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Citations de Philippe Dagen (30)


Je vais encore vous dire quelque chose qui peut paraître absurde. Notre visage n'est fait que de morts : le nez de votre arrière grand-père, les yeux d'une aïeule dont vous ne connaissez pas le nom, et ainsi de suite. Les physionomies sont faites de collages de morts qui vivent en nous. Et notre esprit ? N'est-il pas un collages des esprits des morts ?
[...] Il y a peut-être des gens, voici des siècles qui ont réfléchi, et dont je continue à poser les questions - des questions, il y en a quatre ou cinq, l'amour, la nature, le sexe, la mort. Elles ne changent pas. Mon activité est de les poser avec des formes, des sons, des lumières. De les poser autrement qu'avec des mots - Tout continue, c'est même la seule phrase optimiste que je puisse prononcer. Dans cet atelier, peut-être, dans des années, il y aura une nouvelle conversation, ce ne sera plus vous, ce ne sera plus moi, mais elle sera proche de la nôtre.

Christian Boltanski
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Dans la hiérarchie des plaintes, la dégradation de l'alimentation occupe un haut rang. Indignée, elle voit comment les comptoirs de nourriture précuite et préemballée envahissent le centre de Tours : ventes de fast-food, briocheries, sandwicheries, friteries. Elle éprouve une haine particulièrement intense contre les briocheries qui sentent la graisse chaude. Des espèces de légumes anciens disparaissent, les maraîchers font faillite, on ne pêche plus dans la Loire à cause des centrales nucléaires. Si les écologistes n'étaient pour la plupart des gauchistes et des subversifs, Régine Salmon voterait pour eux "des deux mains". Aussi ne vote-t-elle pas, ce qui ne l'empêche pas d'énoncer des dogmes et des jugements politiques catégoriques.
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[...] le voyage à Paris s'impose comme un devoir dans ce cercle artistique bien avant que Picasso ne prenne le train pour la France en compagnie de Casagemas. Le portrait de Picasso par Ramon Casas le montre devant un paysage urbain à peine esquissé, mais dans lequel se reconnaît l'architecture pseudo-byzantine du Sacré-Coeur. Schéma emblématique : "Aller à Paris et en venir est une habitude chez certains, une obsession chez d'autres, les plus jeunes", écrit Maria Teresa Ocaña. Elle poursuit : "Comme le dit Jaume Sabartés, "le fait d'aller à Paris était comme une maladie qui causait des ravages parmi nous." (p. 23)
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L'adoration du Greco par les modernistes catalans suscite les protestations des tenants de la tradition issue de Velázquez. En 1903, l'un d'eux proteste contre le culte voué à cet homme doué "d'un orgueil satanique pour se moquer avec une ironie solennelle et pathétique de tout ce que nous appelons nature, art, raison en tout lieu et en tout temps." Encore ne s'agit-il que de quelques événements dans une chronique qui pourrait être plus longue, tant le Greco fait l'objet de controverses autour de 1900. Que Picasso en ait eu connaissance est d'autant moins douteux qu'il connaît Rusiñol et Zuloaga, et qu'il a pu voir des Greco dans l'appartement parisien de ce dernier, dont son "Apocalypse". Quant à "L'enterrement du comte d'Orgaz", il l'a vu à Tolède, visite scolaire alors qu'il était élève à Madrid en 1897, et revu lors de son second séjour madrilène en 1901 : c'est dire à quel point la toile de 1566 est présente à sa mémoire quand il veut en déduire un hommage funèbre à l'ami Casagemas. (p. 33)
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Pas plus qu'au temps du Harem pour ce qui est d'Ingres, pas plus que du Greco, de Van Gogh ou de Cézanne, Picasso ne se met à l'école de la "tradition "française" tant célébrée après l'armistice. Comme auparavant, il s' approprie, il assimile, il métamorphose : le rapport demeure distancié, critique, parodique à l'occasion. Il ne retourne pas au musée, mais traverse la mode du musée, qui se réclame de lui à tort, et ne s' y arrête pas. Point de retour, point d'ordre.
"L'art d'un Picasso ne se borne pas à l'application d'un procédé ; par ses recherches aiguës et sévères, par sa préoccupation de tirer d'un objet tout ce qu'il peut donner d'émotion esthétique, il a profondément étendu le domaine de la peinture [...]"(Guillaume Apollinaire). (p. 197)
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Pour moi, un tableau n'est jamais une fin, ni un aboutissement, mais plutôt un heureux hasard et une expérience.
(Picasso, Propos sur l'art, Gallimard 1998, p.22)
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Pour filer une métaphore militaire : les Océaniens, les Indiens et les fous sont les "alliés substantiels" des surréalistes. Avec eux, ils est possible de s'échapper.
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Autant le dire, j'ai rencontré bien moins d'artistes peu curieux et peu savants que d'historiens de l'art enfermés dans leur spécialité et n'imaginant même pas en sortir pour rejoindre leur temps. Surtout, le savoir artistique des artistes est vivant. Il n'est pas compilé par application d'un système, souci d'encyclopédisme ou désir de prestige social et professionnel. Il est animé par un principe actif, il n'est pas anesthésié par le respect, il ose la critique et ne s'interdit pas le sacrilège - être mort depuis longtemps n'est pas un mérite en soi qui doive interdire la discussion. L'un des effets de cette relation vivante est de faire voir autrement les "maîtres d'autrefois", qui cessent d'être "d'autrefois" pour être de maintenant.
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Ce qui prend forme dans les métropoles à partir du dernier tiers du XIXe siècle, c'est simplement le monde du capitalisme, le monde de la marchandise. Les écrivains français - Baudelaire, Flaubert, Zola, Huysmans, Maupassant - ont écrit cette histoire, que ce soit pour déplorer la fin du monde ancien ou pour commencer l'inventaire du nouveau : le temps de l'homme des foules, des passages, de la modernité économique - le temps de Karl Marx pour dire la chose brièvement et en pensant à Walter Benjamin. Leurs contemporains peintres, à l'exception de Manet et de Caillebotte, ont paru répugner à prendre pour sujet de telles réalités, leur préférant le plein air impressionniste ou, dans le cas unique de Gauguin, partant aux antipodes pour fuir "une époque terrible" après avoir subi l'expérience de la misère. Cette réalité qui n'est guère plus sensible dans les toiles des Nabis et des Fauves, fait intrusion chez Picasso de la façon la plus directe : en collant ces productions sur la toile et le papier. Le monde contemporain, celui des affiches Kub et Pernod, ne se voit nulle part mieux qu'au Bon Marché, un nom qui ne peut avoir été donné que par antiphrase ou par dérision (p.148).
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Puisqu'il faut une doctrine à cette supposée école cubiste, quelques uns prétendent l'expliquer par la géométrie de Riemann - quand ce n'est pas celle de Princet... -, alors que son expérimentation est empirique et exclut l'application d'une théorie. Autant d'erreurs et de contresens. Autant de manières d'aliéner sa liberté et de l'inclure dans un groupe, un programme, un système - et cela dans la bouche de gens qui n'ont de surcroît aucune connaissance des difficultés plastiques qu'il affronte, la perte de l'objet, la disparition de la représentation. La colère qu'il ressent [Picasso] s' entend encore dans ses propos des années 1920. En 1923, il dit à Marius de Zayas : "Pour en donner une interprétation plus facile, on a mis le cubisme en relation avec les mathématiques, la trigonométrie, la chimie, la psychanalyse, la musique et que sais-je encore. Tout cela est pure littérature, pour ne pas dire absurdité, et cela a donné de mauvais résultats, en aveuglant les gens avec des théories. "(p.126)
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Au reste, comment les musées et les expositons se visitent(ils désormais ? En groupe. Classes, amicales, associations, voyages organisés, clubs de retraités, sociétés : en groupe avec guide. Si ce dernier manque, des écouteurs sont à votre disposition dans le vestibule, afin de vous conduire, afin de vous éviter la terrible solitude, le terrible silence - afin que vous sachiez ce qu'il faut penser, ce qu'il faut aimer et pourquoi. Le parcours terminé, en groupe, on se rend dans une salle où des vidéos achèvent le travail de programmation. Surtout pas un instant de liberté, pas de libre arbitre. Admirez à gauche, vénérez à droite. Fidèles,inclinez-vous. Après l'office, vous achèterez une image pieuse, commode marque-page.
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Musées, mausolées, tombeaux
Quelques faits, en matière de symptôme. Les trois présidents de la République qui se sont succédés de 1969 à 1995 ont, chacun, fait don à la capitale d'un grand musée, le Centre Georges Pompidou, le musée d'Orsay, le Grand Louvre. Deux d'entre eux, Orsay et la Louvre, ont été aménagés et réaménagés dans des bâtiments anciens et l'apport du présent fut d'y introduire des éléments funéraires. A Orsay, où étaient les trains, en place des quais, ont été édifiés des caveaaux plaqués de pierre et fermés de grilles, le long d'une allée qui semble la grand-rue d'un cimetière, droite entre les tombes monumentales et des statues de marbre et de bronze. Au-dessus de ce paysage sans couleurs, une horloge démesurée a été conservée, l'un des seuls éléments intacts de la gare. Le symbole s'imposait : elle compte les heures, inexorable, inutile.
Au Louvre, pour signaler l'entrée du labyrinthe, il a fallu une pyramide, autre édifice funèbre. On y descend dans une cité troglogyte, aux couloirs point trop éclairés. Au sous-sol les bases d'une forteresse médiévale ; dans les étages du marbre, des dallages : partout l'air inerte et la température constante des hypogées. [...] Inguérissable terreur des germes : s'ils venaient à pénétrer, à se développer, le cadavre parfaitement embaumé risquerait la décomposition - la décomposition, pas la mort.
Celle-ci a été constatée depuis longtemps. Le temps qui passe dans ces lieux est le temps du posthume, le temps de l'après, quand il ne peut plus rien arriver...
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Picasso veut être un constructeur, un réfléchisseur. Il a pu lire ce que Cézanne a écrit à Emile Bernard : "Le littérateur s'exprime avec des abstractions, tandis que le peintre concrète, au moyen du dessin et de la couleur, ses sensations, ses perceptions. On n'est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature : mais on est plus ou moins maître de son modèle, et surtout de ses moyens d'expression. Pénétrer ce qu'on a devant soi, et persévérer à s'exprimer le plus logiquement possible." Ces propos correspondent mot pour mot à sa propre conception de la peinture telle qu'il la réalise à partir des Demoiselles d'Avignon (p.99).
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« J’attends, je cherche, ce qui veut dire que je ne peux pas chercher Dieu. La seule chose que je puisse faire, c’est croire en mes parents, et par amour pour eux (peut-être parce que je suis un idiot) observer les fêtes. Est-ce que ce n’est pas Dieu, ça ? Si cet attachement que j’aie pour mes parents est Dieu, je n’en sais rien. Tout, la peinture, la nature, la joie de vivre, etc. est peut-être Dieu ; mais si on en revient au « Grand Tout », cela se résume au mot « parents ». Bien sûr, la peinture peut être la chose la plus importante pour moi, mais cela ne me ramène pas moins à mes parents. Alors que j’ai encore mes parents devant moi, ce serait un péché de rechercher ce qui, selon la pensée humaine, entre dans cette notion de « Grand Tout ». Suis-je un peu limité, je ne le crois pas. Trop jeune, certes. »
Lettre à Ludwig Meidner, 21 avril 1925
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[…] Nussbaum arbore pour la première fois, en 1928, dans un autoportrait, un masque ridicule et poignant, aux yeux fermés, au nez rouge et à la bouche entrouverte, qui cache la bas de son visage, mais par-dessus lequel il lance un regard interrogateur, disant la contradiction entre l’identité qu’il endosse, celle qu’il donne à voir, et la réalité intime des peurs qui l’habitent. Devenu un artiste sans patrie, le masque lui sert à exprimer les variations de ses états d’âme d’exilé, entre prostration et rébellion, et des procédures par lesquelles il fait face au difficile exercice de son art.
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De quelle commande a bénéficié Matisse après guerre ? D'aucune. Quelle sculpture monumentale a-t-elle été demandée à Picasso pour Paris ? Aucune. Quand Matisse se met au travail dans la chapelle de Vence, l'initiative est personnelle et ne doit rien aux institutions. Quand Braque reçoit enfin une proposition, pour des plafonds au Louvre, il s'en faut de peu que ce qu'il propose soit refusé. Quant à Picasso, seules l'Unesco et la ville de Chicago eurent l'esprit de requérir ses services.
[...]
Qu'avait collectionné la Troisième République, héritière du Second Empire ? Des Prix de Rome dont nul ne sait plus rien ; les membres de l'Académie des beaux-arts, anonymes de leur vivant ; des bronziers dans la manière la plus classique enrichis dans l'industrie des monuments aux morts villageois. Si esthétique officielle il y eut pendant un siècle, ce fut celle de la tradition encroûtée, des recettes périmées, du beau métier à l'ancienne, celle de l'idéal classique ressassé ad nauseam.
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Me voilà au terme de mon voyage. Dans une semaine, nous entrerons au port de Papeete et toi mon lecteur, tu seras sur le quai à m'attendre.
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Duchamp fabriquait ses objets insensés avec de la ficelle, découpait des bonnets de bain en caoutchouc et prétendit exposer un urinoir de faïence aux Indépendants, l’ayant intitulé Fountain. Nous donnions le spectacle d’une puérilité aggravée jusqu’au crétinisme. Puisque l’humanité était tombée dans la folie du meurtre, nous ne pouvions faire mieux que de sauter dans l’absurdité. Entre le cimetière et le jardin d’enfants, nous avions choisi, probablement avec l’espoir que tant rajeunir nous tiendrait à distance de la mort.
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Si j’ai jamais obéi à un idéal, ce fut celui de l’invisibilité: passer inaperçu, n’être pas plus qu’un spectre dans ce monde saturé de personnes épaisses et d’apparences lourdes.(...) A vingt-cinq ans, j’avais écrit que je serais toutes les choses, tous les hommes et tous les animaux. Manière de dire que je ne voulais m’arrêter à aucun de ces états: n’être que le passage, la métamorphose. La métempsycose, en accéléré.
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Félix Fénéon avait, autrement dit, des ressemblances avec Duchamp. (...) Ce que je ressentais de dégoût et de rage, ils l’avaient déjà ressenti, analysé, mis en système et épuré. Ils en avaient pris leur parti, de façon clandestine, et avaient décidé de faire la seule chose qui demeurait possible : agir à l’intérieur de la grande machine économique afin d’en détourner un peu de l’énergie vers l’inutilité de l’art. Ayant renoncé à réformer la société, même par le sang et la dynamite, FF était devenu marchand de tableaux, auprès de clients qu’il inquiétait par sa froideur mais qui respectaient ce gentleman sentencieux et strict. Cétait le dernier moyen qui lui restait de perturber légèrement la circulation de l’argent : prendre à de grands bourgeois pour donner à de jeunes peintres et permettre de la sorte que survive, à l’extérieur du monde sérieux, des êtres soustraits à son empire. Duchamp a fait de même, sans plus d’illusions : économie de survie que j’ai pratiquée à ma façon. Ce que l’on appelle, chez les gens comme il faut, le parasitisme, vivre aux crochets, abuser de la situation. Assurément, nous en avons beaucoup abusé. Mais n’était-elle pas abusive elle-même, cette situation qui prétendait nous astreindre à ses obligations, travail, patrie et famille ?
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