AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Pedro Lemebel (17)


Toutes ces émissions sur le sujet avaient fini par la sensibiliser, par l’émouvoir au point d’en avoir la larme à l’œil chaque fois qu’elle entendait les témoignages de ces femmes à qui on avait arraché un mari, un fils ou un autre parent dans la nuit noire de la dictature. Elle osait à présent dire dictature et non pas gouvernement militaire…

p. 110.
Commenter  J’apprécie          340
Lucia s’adressant à son mari Augusto Pinochet :

Je ne te reproche jamais d’avoir voulu acheter ce pistolet de Hitler, à Madrid, quand on y était pour les funérailles de Franco. Tu te rends compte, vouloir dépenser trente mille dollars pour une camelote pareille ! Sans compter que tu n’étais même pas certain qu’elle soit authentique… Tu te serais fait avoir comme un benêt de gringo par ces voleurs d’Espagnols.

p. 65-66
Commenter  J’apprécie          280
Comment est-ce qu'on regarde quelque chose qu'on ne verra plus jamais ?
Commenter  J’apprécie          213
Ta générosité me touche, mon amour, et je voudrais voir le monde avec cette innocence qui me tend les bras. Mais, à mon âge, je ne peux pas partir en courant derrière un rêve comme une vieille folle. Ce qui nous a fait nous rencontrer, c'est deux histoires qui n'ont jamais fait que se donner la main au milieu des événements. Et ce qui ne s'est pas passé à ce moment-là ne se passera jamais nulle part.
Commenter  J’apprécie          153
Est-ce que je peux mettre de la musique, torero ? Carlos leva le nez de ses papiers. Une fois de plus la Folle le surprenait avec sa fantaisie baroque. Avec sa maniere de rehausser jusqu'au plus insignifiant des instants. II la regarda, ébahi. Juchée sur un rocher, la nappe constellée d'oiseaux et de petits anges nouée autour du cou, elle posait comme un modèle. Ses lunettes de chatte lui ajoutant de la prestance, elle mordillait coquettement une petite fleur, ses mains gantées de pois jaunes et ses doigts torsadés en l'air dans un geste andalou. II la regarda, amusé, marquant une pause dans son activité. Et ce fut lui qui, décidant de participer à la scène gitane en tant que spectateur, appuya sur le bouton du magnétophone pour la voir tourbillonner et se trémousser, comme s'il devait rester là pour toujours à applaudir les mimiques, les « baisers sorciers » que la Folle lui envoyait en soufflant des cœurs, des mouchoirs cramoisis qu'elle faisait flamboyer près de sa hanche, se cambrant comme une tige, comme une danseuse aux pieds nus, claquant des pieds sur la terre mouillée, sur la mousse verte de vert citron, de vert basilic, de vert que je taime comme les hautes herbes vertes de tant de verte espérance et de noire solitude.
Commenter  J’apprécie          140
A chaque période d'absence de Carlos, un abîme insondable crevassait ce paysage, car elle repensait à lui, si jeune et elle si âgée, si beau et elle si déplumée par les années. Ce petit homme si subtilement masculin, et elle, pédé comme un phoque, si foncièrement tapette que l'air autour d'elle était imprégné de ses émanations lopette. Qu'est-ce qu'elle y pouvait ? A cause de lui, elle était au bord du trépas, comme un papier de soie fané par son haleine moite. Qu'est-ce qu'elle y pouvait, si sa vie avait toujours été illuminée par l'interdit, si sa vie était une voix de tango muselée d'impossible ?

Qui aurait pu deviner quand l'amour,
le vrai, nous frapperait en plein cœur :
quand il est trop tard et qu'on est fichu,
prisonniers du fourvoiement.
Commenter  J’apprécie          130
Elle ne sortait pas souvent lécher les vitrines, comme disaient ses copines qui habitaient à l'autre bout de la ville. Lupe, Fabiola et Grenouille, ses uniques sœurs tapettes qui louaient une grande maison du côté de Recoleta, près du Cimetière général, dans ce quartier poussiéreux de taudis, d'impasses et de débits de boissons aux coins des rues où ça grouillait d'hommes, surtout des jeunes issus des quartiers pauvres bourrés du matin au soir et qui tournaient au vinaigre sous le soleil. Ivres et sans le sou comme ils étaient, ses copines n'avaient aucun mal à les traîner jusque chez elles et, une fois à l'intérieur, à les gorger de vin rouge pour finir toutes les trois le cul en l'air à partager les caresses baveuses d'un mâle chaud comme la braise. Tu ne sais pas ce que tu rates en ne venant pas plus souvent, ma jolie, la narguait Lupe, la plus jeune des trois, une boute-en train de trente ans à la peau mate, la seule qui pouvait encore se permettre de faire son show et de s'habiller comme Carmen Miranda, avec une minijupe en bananes qu'elle secouait à la face des zonards bourrés pour les réveiller.
Commenter  J’apprécie          123
Avec la suavité d'une geisha, elle sortit de sa bouche et empoigna la tête chauve et luisante, l'observa se dresser devant son visage et, de sa langue baveuse, aiguisée comme une flèche, le chatouilla, dessina son contour mauve. C'est de l'art amoureux, se répétait-elle infatigablement, respirant les vapeurs de male étrusque qu'exhalait ce champignon lunaire. Les femmes ne savent pas faire ça, s'imagina-t-elle, elles se contentent de sucer, alors que les folles exécutent une broderie chantante, jouent une symphonie. Les femmes ne font qu'aspirer, tandis que la bouche de lopette prépare la fiancée, lui envoie d'abord de la vapeur. La folle déguste d'abord, avant de laisser s'exprimer son sens lyrique dans le micro charnel qui diffuse sa libation radiophonique. C'est comme chanter, conclut-elle, interpréter pour Carlos un hymne d'amour qui s'adresse à son cœur. Mais il ne le saura jamais, confia-t-elle tristement à la poupée qu'elle tenait dans sa main et qui la regardait tendrement de son œil de cyclope. Carlos est bourré, il dort comme un loir, il ne saura jamais quel a été son meilleur cadeau d'anniversaire, dit-elle à la marionnette brune, embrassant avec une douceur de velours son petit méat en forme de bouche japonaise. Et, en guise de réponse, le pantin solidaire lui accorda une larme de verre pour lubrifier le chant asséché de sa solitude incomprise.
Commenter  J’apprécie          113
Ton souffle fatal
feu lent
qui brûle mes désirs
et mon cœur

Le souvenir de cette chanson de Sandro l'incita à allumer la radio, histoire de remplir de ballades romantiques le vide laissé par l'absence de Carlos et de combler de roses et de soupirs la marque de son corps creusée dans les coussins. Ah, et puis pour que la radio me le chante dans le silence de tombeau qui envahit cette maison dès qu'il n'y est plus. Mais elle eut beau tourner le bouton à la recherche de son baume musical, toutes les ondes diffusaient à l'unisson la voix du Dictateur. Quelle horreur ! Comme si ce schnock ne s'exprimait pas assez. Comme si on ne savait pas qu'il est le seul à donner des ordres dans ce putain de pays où on ne peut même pas se payer un tourne-disque pour écouter ce qu'on veut.
Commenter  J’apprécie          90
Comme chaque année, le printemps était arrivé à Santiago, mais cette fois il charriait avec lui les couleurs vibrantes des murs barbouillés de graffitis virulents et de slogans libertaires, les mobilisations syndicales et les manifestations d'étudiants dispersées par la police à grand renfort de canons à eau. Les gamins de l'université résistaient à coups de pierres aux geysers répugnants des flics. Ils revenaient infatigablement à la charge et finissaient par prendre la rue d'assaut avec leur tendresse Molotov enflammée de colère. Ils posaient des bombes pour provoquer des pannes d'électricité et tout le monde achetait des bougies, en stockait à qui mieux mieux pour éclairer les rues et les caniveaux, pour que des braises arrosent la mémoire et que des étincelles fissurent l'oubli. Comme s'ils attrapaient la queue d'une comète pour qu'elle frôle la terre en hommage à tant de disparus.
Commenter  J’apprécie          90
Arrêtez-moi ça ! ordonna-t-il au chauffeur. Dans ce pays de souris, personne n'oserait me couper la route. A ma connaissance personne, pensa-t-il, hormis ce Front patriotique Manuel Rodríguez exclusivement formé d'étudiants qui se prennent pour des guérilleros. Une bande de lavettes tout juste bonnes à jeter des pierres, à chanter des chansons de Violeta Parra et à lire des poèmes. Des petites mauviettes, oui ! Tout juste bons à réciter des poèmes qui parlent d'amour et de mitraillettes. Je hais la poésie, comme je l'ai dit à ce connard de journaliste qui m'a demandé si je lisais Neruda. Est-ce que vous avez déja écrit un poème ? m'a demandé l'imbécile. Vous voulez que je vous fasse un aveu ? Je hais les poèmes. Je n'aime ni en lire, ni en entendre, ni en écrire, rien du tout. Où est-ce qu'il est allé pêcher une question aussi conne ? Pourquoi ne pas me demander si je fais de la danse classique, tant qu'on y est. Et ce Neruda, heureusement qu'il a claqué en 73, sans quoi je l'aurais envoyé faire son service militaire pour lui apprendre à penser comme un homme. Que serait devenu ce pays avec un poète communiste comme président ? Et dire que j'ai dû l'applaudir au Stade national en 72, quand les Suédois lui ont décerné le prix Nobel.
Commenter  J’apprécie          70
Qu'est-ce qu'elle y pouvait ? A cause de lui, elle était au bord du trépas, comme un papier de soie fané par son haleine moite. Qu'est-ce qu'elle y pouvait, si sa vie avait toujours été illuminée par l'interdit, si sa vie était une voix de tango muselée d'impossibles ?
Commenter  J’apprécie          50
Pourquoi a-t-il fallu que tu mettes des lunettes noires alors que ce jour-là il faisait gris? l'avait incriminé sa femme. Tu ne vois pas que les communistes ont utilisé cette photo pour te discréditer? Tu ressembles à un gangster, à un mafieux, avec ces affreuses lunettes. A vrai dire , maintenant qu'il y réfléchissait, il les avait mises pour ne pas avoir à regarder les gens dans les yeux, ou plutôt pour qu'on ne lise pas la satisfaction dans le regard de vautour qu'il arborait en ces jours de colombes mortes.
Commenter  J’apprécie          20
C'est très sérieux, plus que tu ne crois, c'est pourquoi je veux que tu n'en saches que le strict minimum. et si un jour on devait entrer en contact dans la clandestinité, on utilisera un mot de passe, un code secret qu'on sera les seuls à connaître; qu'est-ce que t'en dis? J'adore ça ( ses joues étaient comme deux pêches au soleil), est-ce que ça pourrait être les paroles d'une chanson? C'est pas très courant , mais si tu veux, à condition que ça ne dépasse pas trois mots. Ça y est, j'ai trouvé. Tu veux que je te le marque? Surtout pas malheureuse, rugit Carlos avec une tendresse ludique. un mot de passe ne doit jamais être écrit, il faut l'apprendre par cœur. Alors je te le dis à l'oreille. Carlos rapprocha sa joue de sa bouche de colibri qui lui souffla doucement la buée chansonnière de leur nom de code.
Commenter  J’apprécie          20
Parce que les larmes des folles n'avaient pas plus d'identité que de couleur ni de saveur, elles n'arrosaient aucun jardin d'illusions. Les larmes d'une folle solitaire comme elle ne verraient jamais le jour, ne seraient jamais des mondes humides épongés par les mouchoirs absorbants des pages littéraires. Les larmes des folles avaient toujours l'air fausses, des larmes de crocodile, des pleurs de clown, des larmes frisottées, accessoires de scène pour jouer une émotion loufoque.
Commenter  J’apprécie          10
Et toi, Carlos, c'est quand ton anniversaire? Bientôt. Tu es vierge? Plus ou moins. Alors le trois. Tu chauffes. Le quatre. Tu chauffes encore. Le cinq. Tu brûles. Le six. Ben, disons que c'est le six. C'est dans pas longtemps, alors. Bon , je te laisse garder la maison. prends tes clés parce que je dois sortir livrer un travail. Tu n'es plus fâché? J'étais fâchée, moi? Nous autres, les stars, ne nous fâchons jamais, nous ne pouvons pas nous le permettre. Et les dernières lettres de sa réponse s'attardèrent sur ses lèvres comme un baiser interrogateur.
Commenter  J’apprécie          10
Jamais une femme n'avait provoqué un tel cataclysme dans sa tête. Aucune n'avait réussi à le déconcentrer ainsi, par tant de folie et de légèreté. Parmi toutes les petites amies qui avaient flâné dans son cœur, aucune n'était capable de faire un tel cinéma pour lui, là, de but en blanc, en pleine campagne, avec pour seuls spectateurs les montagnes agrandies par les ombres à l'approche.
Commenter  J’apprécie          10

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Pedro Lemebel (61)Voir plus

Quiz Voir plus

Parfum et Cinéma

« Vous savez, on me pose de ces questions ! On me demande : "Qu’est-ce que vous mettez pour dormir ? Un haut de pyjama ? Le bas ? Une chemise de nuit ?" Je réponds : "Chanel n°5", parce que c’est la vérité… Vous comprenez, je ne vais pas dire nue ! Mais c’est la vérité ! » Quelle actrice se confie ainsi sur son parfum favori?

Marilyn Monroe
Lauren Bacall
Bette Midler

7 questions
6 lecteurs ont répondu
Thèmes : Parfums , parfumerie , parfumeur , fragrances , littérature , culture générale , mode , haute couture , adapté au cinéma , adaptation , cinemaCréer un quiz sur cet auteur

{* *}