Les gens qui se considèrent comme des fers de lance - tels que les membres des commandos de marine et ceux des forces spéciales de Tsahal - ont du mal à accepter le fait qu'ils ne sont en réalité qu'une bande de bons petits gars. Mais Gadi les connaissait, et c'était exactement ce qu'ils étaient.
On ne pouvait pas en dire autant des petites frappes recrutées à Jaffa ou à Râmla, mais le Mossad n'intégrait ni les voleurs ni les tueurs-nés.
On sélectionnait de gentils garçons et on leur apprenait à mentir, à entrer par effraction, à tuer. Et cela avait un prix.
Le mot « conscience » ne faisait pas partie du vocabulaire d'un journaliste qui tombait sur un scoop, pourtant, elles devaient tout tenter pour tuer ce scoop dans l'œuf, avant qu'il tue leurs maris. Tout journaliste savait contoumer la censure.
Un coup de téléphone du patron du Mossad au directeur général de l'Autorité de radiodiffusion ou au rédacteur en chef du journal pourrait peut-être être couper court à toute action de cet Haramati.
Il y a un proverbe russe qui resume ça très bien: « Une nation qui n'honore plus ses héros n'aura plus de héros à honorer.»
Ronen regarda droit devant lui, comme s'il choisissait soigneusement ses mots.
~ Ces derniers mois, j’ai eu l'occasion de trainer dans des cafés, de parler à des gens, de mater la télé, alors je peux te dire qu'Israël n'est pas le pays que je voulais défendre en intégrant le Mossad, et ses habitants non plus. Terminé de me préoccuper d'eux, je ne m'occupe plus que de moi.
- Pourquoi ? Parce que tout repose sur l'argent et les notes sur cinq étoiles ?
- Pas seulement. J'avais l'impression de débarquer d'une autre planète, au milieu de tous ces traders, de ces joumalistes et de ces homos avec la boule à zéro et une petite boucle d'oreille, qui n'en ont rien à foutre de rien à part le fric et le cul. Mais c'est ces types-là qui dirigent le pays.
- Oh là, douœment, l'interrompit Gadi, d'abord amusé par la description de Ronen, avant de poursuivre avec gravité. Depuis quand tu es devenu un gros beauf bas du front ?
On pouvait attendre d'un Premier ministre au passé militaire qu'il craigne une issue malheureuse et cherche à l'empêcher, mais Doron avait déjà constaté auparavant que les priorités d'un chef de gouvernement n'étaient pas toujours d'ordre tactique, et qu'il était difficile de les prédire, et parfois même de les comprendre après coup.
Des délibérations avisées pouvaient conduire à l'approbation d'une mission dangereuse contre une cible stratégique, de même que des élections à venir.
De la même façon, une visite du Premier ministre aux États-Unis pouvait déboucher sur l'annulation d'une opération élégante à laquelle ils travaillaient depuis des mois, afin d'éviter un embarras diplomatique.
Selon lui, l’échec de Ronen et celui de l'opération tout entière prenaient leur source à la même cause. Seuls les gentils garçons acceptaient qu'une mission aussi aventureuse ait lieu, et seuls les gentils garçons hésitaient au dernier moment.
Ronen en avait déjà pâti, et à présent Gadi voulait soigner le mal qui rangeait toutes les states du Mossad. C'était un fait que le système pouvait traiter chaque élément séparément, et que presque toutes les opérations avaient fonctionné. Mais les succès de l’organisation ne pouvaient se poursuivre si elle persévérait à nommer un gentil garçon au poste de Numéro Un dans une mission par trop hasardeuse.
(…)
- Un béni-oui-oui n'examine pas sa conscience, il se contente de faire ce qu'on lui dit. Que Dieu vienne en aide à tous les bons petits béni-oui-oui.
La mort était l'étalon à l’aune duquel il mesurait sa vie. Savoir la mort inévitable l'avait poussé à définir ce qu'il voulait faire de son passage sur terre, et quels objectifs étaient futiles. Il voulait aimer Helena, Ami et Ruth, il voulait consacrer une part de sa vie à la famille élargie, ou tribu, à laquelle il appartenait, comme le dictaient ses gènes. Ce qu'il ne voulait pas, c'était dépenser son énergie pour se faire un nom dont on se souviendrait après sa mort, quand cela n'aurait plus d'intérêt pour lui.
La mort était une certitude, la seule inconnue étant le moment de sa venue : cette perspective permettait à Gadi d’entreprendre des missions très risquées presque calmement.
Le fait que Gadi soit allé à Beyrouth seul ne lui était apparu clairement qu'au cours de sa conversation avec Beaufort, et elle ne comprenait que maintenant, en compagnie d'Helena, qu'il s'y était rendu sans l'appui du Mossad.
Il s'agissait donc de Gadi le preux chevalier contre Ronen le tigre en cage ; toute autre partie impliquée l'était pour les combattre, pas pour les sauver.