Critiques de Philip K. Dick (1673)
Nous sommes en 1959 dans une petite ville des États-Unis. Ragle Gumm ne travaille pas. Enfin, l'activité qui le fait vivre échappe aux schémas traditionnels des métiers. Chaque jour, il répond à la question d'un jeu-concours : où sera le Petit Homme Vert la prochaine fois ? Et depuis trois ans, il tient le haut du pavé, gagne à tous les coups et se remplit les poches de dollars. Mais tout ne va pas aussi bien que ça dans un monde superficie ! où des anomalies vont bientôt lui apparaître. La radio n'existe pas. Ragle est sujet à des hallucinations inexpliquées qui touchent également certaines personnes de son entourage. Des objets bizarres sont découverts : un annuaire falsifié, des revues qui parlent de gens n'existant pas dont une certaine Marilyn Monroe...
Le monde est fou dans le Temps désarticulé. Ragle Gumm est fou. Dick aime les thèmes de la réalité truquée, de l'univers factice, du temps erroné, des individus reprogrammés à leur insu, des leurres plus vrais que nature, des esprits malades, de la guerre vraie ou fausse. Il les illustre tous dans ce roman, simultanément, et les lie par une intrigue fort simple agrémentée d'une sauce épicée. Ça part comme un roman de littérature générale et ça finit dans la Science-Fiction la plus pure.
En Science-fiction, précisément, Dick c'est quelque chose, une sorte de gourou. Le nombre des écrivains qui l'on imité est stupéfiant et constitue la preuve flagrante de son importance.
Maintenant que Dick est mort, on peut le vénérer ; sa légende ne fait que naître.
Éric SANVOISIN
dans Fiction 395
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Ah ! un nouveau bouquin de Dick. Chaque bouquin de Dick est pour moi un heureux événement, surtout s'il est quasiment inédit (comme c'est le cas ici : seule une version sérieusement amputée était parue en 1966 dans Galaxie, en trois épisodes) et même s'il est ancien — dix-sept ans déjà. Je dois dire que, sortant à peine du fondamental Siva, j'ai abordé ce roman-ci avec une certaine appréhension : supportera-t-il la comparaison ? Ne sera-t-il pas trop vieilli, justement ?
Justement non : Philip K. Dick se joue du temps avec autant d'aisance — si l'on peut dire — que de ses (nos) espaces internes. Glissement de temps sur Mars nous ramène à la veine « martienne » de l'auteur, qui a produit deux autres sombres joyaux : Simulacres (J'ai Lu 594) et Le dieu venu du Centaure (Marabout 627). Ce roman-ci précède de peu Le dieu venu du Centaure, tant par la date de sa création que par l'histoire elle-même : sur une planète Mars complètement irréelle — même déjà irréelle en 1964 — des colons tentent de recréer tant bien que mal un ersatz de société terrienne, ou plus exactement de la société américaine de la fin des années 50. Mais l'environnement de Mars leur est hostile et ravive les tendances schizophréniques de l'individu, tendances ramenées évidemment de la Terre. Les radiations cosmiques du voyage Terre-Mars ont produit des enfants anormaux, notamment Manfred Steiner, un gamin autistique — c'est-à-dire incapable de communiquer avec son entourage — qui possède le triste pouvoir de voir dans le futur. Triste parce qu'il connaît son futur possible : malade, impotent, amputé, végétant grabataire dans un des immeubles délabrés de l'AM-WEB, la puissante Coop terrienne qui va investir massivement sur Mars, et contre laquelle Arnie Kott... Vais-je raconter toute l'histoire ? Non, ce serait inutile et vain — car l'histoire se passe essentiellement dans la tête des protagonistes, et il faudrait quasiment retranscrire leurs états d'âme profonds, leurs dialogues de sourds. Dialogues de sourds, oui, car le thème central du bouquin est surtout l'incommunicabilité, liée à la déviation schizophrénique (un problème que Dick connaît bien) ou simplement à !a différence de milieu : ainsi, entre Jack Bohlen — schizo latent — et son père Léo Bohlen, promoteur immobilier aux deux longues... et d'acier. Tiens, ça ne vous rappelle rien ? Léo Bulero, dans Le dieu venu du Centaure — devenant le stigmatisé Palmer Eldritch à la fin. D'ailleurs, on apprend incidemment que la Terre, se foutant du sort misérable de ses colons martiens, vient d'envoyer un vaisseau vers le Centaure... le D-Liss et les Combinés Poupées Pat ne sont pas encore là, mais toutes les conditions sont réunies pour leur importation massive, on le sent.
Bref, je ne vais pas me lancer dans une étude exhaustive de cet important roman, Marcel Thaon y réussit fort bien dans sa remarquable étude — sauf qu'il n'a rien compris, apparemment, au « discours de Metz », qu'il résume à un délire mystique masquant un certain amalgame paranoïde que Dick ferait entre le réel et sa perception/évocation/retranscription du réel. En vérité ce qu'à dit Dick à Metz est SA réalité — cela n'a RIEN de mystique : les romans de Dick SONT SA VIE et réciproquement — il nous l'a prouvé magistralement avec Siva, et il le répète sans cesse tout au long de son œuvre, comme l'a pourtant bien vu Marcel Thaon. Alors ? Un écrivain ne devrait-il pas adhérer à ses écrits ? Ne devrait-il pas y croire, les tenir pour réels ? Devrait-il sans cesse rouler ses lecteurs ?
Jean-Marc LIGNY
dans Fiction 320
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Écrit à la suite du Maître du Haut-Château, en 1962, ce livre n'est paru qu'en 1964 chez Ballantine, directement en poche, non sans avoir été publié en magazine en 63 sous le titre « All We Marsmen ». Ambitieux sur bien des points mais manquant de relief sur d'autres, le roman nous entraîne sur une colonie martienne de l'an 1994 qui pourrait très bien passer pour un lotissement californien des sixties. Le héros typiquement dickien, le gars ordinaire, le travailleur manuel, s'appelle ici Jack Bohlen, réparateur et ancien schizophrène enclin à la rechute. Pris dans une affaire qui le dépasse et qui concerne le sort de la planète, il va se débattre tout le long du texte entre ses problèmes personnels, conjugaux, et les affaires d'achats de terrains dans lesquelles il va se retrouver mêlé. Somme toute une intrigue classique pour du Dick, croisant plusieurs niveaux scénaristiques.
L'homme de pouvoir du livre, Arme Kott, est à la tête du syndicat des plombiers. Lorsqu'il découvre un jeune enfant autiste aux pouvoirs psychiques étranges, Manfred Steiner, il charge Jack, qui se trouve être le voisin des parents du garçon, de développer un moyen d'entrer en contact avec lui. Kott espère ainsi voir l'avenir et acheter puis revendre plus cher les terrains désertiques qui pourront intéresser l'ONU. Or, rien ne va se passer comme prévu et la présence de Manfred va replonger Jack dans des crises de schizophrénie particulièrement douloureuses. Un personnage intéressant et atypique apparaît ici : Héliogabale est un Bleek, un autochtone, un extraterrestre qui, à l'opposé d'Arnie Kott, fait preuve de bonté et arrive à communiquer avec l'enfant autiste. Bien que secondaire, ce protagoniste représente la caritas, l'empathie que professe Dick et qui selon lui caractérise l'humain.
L'intrigue initiale va monter en puissance et se complexifier à chaque glissement temporel de Manfred, mettant le lecteur au centre d'une spirale vertigineuse autant sensorielle que mentale. C'est que, derrière le vernis des motifs dickiens tels que la présence de l'entropie (que Manfred appelle rongeasse) et la rivalité entre deux personnages que tout oppose, se cache une expérience particulièrement fascinante pour celui qui osera s'y aventurer. Le jeu sur la réalité est ici beaucoup plus tortueux que dans d'autres romans de l'auteur. Les chapitres 10, 11 et 12 de Glissement de temps sur Mars sont, de ce point de vue, les plus complexes structurellement de l'œuvre de Dick. En effet, le principe de dislocation du récit (c'est-à-dire le principe de juxtaposition des points de vue des personnages et la superposition de plusieurs intrigues) y atteint son paroxysme. En 56 pages, on change seize fois de narrateur alors que s'effectue un incessant va-et-vient entre le présent et le futur. Sans entrer dans les détails, on s'aperçoit de la précision de l'auteur dans la construction d'un récit qui va petit à petit contaminer le lecteur et le mettre dans la peau d'un autiste et d'un schizophrène. Du grand art.
Dans un monde parfait, ce roman aurait connu le même succès que son prédécesseur, Le Maître du Haut-Château, et permis à Dick de s'envoler vers de nouvelles expérimentations toujours plus époustouflantes.
Même si l'intrigue est un peu longue à démarrer et malgré l'apparence de roman typiquement dickien que revêt le texte, Glissement de temps sur Mars est un diamant brut : au lecteur de le tailler.
Laurent QUEYSSI
dans Bifrost 18
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Comme le souligne Marcel Thaon dans la post-face qui enrichit cette réédition, ce livre appartient au début de la période « martienne » de l'auteur, période comprenant les années 1963/1964 et illustrée par, outre le roman qui nous intéresse, Le Dieu venu du Centaure et Simulacres. La planète Mars possède un statut particulier. Voilà une colonie qui n'est pas comme les autres ; d'abord parce qu'elle se situe non loin de la Terre et ensuite parce qu'elle représente un vieux rêve humain : Mars, la planète rouge, ses canaux, son mystère, premier objectif après l'annexion de la Lune... Cependant, vue au travers de la lorgnette dickienne, la réalité ressemble davantage à un quotidien terne, dur et misérable.
Dans Glissement de temps sur Mars, Dick consacre son écriture à la schizophrénie. Il en décrit les symptômes, l'état d'esprit, le désespoir et la peur qui leur sont liés. Heureux les fous ? Ils se protègent du réel, dit-on ; à quel prix ?
Deux des personnages principaux subissent/vivent la maladie. Il y a Jack Bohlen qui répare les machines à défaut de pouvoir se réparer lui-même. Et puis il y a surtout Manfred Steiner, l'enfant autistique, prisonnier de son futur et de la rongeasse qui habite sa tête. Ces deux-là vont se rencontrer. La folie du second va contaminer le premier et lui provoquer ces crises que depuis longtemps il croyait terminées.
S'ils s'en tireront finalement à leur manière, ils n'en guériront pas pour autant, semant sur leur passage un peu de leur aliénation. L'incommunicabilité ne laisse personne indifférent, qu'elle attire ou qu'elle repousse. C'est un miroir qui nous renvoie nos propres décalages, un révélateur de la fragilité de notre propre cohésion. On ne veut bien sûr pas regarder ce que cache le silence, ce que voient ces yeux vides : des êtres qui vont trop vite, qui parlent et qui souffrent trop vite, ces êtres-machines qui se transforment subitement, qui de chair et d'os deviennent amas de fils métalliques, de boulons et de mécanismes artificiels.
Glissement de temps sur Mars ne relate pas l'histoire de Mars mais celle de quelques colons ; quelques malades, quelques gens ordinaires. Quel fabuleux roman plein d'une violence psychologique contenue et coupante.
Ce que l'on est coïncide rarement avec ce que l'on croit être et jamais avec ce que l'on voudrait être/devenir.
Dick n'est pas devenu personnage de ses romans. Ses personnages sont devenus Dick. On ne peut raisonnablement pas considérer les doutes dickiens comme des simulacres. Eux, au moins, ils sont bien réels.
Éric SANVOISIN
dans Fiction 376
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je l ai lu il y a longtemps et j en avais gardé un souvenir trés fort
je l ai relu, et c est vraiment bon
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Il y a des mondes étranges dans lesquels l'auteur ne peut nous faire entrer qu'après 300 pages. Ce n'est pas le cas dans ce recueil de 7 nouvelles de science-fiction. Dick nous plonge avec une rapidité toute virtuose dans des mondes toujours plus différents. L'aventure ne se départit jamais d'une délicate leçon morale et d'une chute toujours réussie.
Mention spéciale à la nouvelle "interférence", bijou du récit pourtant classique du voyage dans le temps.
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Il a d'emblée" toute une vie d'avance"
John Birnbaum, le monde des livres, p.4
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