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Citations de Michel Siffre (33)


Tel que j'étais, je ne devais pas vivre dans les souvenirs mais seulement dans le présent en me donnant un futur pour objectif. Il le fallait pour que je ne sombre pas dans la mélancolie qu'entraîne le souvenir. Il n'est pas du tout bon d'évoquer le passé lorsqu'on est dans une situation semblable ; mieux vaut supporter le présent et s'efforcer de le dominer. Il n'y a qu'une seule certitude ici : je vis et je crée ma sensation de durée, sorte de mouvement que je ne perçois pas et qui pourtant m'entraîne irrésistiblement vers la victoire ou la mort. Mon moi-animal combat ce milieu et essaie tant bien que mal de s'y adapter ; mon moi-pensant essaie de s'y harmoniser jusqu'à la délivrance. En somme ma liberté est toute relative. Je me sens en dehors du Cosmos, je suis en réalité prisonnier d'un espace réduit et hostile et du temps qui s'écoule avec moi à un rythme plus ou moins rapide. En dehors de moi, de ce mouvement immobile que je crée sans cesse, il n'y a qu'une inertie tragique de la matière. Pourtant je sais bien, moi, géologue, que cette matière vit, a vécu et vivra. Je sais bien que là où je suis en ce moment il y a eu des mers où se sont déposés les sédiments qui ont donné naissance aux chaînes des montagnes ; la vie régnait dans ces espaces sous-marins, puis elle s'est éteinte lorsque les continents sont apparus. Je sais aussi que ces montagnes disparaîtront à leur tour pour laisser la place à d'autres océans où la vie renaîtra sous des formes plus évoluées encore.
Il faudra des millions d'années, mais les changements de la nature ne sont pas perceptibles à l'échelle de l'homme, ils sont d'un autre ordre. Nous vivons trop peu de temps pour nous apercevoir même qu'ils existent.
p. 136
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VIE SOUTERRAINE
Et cette nuit ne s'arrêtait jamais, toujours identique à elle-même, toujours aussi noire, toujours aussi silencieuse et éternelle. La nuit souterraine est vraiment différente de la nuit cosmique, l'opacité est absolue. A l'extérieur au contraire on y voit toujours un peu, la nuit ; la lueur des étoiles ou celle de la nuit laisse toujours apercevoir quelque chose, quelques objets. Là où je suis, rien.
Dans ce monde ou tout est néant, une seule chose subsiste, ma pensée : va-t-elle aussi sombrer dans ce néant sans fin ? C'est comme un vertige de la pensée et je la sens prête à chavirer.
p. 117
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VIE SOUTERRAINE
Je me sentais délivré des exigences de notre civilisation effrénée, seule ma vie comptait. Dans un sens j'étais heureux de me trouver enterré. Ma pensée n'était ni tournée vers le passé ni vers l'avenir, seulement vers un présent où je me sentais dominé par les éléments que je savais hostiles. Oui, dans ce milieu tout était contre moi, les rochers d'abord, la glace ensuite, le climat, je subissais l'emprise de ces éléments et pourtant j'essayais toujours de les dominer. Ma lutte était féroce et si j'ai survécu, je le dois à ce combat sans cesse renouvelé jusqu'à ma sortie ; j'avais l'impression d'être immobile et pourtant je me sentais entraîné par le flux ininterrompu du temps. Le temps était la seule chose mouvante dans laquelle je me déplaçais, je lui courais après, j'essayais de le cerner et chaque soir je savais que j'avais échoué. Comme un courant sans fin le temps était le seul être dont je percevais le mouvement. Tous les autres éléments étaient neutres, sans vie. Si quelqu'un avait pu me voir à travers les 130 mètres de rochers qui me séparaient du monde, il aurait aperçu soit une forme qui se déplaçait lentement avec les gestes répétés d'un automate, mais de moins en moins précis, soit une forme allongée, recroquevillée dans un sac de soie. Un autre jour, il m'aurait aperçu assis sur une chaise pliante en train de lire ou d'écrire à la faible lueur d'une lampe électrique.
p. 93
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… On a sans doute exagéré l'action de la solitude, du silence, de l'obscurité, de la tension émotionnelle ; mon moral dans l'ensemble est resté bon.
Cependant, il semble que la perte de la notion du temps, liée au manque de repères, a quelques rapports avec la température centrale du corps. L'organisme, mal protégé et soumis au froid, dans cet univers hostile et immobile s'est mis en état de semi-hibernation, et évidemment, à ce moment-là, le temps paraît plus court, puisque l'organisme ne réagit pas aux stimuli extérieurs.
p. 308
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« Hors du temps » ; Michel Siffre - éditions René Julliard © 1963
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J'étais sans cesse menacé par les chutes de glace ou de rochers ; à plusieurs reprises, j'avais glissé et failli m'écraser au fond du glacier, je savais ce que cela signifiait, une mort lente par le froid ou simplement par ma chute sur des blocs aux arêtes aiguës. Ces risques étaient toujours présents et, malgré mes efforts pour les limiter, je les prenais presque tous les jours. Cette sensation sans cesse renaissante, me faisait toucher du doigt ma condition et j'en retirais un certain sentiment d'humilité en même temps qu'une agressivité provoquée par ma volonté de survivre — car c'était là mon but. En essayant de dépasser certaines limites physiologiques en dehors du temps j'essayais de me donner un sens, de rechercher des raisons d'exister. Cette poursuite à la recherche de moi-même se continuait sans cesse et lorsque j'essayais de l'appréhender elle allait toujours un peu plus loin. C'est ce qui se passait aussi dans mon essai d'appréhension du temps, il fuyait parce que j'étais là mais en fait il n'existait pas. Le temps des horloges était une fiction. Quelle idée de séparer en moments quelque chose d'infini que nous créons nous-mêmes ? Chaque « jour » je comptais mes réveils et mes couchers. C'était ma seule base de référence, mon seul point commun avec les hommes ; à part cela, je vivais étranger, comme un animal.
p. 103 – 04
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Mais la raison fondamentale de ma claustration volontaire, où beaucoup n'ont vu qu'un pari, qu'un exploit, c'est que j'ai voulu essayer de cerner, d'appréhender la chose la moins préhensible, la plus fuyante et tragiquement irréversible puisqu'elle conduit à la mort, le temps, cette notion qui a hanté l'humanité depuis son origine.
C'est pourquoi j'ai associé à la biologie pure, la psycho-physiologie pour annexer des données quantitatives, précises et irréfutables sur le temps humain et son déroulement, qui puissent permettre de préciser si le temps est un produit de la conscience ou bien une réalité en soi, objective, associée à l'espace. D'ailleurs peut-être existe-t-il au maximum trois niveaux de temps pour l'homme : le temps perçu, créé par le cerveau, le temps biologique et enfin le temps objectif, celui des horloges ? Et sait-on s'il n'y a pas un rapport étroit entre le temps physiologique et le temps perçu, tel que le rythme vital soit déterminé en partie ou totale-ment par la durée perçue par l'homme ou vice versa ?
Mais comment aborder ce problème du temps ? La première idée qui m'est venue à l'esprit a été de m'isoler totalement des changements de milieu — facteurs qui ont conditionné l'homme depuis son origine — de façon à mettre en évidence le mécanisme fondamental de notre “horloge”, de notre rythme physiologique et sa fréquence élémentaire.
p. 34
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Il n’est pas du tout bon d’évoquer le passé lorsqu’on est dans une situation semblable;mieux vaut supporter le présent et s’efforcer de le dominer.Il n’y a qu’une seule certitude ici: je vis et je crée ma sensation de durée, sorte de mouvement que je ne perçois pas et qui pourtant m’entraîne irrésistiblement vers la victoire ou la mort.
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Ceylan avait été ma première chance et j’y puisais quelques-uns de mes plus beaux souvenirs.Dans un de mes moments où je me suis senti le plus proche de la mort, je me suis remémoré un certain jour,à Hikkaduwa, ou j’avais plongé à la poursuite d’un banc de tortues avec le Haut-Commissaire du Canada.Rapidement emportés par le courant vers les récifs,nous avions été sauvés de justesse par des indigènes venus nous rechercher en catamaran,mais un peu avant l’ambassadeur m’avait retenu au moment même où je coulais:
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Si ma pensée était en général tournée vers le futur et vers les problèmes posés par mon expérience,il m’est arrivé à plusieurs reprises d’évoquer le passé, et même une fois j’ai essayé de me représenter visuellement le présent en imaginant la vie sur la côte méditerranéenne à cette période de l’année.Je voyais la mer et le ciel bleu,les plages grouillantes d’hommes,de femmes et d’enfants.J’imaginais les scènes qui se déroulaient,peut-être en ce moment même sur la promenade des Anglais,à Nice,
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On ne saurait jamais trop insister sur les relations positives d’un psychisme sur les limites physiologiques assignées à la résistance humaine.Deja le Docteur Alain Bombard l’avait pressenti en étudiant les cas célèbres de naufrages et de deportes.A cet égard sa dramatique traversée de l’Atlantique est bien significative.Sans parler de l’Annapurna ou c’est la volonté des hommes qui a vaincu la montagne plutôt que la technique.
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Ces rapports tout à fait inattendus et mesurés quantitativement pendant deux mois ne manquent pas de reposer avec une acuité toute nouvelle l'action réciproque du psychisme sur le physique et du physique sur le psychisme. Grossièrement est-ce le cerveau qui commande au cœur ou le cœur qui entraîne et conditionne l'estimation de la durée ?
p. 306
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L'homme, habitué à vivre dans un milieu où les changements les plus importants qui l'environnent sont périodiques, s'est trouvé soumis, comme l'animal d'ailleurs, à l'alternance régulière du jour et de la nuit en 24 heures, qui a engendré dans son organisme des périodes de veille et de sommeil, d'activité et de repos qui sont nécessaires à sa vie. Ainsi au niveau biologique, l'homme est déjà conditionné par le temps et son organisme devient une véritable horloge qui adapte notre vie organique (activité, repos, repas, rythme de la température, cycle des repas), aux variations nycthémérales. Ces rythmes acquis, qui adaptent par conditionnement depuis l'origine de l'humanité, nos fonctions aux variations temporelles, se conservent-ils où se transforment-ils si l'homme se trouve tout à coup placé à l'abri des variations du jour et de la nuit …
p. 299
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ET MAINTENANT ?
Comme dans l'espace cosmique le silence absolu règne dans les cavernes. Or, l'homme est habitué à vivre dans une ambiance sonore où les stimuli auditifs agissent constamment sur son cerveau. S'il en est privé, son attention intellectuelle est tournée vers les bruits de son organismes tels que les pulsations du cœur ou sa respiration et son moral peut se dégrader à plus ou moins brève échéance car le silence peut devenir insupportable.
Pendant mon séjour, l'ambiance sonore a été perturbée par des chutes de glace et de rochers qui ont provoqué une tension émotionnelle proche de celle que peuvent ressentir les cosmonautes au moindre événement inattendu, comme celle des petits aérolites qui peuvent heurter l'enveloppe protectrice du satellite.
A ce manque d'informations auditives s'ajoute, plus grave encore, la privation des stimuli visuels. Sous terre comme dans le cosmos le regard dans la nuit absolue et non rayonnante, ne donne pas la sensation de profondeur de l'espace.
p. 297
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Je dois avouer que la solitude est dure à supporter mais que la volonté peut et doit permettre de la surmonter. D'après moi, la pensée doit toujours être orientée vers les occupations présentes, en particulier le travail, ou futures, mais jamais vers le passé, ce qui renforce le sentiment de l'isolement. La pensée doit être dynamique, toujours tournée vers la réussite finale de ce que l'on est en train d'accomplir.
p. 296
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Alors que le temps n'existait pas, n'existait plus, sa présence devenait aujourd'hui si tangible, si impitoyablement tragique et si cruellement réelle que j'en ressentais un véritable malaise qui ne voulait pas fuir. Jamais je n'avais eu à lutter contre un tel obstacle que je croyais devenu inexistant. Jamais je n'aurais pu imaginer que le temps fût si long, qu'il ne voulût pas s'écouler.
Tout d'un coup je tendis l'oreille, je me levai d'un bond et restai dressé sur une dalle, petit homme perdu dans l'obscurité infinie de l'espace souterrain.
p. 267
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— Comment ? Il y a un intervalle de 14 heures réel-les écoulées et j'ai seulement l'impression que 4 heures se sont passées ? C'est extraordinaire. Ça me paraît tout à fait irréel que des jours qui sont relativement mornes — je trouve que 4 heures c'est déjà long et elles équivaudraient à 14 heures réelles ? Ah, non, ce n'est pas possible. Je t'assure que je me trouve là devant un problème intellectuel terrible. Moi, je ne peux pas imaginer ça. Mais, est-ce que tu te rends compte ce que c'est ? Penser, vivre pendant 4 heures alors que tu en as vécu 14 ? Ça fait : trois fois quatre égalent douze, ça fait plus de trois fois plus, c'est-à-dire mon temps abstrait est trois fois plus court que le temps réel qui est mesuré par les horloges, dans cet exemple-là, dans l'exemple de la journée d'hier. Dans l'ensemble, mon temps abstrait vaut la moitié de la durée réelle.
p. 260
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— C'est sensationnel, ça. C'est très, très très bon parce que le rythme s'est conservé à l'abri de toute fluctuation extérieure. Tu vois, il doit y avoir quelque chose de remarquable, c'est que le rythme des animaux aussi, ça doit faire la même chose. Tous les rythmes animaux basés sur le soleil ou sur la lune placés dans des conditions semblables aux miennes doivent être à peu près identiques. Alors le temps abstrait que j'ai imaginé le temps psychologique, c'est lui qui m'a fait complètement me tromper. Ce n'est pas possible, ça ! Ainsi, j'ai conservé les journées normales alors que mes jours tels que je les pense durent seulement une quinzaine d'heures, pas même.
p. 259
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Je pense à vous qui pouvez me comprendre Haroun Tazieff, qui avez vécu des instants d'une intensité dramatique exceptionnelle dans la bouche même des volcans, au milieu des clameurs et des illuminations fantastiques des forces souterraines en expansion, à vous, Alain Bombard, ballotté comme un fétu de paille au milieu des vagues immenses, perdu tout seul sur un petit radeau en plein Océan. La peur d'être englouti, que ce soit dans les abîmes des volcans, de la mer ou de la terre est, j'en suis intimement persuadé, de même essence à la fois animale et humaine, plus forte sans doute que la mort toute simple telle que je pouvais l'imaginer.
p. 247
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À cette époque-là, j'écrivais à l'encre rouge et cela me faisait du bien ; le bleu me déprimait, il se confondait avec le noir, et du noir, j'en avais assez, assez. Je comprends maintenant pourquoi les populations ont toujours placé les enfers dans les antres souterrains. Dans le noir tout grandit, tout devient effrayant. Lorsque je contemplais à la faible lueur de ma torche électrique les ombres dessinées par les blocs de rochers, j'étais pris de vertige. La peur s'instaurait en moi.
J'étais bien seul dans ce gouffre, je n'avais à craindre aucune rencontre avec un être humain ou un quelconque animal, et pourtant une peur incontrôlable était là qui m'assaillait. C'était une sorte de présence « humaine », presque vivante. Car tout vivait dans ce gouffre, la glace et le roc. Oui, cette peur d'une présence m'envahissait bien souvent lorsque j'escaladais les énormes blocs de la moraine. Il est probable que cette crainte se confondait inconsciemment avec celle que m'inspirait les éboulements.
p. 245
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Je suis seul, seul, absolument seul. La solitude, c'est terrible, surtout quand on y pense. La solitude au fond d'un gouffre glacé, dans l'obscurité absolue et le silence seulement coupé par des éboulements, c'est l'enfer.
p. 236
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