination alors qu’on n’est que dans les années 40 au début. En cela, les avants-propos qui figurent dans les premières pages et qui reviennent sur le contexte de création et de publication sont très intéressantes, merci à l’éditeur.



Pour en revenir à ce cycle, nous sommes dans un univers très particulier. Dès les premières pages, on se retrouve propulsés dans cet univers d’un autre temps à la fois très gothique de part son château omniprésent, inquiétant et impressionnant où bien des mystères se jouent et baroque avec ses personnages plus farfelus les uns que les autres. L’écriture de Merwyn Peake nous embarque dans sa douce folie qui est très très théâtrale. Ainsi dès les premières lignes, je n’ai pu m’empêcher de m’imaginer dans un univers à la Tim Burton avec ces personnes plus barrés et loufoques les uns que les autres. J’entendais leurs répliques et actions surjoués au possible et cela m’a beaucoup fait rire. Il fallait bien ça pour passer les innombrables longueurs de ce cycle.



Parce que s’il faut noter un défaut ici, c’est que la plume de l’auteur a beau être très belle et poétique (et le traducteur le rend bien), mon dieu comme il aime s’écouter… Les descriptions n’en finissent pas. On connait tout dans les moindres détails. La plus petites actions donnent lieu à des pages et des pages d’explications avant qu’on voit celle-ci se produire. Du coup, le récit manque vraiment de dynamisme et actuellement un tel titre se verrait tailler dans les grandes lignes, j’en suis sûre ^^!



C’est vraiment dommage parce qu’avec son petit air à la Pratchett, Merwyn Peake a su créer un univers attachant, fait de personnages qu’on aime retrouver et voir évoluer, que ce soit le jeune Titus, le héros de cette vaste saga ou ses proche : sa soeur (sorte de Mercredi Adams), sa nounou d’un autre temps, son père neurasthénique, sa mère qui ne sait pas être mère, ses tantes à moitié folles elles aussi ou encore le feu-follet qui va venir tout bouleverser : Finelame. Ce sont des personnages dont il a su rapidement nous brosser le portrait en quelques phrases bien tournées et qu’on se fait un plaisir à suivre.



Dans le premier tome : Titus d’Enfer, on assiste surtout à une présentation des personnages. Il y a peu de vraies actions et on suit surtout l’arrivée de bébé Titus. Du coup, je me suis un peu ennuyée. Cependant, il y a beaucoup d’humour et l’univers est extrêmement riche et marquant.



La nouvelle Titus dans les ténèbres, nous fait plonger en plein coeur des rituels pesants du château et de la famille d’Enfer. En un peu plus d’une cinquantaine de pages, on découvre glacé les pensées de Titus, le jeune maître des lieux qui a bien grandi et qui doit vivre dans ce monde de cauchemar. C’est étouffant et assez terrifiant pour lui par moment.



Le deuxième : Gormenghast, est le meilleur de la série. Titus a grandi et avec lui, on découvre l’univers dans et hors le château. L’univers, qui est désormais connu, est exploité à fond, avec des scènes délirantes (l’inondation, les jeux de billes entre le Doyen et Titus, les rituels incompréhensibles de la famille,…). On alterne entre scènes bouleversantes et hilarantes et toutes les histoires que l’auteur a pris le temps de développer, parfois longuement dans le premier tome, trouvent ici leur place et leur sens. Merwyn Peake nous fait plonger dans l’horreur avec beaucoup de talent. Il suffit de voir l’ignoble Finelame. D’ailleurs, la psychologie des personnages est très bien développée dans ce tome.



Enfin dans le troisième et dernier tome : Titus errant, le plaisir retombe sensiblement. Titus quitte l’univers qui nous était maintenant devenu familier après près de 900 pages, pour aller se perdre dans la ville. Celle ci est plus banale que le château, et il n’y a plus de Fuchsia, de Finelame, ni aucun de ces personnages qui nous avaient fait rire et nous avaient tant fascinés auparavant. On perd ce qui faisait le charme des débuts, donc je me suis à nouveau ennuyée.



Bilan de cette lecture : je suis ravie d’avoir découvert l’univers de Gormenghast qui m’intriguait depuis un moment. J’ai aimé la poésie de la plume, la loufoquerie et le grain de folie des personnages et la douce noirceur de l’univers. J’ai moins aimé les nombreuses longueurs, les descriptions à n’en plus finir, l’action qui se faisait un peu trop attendre. Je recommande cette lecture pour tous les curieux qui voudrait découvrir l’un des premiers textes de fantasy du XXe mais je ne sais pas si ceux qui aiment la fantasy actuelle y trouveront leur compte.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

J'ai toujours adoré les livres à l'ambiance gothique, mystérieuse et étrange. Cette trilogie m'a donc tout de suite attirée, même si elle est restée plus de deux ans dans ma PAL! Comme quoi il faut parfois attendre le bon moment...



Et c'est une très belle découverte que j'ai faite! Le style est original, clair, facile à lire tout en ayant ce je-ne-sais-quoi qui sort de l'ordinaire. Nous découvrons tout un univers peuplé de personnages tous plus étranges les uns que les autres, avec leurs codes, leurs règles, leurs fonctionnement propres. Chaque chapitre est consacré à un personnage, j'aime ce style de narration. Certains personnages raisonnent plus dans mon esprit, me donnent vraiment envie de les connaitre. Ce premier volume m'a vraiment fait penser à la BD "Monsieur Noir", cela m'a aidé à accrocher directement à l'univers proposé par l'auteur.



Vite vite la suite!
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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Titus d'Enfer.. Ou le bouquin super difficile à commenter.. parce que oui et en même temps non, mais oui quand même pour plein de trucs...



Je vais commencer par le pitch, et je réfléchi deux secondes, évitons le spoile.. et tu te rends compte que ça va être facile, parce que au final il ne se passe pas grand chose, deux trois trucs en fait.. même si des gros trucs... bon.



Donc là en fait dans ce livre on est au château de Gormenghast, dans ce château vit une famille et ses serviteurs, tous complètement secoués ( et le mot est faible ) et emprisonnés dans des rituels sans âges, si vieux qu'on a oublié à quoi ça servait, voir même si ça a servit un jour à un truc... L'histoire commence le jour de la naissance de Titus, l'héritier mâle du comte de Gormenghast Lord Tombal. Ce même jour, Finelame un marmiton/commis de cuisine se sauve voulant prendre l'air, il va tomber sur Craclosse le major d'homme personnel de monsieur le comte... Et ça va mettre des trucs en route dans cet immobilisme confit de tradition et de folie...



Et en fait ce bouquin m'a fait penser à plein de trucs.. plein de choses et m'a amené autant de manque que d'overdose, de lassitude que de plaisir. Un plaisir parfois jubilatoire, cette virée aux cuisines en ce jour de naissance, est juste jubilatoire..Tout autan que le sacre de Titus... ^^



Déjà il faut prendre en compte que le personnage principal c'est le château.. Un château de dingue, gothique en ruine, accumulation de tout, se fondant dans les rêves les plus abstrait, sans limites.. labyrinthe merveilleux plein de coin de recoin de pièces, toutes aussi inutiles qu'aberrantes ( dans le bon sens de terme.. sais pas si ça existe ^^)

Comme les bouquins illustrés pour gosses présentant en coupe, un château, un manoir de sorcière ou un galion espagnol.. vous savez avec les dessins plein de détails parfois humoristiques et les flèches avec les annotations.. là c'est ça sauf que c'est à l'écrit.. mais c'est tout à fait ça. C'est très chouette... Ce château est juste merveilleux, j'ai adoré le découvrir, j'adorerais m'y perdre, l'adulte redevant explorateur à la recherche de trésor..



Ce gothique sombre, noir, absurde, iconoclaste de bêtise, de folie, oscillant toujours, et je me demande pourquoi Burton n'a jamais fait de film de ce livre, alors qu'il y a puisé (pour pas dire autre chose) tant d'inspiration, et cela est certain.... le même univers, la même folie, la même esthétique vraiment...



Seulement je me suis demandé pourquoi j'ai fait l'erreur de ne pas attendre et m'offrir la version illustrée par l'auteur .. Peake est un très bon illustrateur, il n'y a qu'à voir pour s'en rendre compte son "Lettre d'un oncle perdu " (le seul livre que j'avais lu de lui)..

Peut-être parce que le bouquin était en Vo et ça m'a fait un peu peur...

Et en même temps, ce ne sont que des dessins de note, de travail.



Et là où d'habitude il lui aurait fallu un dessin ( dans les lettres), il sombre dans une énumération de dingue ( pour plein de trucs.. d'où parfois mon indigestion voir mon overdose ).. Ce livre se prête tellement à l'illustration que s'en est presque fou... Comme il se prête aussi bien à l'écriture, car si à bien des moments les choses sont terriblement concrètes et que l'image arrive mais en même temps terriblement nébuleuses sur les bords qu'elles enflamment l'imagination.. je dois reconnaître que la mienne aime bien qu'on lui lâche la bride, et avec ce château, mon imagination a couru plongé et s'en est pris une sacrée tranche...



Seulement même si le décor est merveilleux fastueux, vivant et magique, les ombres qui le peuple c'est autre choses.. les personnage de la piece qui se joue en ces murs... et je me les repasse tous dans ma tête pour voir si quelqu'un ou quelqu'une surgissent.. et en fait non, on les regarde et de nouveau le mot illustration vient me marquer l'esprit. Oui on les regarde comme une illustration amusante, des personnages enfermés dans leur conte, leur désir, dans leur rituel, leur folie et leur absurdité.. Il ne sont au final rien que des pantins, oubliés de tous et d'eux même... errant dans les dédale d'un château prison et régit à ses loi.. marionnette que l'auteur fait évoluer dans ce décor grandiose...

Et les marionnettes ne m'ont jamais amené rien d'autre que des sourires, des: "forcements", des: "of course, faut bien faire avancer la trame narrative" (même si c'est d'un micron), ou des: "y sont quand même bien tous tapé du casque..."

On a un peu pitié d'eux, ou pour eux...Pauvre Fuschia.



Je pense continuer cette trilogie, peut-être pas en français, je me suis posée sincèrement la question parfois de "comment il avait écrit ça à la base"... et je suis très curieuse quand aux dessins préparatoire de Peake... donc oui, mais y va y avoir des frais à faire.. et je soupire.



P.S: Éditeurs, arrêtez de nous foutre des intro qui raconte de long en large le livre, mettez les à la fin, au cas où le lecteur ai envie d'approfondir sa lecture.. C'est une chose que je supporte de moins en moins et qui me donne envie de lancer des grenades. Je ne les lis jamais au début d'ailleurs ( même si je les lis.. après) et à chaque fois je me dis heureusement.. où comment gâcher un bouquin, un plaisir de lecture et de découverte...

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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

C'est une plume sensationnelle que je viens de découvrir. Je remercie Babelio et les éditions Christian Bourgois pour m'avoir permis de découvrir le premier tome du cycle de Gormenghast, de Mervyn Peake.



L'auteur fut un artiste, illustrateur, notamment, et cela saute aux yeux dans son écriture imagée où chaque détail est écrit comme un dessin.

Dès les premières pages, l'ambiance est posée : gothique, surréaliste, enivrante.



Les personnages du château de Gormenghast apparaissent chacun à leur tour, affichant leur personnalité, leurs sentiments, dans un décor fait de multiples pièces imprégnées d'une atmosphère propre.

La scène nous faisant entrer dans la cuisine est hallucinante, avec en chef d'orchestre l'exubérant Lenflure, le chef cuisinier. Vu des yeux de l'austère majordome Craclosse, le spectacle est dément, grossier.

Puis le lecteur se laisse emmener dans les dédales du château, jusqu'à l'arrivée du soixante-dix-septième comte d'Enfer : Titus.



Le nouveau-né enflamme les passions, suscite toutes sortes d'attentes ou de craintes. Ainsi, sa sœur, la jeune Fuschia, est bouleversée. Son caractère solitaire et contemplatif est mis à mal par l'excitation ressentie dans chaque pierre entourant son monde froid et sécurisé.

Les parents de Titus, eux, témoignent une indifférence distante avec le successeur. Le comte ne pensant qu'à la bonne tenue des rites ancestraux et la comtesse préférant dialoguer avec ses oiseaux ou se promener dans la marée immaculée de ses innombrables chats blancs.



Finelame, lui, profite de l'occasion pour manipuler son monde. Vif d'esprit et opportuniste, il est celui qui attisera les flammes afin d'obtenir une place de choix dans la maisonnée d'Enfer.





Le récit est imprégné d'une forte couleur terne, présente quasiment dans chaque mot. La tristesse et la mélancolie se ruent à chaque lever de lune ou de coucher de soleil. Non seulement les pierres du château, mais aussi les arbres et les humains se dessinent sous des silhouettes blafardes et détachées de la réalité. Seules quelques exceptions amènent du loufoque dans ce paysage morne.

Et pourtant la tension monte au fil des pages jusqu'à atteindre un paroxysme aux répercussions désastreuses. La santé mentale des habitants du château étant déjà à la lisière de la folie dans la première moitié du roman, la suite va encore exacerber les troubles de chacun.



Je regrette une certaine redondance dans les descriptions, bien que celles-ci ne soient rarement répétitives. Mais l'ennui pointe de temps à autre, alors que l'auteur se perd une énième fois dans la contemplation du paysage. L'ambiance est en grande partie magnifiquement mis en image à travers les mots, mais le récit est trop souvent alourdi et certains passages sont très longs voire ennuyeux.

Le pire étant la manie de certains personnages à répéter les mêmes tics tous plus irritants les uns que les autres (la plaintive Nannie Glu, le docteur Salprune avec ses rires intempestifs et sa sœur répétant chaque question, ou encore les jumelles Cora et Clarice, uniquement tournées vers elles-mêmes).



Cependant, la fascination l'emporte devant ce théâtre bizarre occupé par des individus assez incroyables évoluant dans ce château hors de l'espace-temps.

Bien que les nombreuses divagations ne nous permettent pas d'appréhender suffisamment chaque recoin, les éléments fournis permettent d'imaginer d'autres possibles dans cet univers confiné (le dehors, pratiquement inconnu, a lui aussi son importance).

Les descriptions sont marquantes et riches d'une palette de toute beauté. J'ai rarement lu un tableau si vivant, pourtant coloré de nuances pâles.



Une œuvre particulière que j'ai beaucoup aimé lire par de nombreux aspects et dont je ne manquerai sûrement pas la suite.

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La trilogie de Gormenghast, Tome 1 : Titus ..

Il y a du nouveau dans le château de Gormenghast et les couloirs ainsi que les offices bruissent de la nouvelle du grand événement : un enfant mâle, dernier rejeton de l'antique et noble lignée des Comtes d'Enfer, en tant que soixante-dix-septième du nom, est né,il a pour nom Titus et, oh surprise, possède les yeux du plus éclatant violet.



Dans un univers fantasmagorique, intemporel, grotesque, les seigneurs d'Enfer sont réduits à observer des us et coutumes qui brillent par leur absurdité. Le comte est un rat de bibliothèque handicapé par une mélancolie débilitante. La comtesse, affligée d'une corpulence titanesque est entourée d'une cour digne de l'arche de Noé : à ses pieds grouillent un vivant tapis d'innombrables chats blancs et, par ses trilles, elle attire un essaim fourmillant de toutes ce que la gent ailée possède en sa diversité. La domesticité, quant à elle, prenant l'aspect d'une animalité grotesque à la DIckens est affublée des noms les plus drolatiques, jugez plutôt : Craclosse, fidèle serviteur du comte, a les jointures qui craquent comme bois vert en cheminée, le chef de cuisine bouffi de graisse se prénomme Lenflure, le cacochyme gardien du rituel répond au nom de Grisamer, alors que le jeune et maléfique arriviste de l'histoire s'appelle Finelame, et le reste à l'avenant. Chaque section est occupée par la narration des menus faits concernant un personnage, marionnette dans un théâtre de grotesques, et explicite à rebours, les actions et les apparitions du chapitre qui le précède.



Le présent roman semble avoir eu une affluence déterminante sur la fantasy anglo-saxone. L'auteur a indéniablement su créer un univers original, agrémenté par certaines ingénieuses et peu communes descriptions, et narré dans une prose délicatement humoristique. Pour ma part, je dois confesser que j'ai eu du mal à pénétrer ce monde onirique, et j'attendrais la lecture de la suite, intitulée Gormenghast, pour avoir un avis définitif.
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Lettres d'un oncle perdu

Lettres d'un oncle perdu.. Ou le bouquin que t'avais dévoré enfant, lu et relu, regardé et re regardé... Et que tu désirais retrouver et l'avoir dans ta bibliothèque même si t'es une vieille...



Pitch :

Ouais tonton m'a encore écrit une de ses lettres dingues.. chouette ! Mais dis maman comment il fait pour les poster du grand nord ? Y a des boites aux lettres là-bas ? Et dis maman, c'est vrai qu'il c'est enfuit quand il était tout petit ? Et dis maman tu crois que Jackson il existe ? Et dis maman ça lui fait pas mal à la carapace ?... Chialerie de chialerie je suis tombé de mon vélo !.. Maman pourquoi tu fronces les sourcils et me dis que c'est des vilains mots ? Tonton lui, il les utilise tout le temps dans ses lettres. Et puis on va aller le voir hein ? Dans sa cabane, on fera un igloo.. y m'apprendra... On lui portera un nouvel édredon, le sien il est vieux et puis du tabac.. et puis on verra des phoques, des rennes et des aurores boréales.. et ça lui fera de la compagnie... Et maman tu crois qu'il va le trouver le lion blanc ? Hein ? Dis ?..



Un tonton aventurier et explorateur complètement dingue parti à la recherche d'une créature mythique envoi des lettres à son neveu, lui racontant ses aventures, ses exploits et sa vie, tout perdu qu'il est dans le grand nord... pour accompagner ses lettres il fait des dessins... parce qu'un dessin ça explique mieux des fois que plein de mots.. Et puis écrire ça le rend malade... Et pourtant... ^^



C'est génial, drôle, merveilleux, ouvrant une porte à l'imaginaire, une grande porte à l'aventure...

c'est parfois, âpre, bourru et un peu inquiétant comme le tonton... Ou comme la nature sauvage et brutale parfois...

La nature empli les merveilleux dessin de Peake, un sacré illustrateur le bonhomme... un sacré coup de crayon... même si parfois chialerie de chialerie Jackson a fait une tache de sauce...
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Lettres d'un oncle perdu

C'est un carnet de voyage rocambolesque, d'un homme au caractère bien trempé, avatar d'Achab ou de Long John Silver, extrêmement borné ; alors même qu'il explore les confins du monde, l'infini, accompagnée de sa tortue, « [a] turtle-dog» , Jackson. C'est une fantaisie animalière car la faune arctique submerge le texte et les illustrations. L'oncle est le seul personnage humain véritablement présent dans le texte.Il espère faire parvenir au Museum de Londres, par l'entremise de son neveu à qui il retrace son parcours, la preuve de l'existence du Lion Blanc, avatar de Moby Dick ; c'est pourquoi il retranscrit son parcours jusqu'aux confins du pôle, avec sa machine à écrire. L'objectif fixé semble irréalisable, le projet s'avère farfelu ; l'oncle désespère d'ailleurs par moments, et le voyage devient parfois inquiétant, étrangement familier. Il compose un carnet de voyage imaginaire dont la composante majeure est cependant l'humour, puisqu'il parodie les récits d'aventures. L'oeuvre s'adresse aussi bien aux adultes qu'aux enfants, parce que Mervyn Peake a une touche de folie, une représentation décalée du monde qui ne peut que plaire aux plus jeunes. L'oncle ressemble à un vieux morse grognon, et son obstination le rend quelque peu maladroit, notamment sur les pages, qu'il rature.
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La trilogie de Gormenghast, tome 3 : Titus ..

Avec la fin de la trilogie de Gormenghast, le château éponyme de la saga s'estompe dans les limbes de la mémoire de son héros Titus, et le monde extérieur l'engloutit dans son inquiétante étrangeté.



Pour peupler ces nouvelles contrées, Mervyn Peake choisit de déchaîner son imagination. Obscurité désolée, lumière dorée sur les cages d'une ménagerie : le cadre chamboule nos repères, et la beauté foisonnante des descriptions de Peake demeure le seul élément de familiarité. Même Titus s'éloigne par moments de l'adolescent furieux du tome 2, ce qui n'est pas pour me déplaire.



De plus, bien qu'il reste très reconnaissable, le style de Peake lui-même est amené à évoluer pour rendre compte de l'altérité hétérogène et peu compréhensible de ce nouveau monde. La densité habituelle des descriptions se mélange avec des passages plus abstraits et épars. Les personnages sont globalement moins détaillés, et ne servent parfois qu'à faire avancer l'intrigue. Ils défilent parfois comme un carnaval d'automates. Ce qui révèle sans doute la nature sinistre de ce monde, puisque les opprimés y deviennent pour la plupart des créatures sans cervelle.



Et en effet, l'univers prend ici des atours de science-fiction dystopique, avec des avions surréalistes, un robot espion volant (quelle curieuse scène !) et une maison de verre qui rappelle furieusement celles d'Eugène Zamiatine dans "Nous Autres". A travers ce cadre errent des motifs de policiers et de savants déshumanisés ou presque, se livrant à des holocaustes (le mot est prononcé tel quel) qui renvoient inévitablement à un contexte que Mervyn Peake ne connaît que trop bien et l'a peut-être même traumatisé, lui qui fut un des premiers à entrer dans les camps de concentration fraîchement libérés.



Toutefois, ce changement d'univers ne s'effectue pas en faisant table rase de Gormenghast (ce serait un immense contresens de l'affirmer), mais par un phénomène de translation, où la figure d'origine disparaît, tandis que le mouvement et la forme qu'elle a impulsés sont indéniables et imprègnent tout le nouveau monde qui s'offre à nous.



Ainsi, Gormenghast subsiste en un lieu de ce récit : l'esprit de Titus. A sa mémoire se heurte la réalité du monde de l'extérieur, où personne ne connaît son château originel. Nous-mêmes, en tant que lecteurs, sommes amenés à nous demander par ricochet si Titus n'est pas un vagabond mégalomane, et si les deux livres précédents ne sont pas son délire. Cette exclamation de Rimbaud vient à l'esprit :



"Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je

suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à

étreindre ! Paysan !"



Mais l'arrogant Titus ne peut bien sûr se satisfaire de la perte de son monde (de ses illusions ?). Il refuse que son errance le fasse déchoir de son statut de seigneur. Par le jeu habituel de la nostalgie (qui fait idéaliser même certains aspects déplaisants du passé), il en vient à regretter jusqu'au rituel anciennement honni,



Ainsi la crise d'identité advient-elle : déchiré par le refus que ce monde oppressant oppose à la réalité de son passé, Titus en vient lui aussi à douter, et ne parvient plus à trouver de confort dans ses souvenirs de Gormenghast, qui ne lui paraissent plus vrais et le tourmentent. La folie guette, encouragée par des ennemis à l’intelligence insensible, dont Finelame n’était que le premier avatar…



Ce regret de Gormenghast fait toute l'ambiguïté et la profondeur vertigineuse du roman. S'agit-il de Peake luttant avec sa santé déclinante, et chevillant son sort à celui de Titus, sans savoir s'il pourra lutter avec lui jusqu'au bout, persister dans sa nature, malgré ceux qui l'accusent d'être déjà mort ? Ou peut-être ce tourment dénonce-t-il les risques de la répétition. Peake s'adresserait alors un avertissement à lui-même, mais aussi à tous ceux qui voudraient imiter son oeuvre en se contentant de la copier : refaire ce qui a déjà été fait, tenter de repeindre les mêmes tableaux alors que l'on a changé, c'est ouvrir la porte à un ridicule tragique et délétère.



Dans les deux cas, il faut continuer la route, aller au-delà, quitte à avancer de façon incertaine, comme ce roman foisonnant et cette critique un peu désordonnée. Rimbaud disait dans un ver bringuebalant « C'est la vraie marche, en avant route ».



Toutefois, chez Mervyn Peake, l'errance ne doit pas être synonyme de perte. Sans la certitude du point de départ, plus aucune fuite en avant n'est possible. Loin du fou délirant que certains voudraient dépeindre, le Peake de 1959 sait d'où il vient et où il va. Il conserve l'acuité de sa vision, et enrichit le personnage de Titus avec son attachement paradoxal à des origines qu’il a fuies. La certitude que Gormenghast existe est une Ancre nécessaire à son errance, sans quoi son bateau ivre serait emporté dans une dérive mortelle. Il reste attaché à l’image de son passé, tout en s’en éloignant implacablement. D’ailleurs, il s'en éloignerait même s'il y revenait. La fuite du temps, la fin de l'adolescence et l'évolution de la perception qui en découle se chargeraient de lui rendre sa demeure étrangère. Peu lui importe, tant qu’il sait qu’elle a existé et existe encore sans lui.



Mais là est toute la question : ce château-monde n'est-il qu'un rêve doux et violent, amorphe et embrasé ? Un lecteur très attentif de l'oeuvre aura remarqué un détail qui, peut-être, permet de retrouver un début de réponse.







Alors, qui de Mervyn ou de Titus a perdu le fil du récit et changé le passé ? Au lecteur de se faire son opinion et d'adhérer ou non aux chambardements de ce troisième tome.
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