Me voici donc allongée sur le plateau, sous le cœur central de feu depuis lequel a été lancée cette masse grommelante et grinçante de roc plutonique, au-dessus de moi l’air bleu, et entre le feu du rocher et le feu du soleil, les éboulis, le sol et l’eau, la mousse, l’herbe, la fleur et l’arbre, les insectes, les oiseaux et les bêtes, le vent, la pluie et la neige – là montagne au complet. Lentement j’ai trouvé mon chemin à l’intérieur.
Il faut regarder de manière créative pour voir en cette masse de rochers autre chose que des saillies et des sommets – la beauté. Sinon pourquoi depuis tant de siècles les hommes se sentent-ils rebutés par la montagne ? C’est un certain genre de conscience qui interagit avec les formes de la montagne pour créer ce sens de la beauté. Pourtant les formes doivent être là pour que l’œil les voie. Et des formes d’une certaine distinction : de simples mottes ne feraient pas l’affaire. Il s’agit, comme pour toute création, de matière imprégnée d’esprit.
L’eau des Cairngorms est parfaitement claire. Issue du granit, sans tourbe pour l’assombrir, elle n’a jamais cette couleur d’ambre doré, le « brun croupe-de-cheval » pour lequel les cours d’eau des Highlands sont si souvent célébrés. Si elle possède une couleur, c’est le vert, comme dans la Quoich près de sa petite chute. C’est un vert comme celui des ciels d’hiver, vif de l’eau des glaciers. Parfois dans les chutes de la Quoich, le violet joue à travers le vert et l’eau jaillit et bouillonne dans une écume violette.
Par une opération aussi simple que le fait de bouger la tête, on peut faire apparaître un monde différent. Baissez la tête, ou mieux encore, détournez-la de ce que vous regardiez et baissez-vous, jambes écartées, jusqu’à ce que vous voyiez ce monde à l’envers. Comme il est devenu nouveau ! […] Les détails ne font pas partie de l’ensemble d’un tableau dont je suis le foyer, le foyer est partout. Rien ne se réfère à moi, la spectatrice. C’est ainsi que la terre doit se voir elle-même.
Toutes les fragrances aromatiques et entêtantes – pin et bouleau, myrte des marais, bruyère et orchis à la douceur de miel, et l’odeur propre du thym sauvage – ne signifient rien en mots. Elles sont là pour être senties. Je suis pareille aux chiens – l’odeur m’excite. Par un jour chaud et humide du milieu de l’été, j’ai humé un parfum riche et fruité qui montait du matelas d’herbes, de mousse et de buissons de baies sauvages qui couvre une grande partie du plateau.
Le bruit de toute cette eau courante être aussi essentiel à la montagne que le pollen aux fleurs. On l’entend sans l’écouter, comme on respire sans y penser. Mais à l’écoute, le bruit se désintègre en de nombreuses notes différentes – la lente claque du loch, le trille aigu du ruisselet, le rugissement de la cascade. Sur une petite portion d’un cours d’eau, l’oreille peut distinguer simultanément une douzaine de notes différentes.
Je n’étais pas intéressée par la montagne elle-même, mais par ses effets sur moi, comme le chat ne caresse pas l’homme mais lui-même contre ses jambes. Mais comme je vieillissais, et devenais moins autosuffisante, je commençai à découvrir la montagne en elle-même. Tout me devint bon, ses contours, ses couleurs, ses eaux, ses rochers et ses oiseaux.