Laurence Vielle nous parle de «
La ville à voile » de
Paul Willems.
Lien vers le livre : https://www.espacenord.com/livre/
la-ville-a-voile-la-vita-breve/
A Pâques, je demandai d'aller en vacances à Ostende. Avant la guerre, Ostende flottait sur la mer. A marée haute, les vagues battaient les larges fenêtres de l'hôtel. La mer était striée de violet et le ciel était une mer inverse aux mêmes couleurs que l'eau. Les trente mille girouettes dorées qui faisaient la renommée d'Ostende, toutes parallèles au vent, ressemblaient à un banc de poissons remontant le courant.
Le matin, quand je sortais, la ville émergeait de la mer où l'avait plongée la nuit. Elle ruisselait d'eau. Les façades des maisons de la digue, sculptées de motifs marins, retenaient encore des lambeaux de vagues.
Des cariatides de sel portaient des balcons en fer forgé aux motifs d'algues.
Ici et là, partout, en haut, de tous côtés, les branches des arbres qui entouraient la clairière traversaient les murs et la voûte de brume. Elles avaient l'air de tenir toute l'église suspendue entre ciel et terre. Cette impression était renforcée par le lierre qui, ne pouvant s'accrocher aux parois, recouvrait le sol d'un épais tapis dont la couleur verte était exaltée par une lumière diffuse d'un gris exquis.
Chez les Schwûs, si les stèles confèrent vigueur à la langue, les chevaux, eux, sont les messagers de la foi. Toute pensée religieuse ou sociale est nécessairement portée par le vocabulaire cheval. Sergei m'en donna quelques exemples. On dit:
« Un cheval dans la tente » pour le désir de partir.
« Crinière cabrée » pour le combat.
« Galop profond » pour la mort.
Parfois, les mots ont des significations multiples. Crinière, outre combat, signifie départ, amour, automne.
Sergei assista un jour à la cérémonie des yeux.
Les cavaliers Schwûs se rangent dans la plaine, tournent la tête de leur cheval vers le soleil, et le regardent au fond de l'œil. Ils disent que l'œil du cheval est le seul miroir où se reflètent les dieux.
Le cérémonie est étrangement silencieuse. Seul le vent léger court de brin d'herbe en brin d'herbe et chuchote un secret sec. Le soleil, qui semble boire le rouge de la plaine, descend, cataclysme muet.
Les Schwûs, ce soir-là, ont vu le dieu, Mais ce devait être un dieu mauvais, car soudain, ils mirent la main sur l'œil du cheval comme pour cacher une chose effrayante.
« Galop profond » murmura un cavalier.
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La mort s'accepte ou se combat si la vie a eu un sens.
Voilà plus de trente ans que je prends tous les jours l’omnibus à Hove, près d’Anvers, et que je descends à Bruxelles. Quarante minutes de solitude protégée par la foule des voyageurs et rythmée par les roues sur les rails
L'âme ressemble au jardin du garde-barrière qu'on arrose le soir et qui est protégé du soleil par une haie verte. Personne ne peut y entrer. L'âme est un jardin solitaire. Quelques uns seulement connaissent la petite porte de bois du fond, c'est pourquoi il arrive d'entendre, le dimanche, le gravier des chemins crisser sous les pas des visiteurs. Chaque soir il faut arroser le jardin lorsque tout brûle et se dessèche autour de nous, car l'eau est notre amie.
L’acte d’écrire est dangereux parce qu’il fait douter de soi.
L’effort est immense. Les plus grands écrivains y ont sacrifié leur vie. Balzac et Proust ont succombé au travail. Kleist, Nerval et Artaud se sont suicidés. D’autres se sont systématiquement détruits comme Rimbaud
Tous les matins je glisse un livre dans ma serviette. À ce geste, je sens déjà monter en moi la joie de la lecture.
Ce n’est pas la page blanche qui donne le vertige, c’est la page noircie, souillée de mots.