L'époux n'est pas le maître, le seul maître est l'amour.......
Où est la fontaine?Moi, j'en boirai l'eau autant que je voudrai, à en noyer mon inextinguible soif. Ils sont à moi l'un et l'autre, mon amour et l'eau. L'amour nous vient de Dieu. L'amour seul est la Loi.
I réserva la meilleur place au haut bout de la table, contre le tronc de l'arbre, au maître Mkrtitch absent. Il disposa sept autres petits verres sur la nappe et servit la vodka. A côté des verres de ses amis, il plaça les meilleures brochettes et d'autres mets. Puis, il s'assit à sa place habituelle (...) lorsque les derniers sons se furent fondus dans le feuillage frais, il leva son verre, effleura celui de maître Mkrtitch, et dit :
- Pour la dernière fois, ce toast est pour toi, ami. Quand on est mort, c'est pour très longtemps. Que ton souvenir demeure aussi longtemps parmi les hommes, maître.
Il trinqua une deuxième fois et vida son verre. Puis, tour à tour, il prit celui de Mkrtitch, celui d'Onès, celui de Karo, celui d'Aghassi, de Bagrat, de Sarkis, et jeta leur contenu dans le fleuve. Et tout s'en fut au fil de l'eau.
Ils vivaient en frères, et pourtant, il leur fallait un lieu de réunion spécial à chacun, ils demeuraient dans des quartiers distincts, ils ne pouvaient se marier entre gens de deux communautés : Turcs et Arméniens (musulmans et chrétiens), ni même Grecs et Arméniens (chrétiens les uns comme les autres). Et ce n'est pas tout : les Arméniens d'obédience grégorienne ne pouvaient épouser les Arméniens d'obédience romaine.
Était-ce de honte ou cherchaient-ils à comprendre pourquoi les Turcs ne mangeaient pas de viande abattue par des Arméniens, pourquoi les Arméniens n'accepteraient jamais une miette de fromage turc, alors que les uns et les autres buvaient le même café, mangeaient le même pain - le lavach. Ou encore, ils se refusaient à boire l'eau les uns des autres, n'auraient pas donné leur verre à un homme d'une autre foi et pour rien au monde ne se seraient servi du sien : ils ne voulaient souiller ni leur bouche, ni leur vaisselle.
- Mais, père, là-bas ce sont de grands professeurs qui enseignent.
- Ah, de grands professeurs !
Le maître serra ses doigts tremblants et se frappa violemment la poitrine.
- Je suis le plus grand professeur ! Choisis qui tu voudras pour maître, sans l'enseignement de ton père, tu ne vaux pas un liard...