Le petit port, avec ses quelques maisons sur pilotis et son ponton lui servant de quai, prenait à leurs yeux l'aspect d'une capitale. Des hommes les saluèrent de la main. Ils débarquèrent entourés du respect qu'inspirent les gens venant de loin à ceux qui ne s'éloignent jamais de chez eux.
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Au bout d’un long moment de pénible descente. Nous sentîmes sous nos pieds le contact d’un rocher. Il était énorme, et avançait assez loin dans le vide. Nous nous mimes a plat ventre et rampâmes jusqu’à ce que nos regards puissent plonger dans l’abime. Nous pûmes cette fois en apprécier la profondeur extraordinaire, grâce a plusieurs feux allumes qui en éclairaient le fond.
« Avez-vous une idée de ce que cela peut vouloir dire ? » demandai-je à Toine.
Je venais tout juste d'atteindre mes dix-huit ans, lorsqu'un soir, après boire, la main d'un ami guida la mienne pour signer un engagement d'une année sur un galion.
Mes souvenirs relatifs à ce qui devait être le départ d'une aventure effroyable, sont très vagues, pour ne pas dire nuls. En fait, je ne repris vraiment contact avec la réalité, que le lendemain matin. Ma surprise fut grande, alors, de me retrouver couché de tout mon long sur la dure, accueilli par le bleu du ciel profond.
J'aperçus ensuite des voiles que gonflait doucement un vent léger, puis les petites taches blanches de la mer en mouvement se multipliant jusqu'au bout de l'horizon.
Au comble de l'étonnement, je regardai autour de moi, quantité de cordages s'y trouvaient lovés, des cordages pareils à ceux que j'avais vus si souvent sur les ponts des navires en escale...
(extrait du chapitre premier)
La mer était devenue d'huile, le ciel d'une étrange profondeur, et, par-dessus tout, planait un formidable silence. Notre mât observait une immobilité totale. Il se dégageait de cette ambiance quelque chose de maléfique impossible à définir. J'avais, pour ma part, l'impression d'être englouti dans une grotte aux dimensions sans limites, dont les voûtes auraient été parsemées d'énormes vers luisant vitrifiés dans leur vie comme dans leur propre lumière.
Je regrette vraiment pour toi, petit, de te voir avec moi dans mon cauchemar d'homme éveillé. Mais il faut bien que tu comprennes que si nous commençons à nous affoler, c'est contre nous que nous travaillons ! Ici, tout est inexplicable. Et ne compte surtout pas trouver la solution. Comme partout, la mort rôde avec la vie. Mais ici, un peu plus qu'ailleurs, c'est tout !
Il me disait cela pour me tranquiliser. Mais tandis qu'il me parlait, je sentais monter en moi la solitude. Toine sans la peur, je le voyais bien, prenait le chemin de l'acceptation. Et je me demandais si l'étonnement que je lisais sur ses traits n'était pas celui de n'être pas mort. Le vieux coeur de mon compagnon était fatigué, et j'étais persuadé qu'il ne continuait à battre que pour son jeune ami.
Je m'approchais de l'une de ces fleurs d'espèce inconnue. Elle était blanche, curieusement dentelée de mauve, et son cœur était jaune. À mon approche, elle se referma très lentement. J'acquis soudain la certitude qu'elle s'avançait vers moi. Pris de panique, je reculai précipitamment. Il était temps. Après s'être rouverte brusquement, elle s'inclina vivement, et, comme un filet de pêche, se plaqua au sol à l'endroit même où je me trouvais seulement quelques secondes plus tôt. Il y eut alors un affreux bruit de succion, puis la fleur se referma à nouveau et reprit très lentement sa position première. De l'endroit qu'elle avait un instant couvert de ses pétales, il ne restait rien, que la terre.
Vers le milieu de la journée, nous vîmes avec terreur apparaître d'effroyables animaux. Véritablement monstrueux, ils ressemblaient à des méduses, mais avec cette particularité que leur ombrelle était curieusement piquetée de rouge (ce qui contribuait à les rendre encore plus repoussants), et qu'ils atteignaient au moins dix mètres de diamètre, ou encore à des pieuvres aux tentacules de la grosseur d'un tronc d'arbre. Ils se multipliaient d'une façon inquiétante et nageaient entre deux eaux, donnant bientôt, par leur nombre, l'illusion d'un immense drap sanguinolent s'étirant interminablement.
Tu n'avais pas l'impression, toi, qu'on regardait au travers d'un suaire qui aurait enveloppé nos corps morts ?
Et apprends qu’ici y a pas de Monsieur ! Je suis le vieux Toine ; le cuistot. J’ai justement besoin d’un aide. Si ça te chante, je te prends. J’ai ni bon cœur, ni mauvais cœur. Mais, avec moi, tu mangeras toujours à ta faim ; et, dans la vie, manger c’est le principal.
L'homme est avant tout un lâche souvent préoccupé de trouver une excuse à sa lâcheté.