Olivier Petitjean

Il y a quelques décennies, un patron était un employé de son entreprise et rien d'autre. Son salaire fixe représentait l'essentiel de sa rémunération. Aujourd'hui, ce salaire fixe ne représente que moins de 25% en moyenne des sommes touchées chaque année par les dirigeants du CAC 40.
La rémunération en action en représente désormais plus de la moitié, le reste correspondant à la part variable, lui-même largement calculé sur la base d'indicateurs financiers et boursiers. Les patrons ont donc un intérêt très direct à prioriser la valeur en Bourse de leur entreprise.

C'est l'extension sans fin du maquis des aides aux entreprises, qui se sédimentent sans même faire la preuve de leur efficacité, transformant profondément le rôle de l'état : un état mis au service du secteur privé avant toute autre considération, protecteur des intérêts économiques établis, assureur en dernier ressort de la rentabilité du capital, organisateurs de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits.

Le dernier rapport en date de ce comité , préalable à sa dissolution à la suite de la transformation du CICE en allègement pérenne de cotisations sociales , conclut que le dispositif a permis de "créer ou sauvegarder"environ 100 000 emplois, principalement en 2014 et 2015, et dans un nombre relativement modeste d'entreprises bénéficiaires. C'est peu pour une aide estimée à 19 milliards d'euros par an : plusieurs centaines de milliers d'euros par emploi créé. Pourtant, de manière invraisemblable, le dispositif a été maintenu.

Selon le dernier rapport des politiques de sécurité sociale (REPSS) publié en 2022, la participation des employeurs privés au financement de la Sécurité Sociale n' a cessé de diminuer au point de devenir minoritaire: alors qu'en 1990, leur part était de 51%, elle est tombée à 36,5% en 2019. Désormais, les ménages sont les premiers financeurs d'une Sécurité Sociale dont le budget est de plus en plus élevé par la généralisation des exonérations de cotisations pour les employeurs.

De quoi Bernard Arnault et BlackRock sont-ils le nom ?
De ce que gouvernements et banques centrales ont déversé des centaines de milliards d'euros au bénéfice des entreprises et des marchés, sans conditions sociales, fiscales ou environnementales, et sans discernement quant aux bénéficiaires. Dès lors que les entreprises et les marchés n'étaient pas contraints de protéger l'emploi, de favoriser l'égalité femmes-hommes ou d'utiliser cet argent pour transformer l'appareil productif afin de répondre à l'urgence climatique, dès lors que quasiment aucune limite n'a été mise aux dividendes et rachats d'actions, ils ont fait ce qu'ils savent faire mieux que personne. Ils ont "créé de la valeur"pour leurs actionnaires. Ils pouvaient, ils y avaient intérêt, donc ils l'ont fait.

Le monde d'après ressemble furieusement au monde d'avant, en pire.

En 2018, les aides aux entreprises représentaient l'équivalent de 5,6% du PIB, en augmentation de 215 % sur un tout petit peu plus de 10 ans, soit une croissance annuelle moyenne de 7,2 % par an. C'est énorme.

Bercy ne dit pas le contraire : au détour d'une interview, en mai 2018, Gérald Darmanin, alors ministre de l'Action et des Comptes publics, indiquait que les aides aux entreprises représentaient "140 milliards d'euros chaque année"

Selon un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) [...] et de l'Inspection générale de l'administration (IGA) publié en en Javier 2007, soit quelques mois avant la crise financière de 2008-2009, l'ensemble des aides aux entreprises existantes représentaient à l'époque 65 milliards d'euros, dont 90% étaient financées par l'Etat.[...], ce rapport montre donc que l'équivalent de 3,5% du PIB annuel était alors mobilisé sous forme d'argent public au bénéfice des entreprises privées.

S'alarmant déjà de l'explosion des aides au secteur privé, l'économiste marxiste Anicet Le Pors publie en 1977 Les Béquille du capital pour établir cliniquement combien les industriels, de Dassault à à Thomson en passant par Michelin, sont déjà sous perfusion d'argent public. il y explique comment le patronat se mobilise pour obtenir des "aides exceptionnelles et temporaires", officiellement afin de faire face à des difficultés momentanées telle que la crise économique ou la concurrence internationale, mais qui pour certaines d'entre elles sont prérénnisées.

Selon une étude de l'Institut des politiques publiques(IPP) publiée en mars 2019, les grandes entreprises paient en moyenne bien moins d'impôts sur les sociétés(17,8%) que les PME(23,7%).

En 2018, les aides aux entreprises(140 Milliard d'Euros) représentaient l'équivalent de 5,6% du PIB, en augmentation de 215% sur un tout peu plus de dix ans, soit une croissance annuelle de 7,2% par an.C'est énorme . Rares sont les grandeurs économiques qui augmentent à un tel rythme moyen pendant plus de dix ans.
Surtout quand il s'agit de dépenses publiques, que tous les gouvernements disent vouloir compresser. De leur côté, les aides sociales dont le perimètre a déja été évoqué,qui représentaient près de 108 Milliards d'Euros en 2007, n'ont crû que de 31% sur la même période , soit 2,5% par an. Les aides publiques aux entreprises ont donc progressé trois plus vite que les aides sociales entre 2007 et 2018.