Mon interview d'Odile Lefranc afin de parler de son premier roman Le lac au miroir paru chez Viviane Hamy.
On y parle de son inspiration, de peinture, de son travail d'écriture ou encore des femmes de réconfort.
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Elle avait brûlé sa vie, comme si elle était en proie au perpétuel dilemme de rester ou de fuir. Elle avait fui dans l'alcool, dans les paradis exotiques, dans les amours compliquées, avant que la flamme du passé devienne un immense incendie. Et malgré sa fuite, elle était habitée d'une incroyable liberté. Je la vois encore danser à l'ombre des bougies, tournant sur elle-même en criant de tckakatchak, exorcisant les démons, belle et émouvante dans sa robe noire à large encolure. C'était comme ça que je l'avais connue. Aimée. Maman me venait sur les lèvres. Je croyais rentrer chez moi alors que c'était elle que j'accueillais enfin en mois.
Sur l'île, son impatience s'est transformée en énergie créatrice. Sa boulimie d'absolu s'est laissée apprivoiser par la nonchalance tropicale, laquelle impose une autre temporalité : il suffit de se fondre dans le grand rythme de la vie, comme un fleuve suit le tracé de ses rives.
A l'aube, il regarde par la fenêtre de son atelier. Aucun nuage, aucune brume. Cet instant si rare à Bali, il l'appelle l'embrasement d'or de la montagne sacrée. Une émotion le traverse. Il repense à une phrase lue dans un roman : Tout finira un jour, le ciel dans sa perpétuité, la terre dans sa durée, mais jamais ne s'épuisera cette douleur sans fin. Son regard se tourne vers le mont Agung ; il s'attend à un signe.
Le vieil homme s'est tourné vers moi :
- Qu'est-ce que tu voudrais savoir?
J'ai bredouillé :
- Il y a des statues près du bassin recouvertes d'un sarong à carreaux noirs et blancs, ceinturé d'un ruban rouge. Pourquoi?
- Ferme les yeux.
J'ai obéi.
- Essaie d'imaginer.
L'inflexion de sa voix était si rassurante qu'il me paraissait être revenu de tous les combats intérieurs.
- Il y a l'obscurité et la lumière. Tout est immobile et calme. Et soudain, ce qui va créer la vie, c'est le désir.
Maintenant qu'il se retrouve à l'entrée du cimetière, il hésite. Que vient-il chercher? Une sensation forte ou est-ce de la simple curiosité? Il a souvent reproché aux artistes leur manque de détachement. Il pense qu'il n'est guère mieux et qu'il ne parvient pas encore à prendre suffisamment de distance avec ses affects. Ses yeux s'attardent longuement sur le crâne humain posé sur un piédestal comme une vanité perdue dans la jungle.
Tout finira un jour, le ciel dans sa perpétuité, la terre dans sa durée, mais jamais ne s'épuisera cette douleur sans fin
Les notes de la Pavane de Ravel ont résonné dans la cour. Il me semblait que le pianiste avait modifié certains accords. La fausse note avait disparu. Comme s'il avait trouvé un passage secret dans la mélodie en altérant la sensible. Ce qui m'avait semblé discordant prenait une résonnance nouvelle.
-Tu sais que Maman est un mot que j'avais barré dans le dictionnaire, ai-je dit quand elle a décroché.
- Et alors?
- C'était une réaction puérile de ma part. C'était l'inverse que j'espérais. Écrire Maman en majuscules !
Pour la première fois de ma vie, parce que je me détachais de ce que je croyais être le plus cher à mes yeux, j'avais le sentiment d'accomplir un acte fort.
Elle me tenait des grands discours sur les artistes qu’elle voyait comme des inventeurs de l’essentiel et refusait tout compromis avec la sensibilité.