Un jour, le professeur de mathématiques aperçut ses croquis.
-Les intouchables n'ont pas de cerveau! s'écria-t-il en l'expulsant de la classe.
Cette sanction n'affligea pas Pikej. Il savait ce qu'il voulait, et c'était tout autre chose. La physique, la chimie et les mathématiques étaient pour lui les pires matières, il détestait les sciences. D'autres se chargeraient de construire la nouvelle nation.
Le lendemain, le professeur qui l'avait chassé du cours vint le trouver pour lui donner un bon conseil.
-Pradyumna Kumar, tu ne peux pas continuer comme ça, dit-il.
-Mais qu'est ce que je dois faire?
-Va t'inscrire aux Beaux-Arts !
Il suivit ce conseil , envoya balader les projets de son père et quitta son école avec cinquante-cinq roupies en poche.
Pikej revint sur ses pas et passa sa première journée de classe seul dans un coin de la cour à refouler ses larmes. Le deuxième jour, il trouva une mare derrière le bâtiment de l'école où il joua tout suel. Au bout d'une semaine, il aspirait à ces moments de tranquillité près de la mare. Mais il ne comprenait toujours pas pourquoi il n'avait pas le droit de se mêler à ses camarades de classe. Il regarda son visage dans le miroir de l'eau, cherchant des traits et une couleur qui seraient différentes des autres. Son nez était peut-être trop plat, sa peau trop foncée, ses cheveux trop bouclées ? Tantôt il croyait voir dans son reflet une créature de la forêt, tantôt un enfant semblable aux autres.
Avant que Pikej n'entre à l'école, il ignorait tout des caste. Personne ne lui avait expliqué que les hommes étaient divisés en quatre catégorie et des milliers de sous-catégories. Il n'avait jamais entendu parler du Rig-Veda, cette collection d'hymnes sacrés remontant à plusieurs millénaires, où l'origine des castes est décrite. Il ignorait que les brahmanes, c'est-à-dire les prêtres, venaient de la bouche de Purusha les kshatriyas, autrement dit les guerriers, venaient des bras, les vaishyas, soit les commerçants, les artisans et les paysans, de ses cuisses, et, enfin, les sudras, c'est-à-dire les ouvriers et les serviteurs, de ses pieds.
Parmi les enfants des intouchables du village, il était le roi. Il ramassait des cailloux qu'il trouvait le long du chemin. Des cailloux plats, polis, doux et de couleur claire. Il prenait du charbon de bois de foyer dans la cuisine et peignait sur ces cailloux des soleils levants et couchants, et des montagnes recouvertes des forêts.
La lisière de la forêt était l'horizon de Pikej, mais son monde allait au-delà et s'enfonçait dans la forêt. Voilà ce qu formait son monde : le village et la forêt. Rien d'autre. La forêt est infinie, mystérieuse, et en même temps elle avait pour lui quelque chose de familier et de rassurant. Elle tenait à la fois de l'aventure et de l'évidence. Il avait seulement entendu parler de la ville, mais n'était jamais allé.
"Ton fils doit comprendre et respecter nos traditions et nos règles. Qu'est-ce que ce serait si tout le monde faisait ce qu'il voulait?", écrivit-il dans sa lettre.
Shridar répondit qu'il connaissait parfaitement les règles, tout comme son fils. "Mais, répondit-il les règles sont injustes et c'est une honte pour un pays comme l'Inde qui se veut moderne et sur un pied d'égalité avec les grandes nations occidentales."
-Pikej, disent-ils, tu es quelqu'un de bon et tu rends les gens bons. Mais en Europe, ça ne se passe pas comme ça. Les compassion est moribonde, chez nous. En Europe, les actions des hommes sont régies par la peur, et non par l'amour.
L'amour ? Mais s'ils ne font que suivre les règles et des décisions, peuvent-ils encore croire à l'amour ? Lotta peut-elle l'aimer si tous les Européens ne vivent qu'en se conformant strictement aux règles ?
Il y a beaucoup de nuages noirs devant le soleil, mais un jour, le vent les chasse.
Il pleure souvent quand il se heurte à des difficultés et quand il voit d'autres personnes comme lui être humiliées et opprimées par ceux qui ont le pouvoir, l'argent et un meilleur statut social. Il est en proie à des sentiments violents et contradictoires. Alors qu'il ressent un intense bonheur et veut laisser éclater sa joue, ses larmes peuvent lui monter aux yeux et son cœur se remplir de chagrin.
Il avait passé son bras autour d'elle et admirait les étoiles, puis la contemplait, elle, avant de lever de nouveau les yeux vers les étoiles. C'était romantique, mais en même temps douloureux de soutenir trop longtemps son regard. C'était pratique de pouvoir se réfugier dans les étoiles.
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