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Citations de Pierre Demarty (24)


De quelles fantômes, de quelles fêlures sommes-nous les hôtes ?
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...comme son beau-frère trouvillais, le Srijayawardenapurakottais, en dépit des tsunamis et des tracasseries dermatologiques il est vrai non moins fréquentes qui lui enquiquinent une existence déjà pas facile-facile en termes de subsistance, de transports en commun et d’étanchéité au sol, est un individu qui gagne à être connu, car humble, attentif à son prochain, enclin à la rigolade et d’une générosité inversement proportionnelle à son revenu fiscal de référence...
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Le 3 octobre, à cinq heures, un homme, dont le nom ne vous dira rien (lui-même ne vous en dirait guère plus), sort de son appartement, referme doucement la porte derrière lui, descend les escaliers, sort de l’immeuble, marque un temps d’arrêt, un dernier temps d’arrêt, à moins que ce ne soit le premier, traverse la rue, et voilà, c’est la dernière fois que Jean Nochez (appelons-le Jean Nochez) franchit le seuil de chez lui, ça y est, c’est décidé, ça a mûri et maintenant c’est décidé, encore que, décidé, le mot est fort, il sort, pour la dernière fois du moins avant longtemps, il ne sait pas encore combien de temps exactement, moi non plus, ni vous, on va bien voir.
En tout cas c’est Solange qui va en faire, une tête.
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« Combien étions-nous ? Qui était là ? Qui, parmi nous, pourrait dans quelques quarts de siècle, chenu, chantourné par la voussure des ans mais la voix ferme encore et chargée d’émotion, raconter à ses petits-neveux rassemblés au coin du feu ce qu’il vit ce jour-là chez Ripoche, leur dire : je suis venu, j’ai bu, j’ai vu ? Qui et combien furent les témoins du, précisons-le cependant, très peu dramatique surgissement de Jean Nochez sur la scène de nos libations liquoreuses ? Et moi-même, n’en ai-je conservé le si net souvenir qu’à force de l’imbiber du suc fallacieux de la légende ? Car avouons-le, nous qui demeurons amarrés à jamais au comptoir, interdits de toute autre forme de périple, sommes hommes à confabuler souvent ; le mensonge et l’alcool sont nos seuls voyages, l’invention notre seule évasion. (Eh quoi ? J’entends qu’on s’indigne ? qu’on crie à la déception ? au roman ? à la marchandise ? Pourtant frères humains qui après tout lisez, n’ayez les coeurs contre nous endurcis : de nos tromperies, vous êtes au fond, sinon la cause et l’immobile moteur, du moins les complices.) » (p. 52-53)
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« Sa vie désormais est un songe : une ombre qui passe, un pauvre acteur qui s’agite à peine et qui pour parader dans ces pages n’a pas même assez de consistance ; déjà on ne l’y entend plus. C’est un récit plein de silence et de rumeur, et moi l’idiot qui le raconte, et vous qui en cherchez le sens. » (p. 87)
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Voilà des détails tout à fait indignes d’un ouvrage d’histoire, et que tu liras sans vouloir les mettre par écrit ; et bien entendu, c’est à toi, qui me les a demandés, que tu t’en prendras si tu ne les juges même pas dignes d’une lettre. Au revoir. (Lettre de Pline le Jeune à Tacite, traduction Nicole Méthy)
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Longtemps, ainsi, il m’aura suffi de prononcer cet imparable sésame – « j’y-étais-ce-jour-là » – pour entrer aussitôt de plain-pied, de plein droit, au panthéon des Admirables Anonymes que toutes les patries du monde reconnaissantes s’étaient bâti à l’improviste, dès le lendemain, pour remplacer ce qui avait été détruit et ainsi parachever la catastrophe. Car le désastre n’est pas tout, ni les morts qu’il emporte en tribut sur son passage ; encore faut-il, pour que le spectacle soit complet, qu’il en reste quelques-uns pour le raconter – et moi seul ai survécu pour te le dire…
Mourir, c’est bien ; avoir failli, c’est mieux. Ainsi quelques millions d’individus, dont il se trouve qu’ils se trouvaient là-bas, ce jour-là, à ce moment-là, ont-ils instantanément, et par la seule grâce de cette présence fortuite, accédé au statut prestigieux de survivant. Je fus de ceux-là – dont on se demande bien, du coup, ce qu’ils étaient jusqu’alors, avant de se mettre un beau jour à survivre : des zombies ? Oui, sûrement, souvent. Des vivants, de simples vivants ? Pourquoi pas. Autant dire : des mortels. Dead men walking. Et qui depuis s’accrochent, avec une frénésie cannibale, aux lambeaux putrides de la tragédie qu’il leur aura suffi de frôler pour prétendre y survivre, pour prétendre, autrement dit, à l’immortalité.
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Non, ça, renoncer, il a l'habitude ; c'est, chez lui, comme on dit, une seconde nature (quoique, encore faudrait-l déterminer en quoi consiste la première) ; c'est l’œuvre de toute une vie.
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Alors ça ne va plus trop, entre Jean et Solange.
Ca ne va plus trop alors qu'il ne s'est rien passé, au juste. Il n'y aura pas eu d'éclat, de trahison, ni cris ni pleurs. Pas de ce théâtre-là, entre eux ; ce serait plutôt au contraire que la scène est déserte, le décor branlant, les costumes mangés aux mites, et que les acteurs ont oublié leurs répliques. Ca ne va plus trop parce qu'il ne se passe plus rien, justement.
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Ici il n'y a de mer. Ici on ne se noie pas sinon dans les foules et la solitude, et les larmes ravalées, contenues, que chacun porte en soi.
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Tu me demandes comment c’était.
Me croiras-tu si je te dis que je ne souviens de rien ?
Tu veux savoir comment c’était, tu veux qu’avec des mots j’exhume des cendres, et que des cendres mêlées aux mots, comme d’un brouet d’enchanteur, jaillissent des mondes perdus, l’Atlantide fabuleuse d’un carnage qu’on t’a déjà tant de fois conté, tant de fois que tu as fini par ne plus y croire, tant de fois que tu n’as plus que des légendes à quoi te raccrocher, mais chacune épaississant si bien le mystère des précédentes que toutes – ainsi amoncelées, enchevêtrées les unes aux autres comme les décombres de ces jours-là, tantôt fumeuses, tantôt calcifiées, pétrifiées dans la gangue des cent mille milliards de mots qu’on a déjà déversés en tombereau sur le cadavre, à l’en étouffer pour de bon et pour l’exorciser sans doute -, toutes les légendes, plutôt qu’à l’éclairer, conspirent à ramener sur ce jour fameux le voile de la nuit, de l’obscur et de cet effroi très particulier qui naît de l’incompréhensible.
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Tout de même, à force, il a fallu un jour que j'en aie le coeur net. Trêve de songes, de supputations et d'atermoiements, une impérieuse nécessité m'enjoignait soudain, sans autrement se justifier, d'endosser l'habit du trappeur et de partir, à l'aventure, traquer la bête, la débusquer de son terrier, là où elle s'était enfouie, bien profond sous les neiges du néant, et voir un peu ce qu'elle y tramait.
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Car on peut aller très loin sans aller nulle part.
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C’est un petit garçon couché sur le sable de cette plage de nulle part, de n’importe où, où il n’y a rien et où il n’y a personne, où la mer n’a pas de couleur et où il n’y a pas de ciel, pas de vent, pas de bruit, pas de lumière. Le petit garçon est couché sur le ventre. Tourné légèrement de trois quarts, vers nous.
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C'est l'Islande. Un jour, ajoute-t-il dans un susurrement inusité à l'intention de sa femme comme s'il lui faisait miroiter une polissonnerie, un jour nous irons en Islande. Et Solange, dont on gage qu'elle ne s'est jamais aventurée au-delà des positions, étroites d'esprit et du reste, sur lesquelles campe d'ordinaire le missionnaire, et qu'un rien de scandinaverie suffit par conséquent à plonger dans un embarras émoustillé, Solange rougit.
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Ce n'est pas, que je sache, parce qu'on est à peine vivant qu'on est mort.
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Alors comment on fait, pour éprouver ? Comment ça marche ? Comment ça s'apprend, quand on ne sait pas ? Et à qui poser la question, sans passer pour le fou ou le diable qu'on n'est pas, ou pour l'enfant qu'on n'est plus ?

Comment on pleure ?
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La vie de Solange Nochez, à partir de cet instant, prend des allures d'une telenovela mexicaine mal doublée devant laquelle s'assoupit chaque après midi, au risque de ne jamais se réveiller, le maigre bataillon des désoeuvrés de la tranche horaire postprandiale, femmes de ménage soupirant de concert avec leur fer à repasser, piafs en cage et carassins en bocal, dépressifs ou retraités de la fonction publique et autres pensionnaires momifiés des Bleuets Jolis que l'on parque, les lèvres ourlés d'un reste frémissant de flan au caramel, dans une "salle de vie" ( par opposition aux chambres, sans doute, qu'on imagine plutôt dévolues à l'inverse ) où y a pas d'joie ni de meubles, hormis le gros poste accroché en hauteur au bout d'un bras télescopique, et qu'un sadique a pourtant trouvé idoine et plaisant de baptiser " Salon Charles Trenet ", c'est dire si bonjour bonjour les hirondelles et bonjour l'ambiance.
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"...enfin si Lili veut bien arrêter de taper des pieds dans sa poussette à 999€ TTC, merde à la fin, et maintenant tiens, ben voyons, la petite vieille de service et son déambulateur qui marche à deux à l'heure et qui prend toute la place sur le trottoir, c'est pour qui c'est pour bibi, tu penses, c'est cadeau ça fait plaisir, putain mais vas-y avance bordel, magne-toi le cul, bouge-les un peu tes varices, barre-toi la vioque, dégage, tire-toi, va prendre le bus avec les autres fossiles de ton espèce plutôt que d'emmerder le monde à frotter de la charentaise sur la voie publique, y'en a qui ont des gosses et qui bossent, merde quoi,....."
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Justement, quand ainsi l'on a décidé de prendre congé des choses, c'est d'abord le silence qu'il faut apprivoiser. Or cette bête sauvage, à la chair aussi rare qu'exquise, préfère encore se laisser dévorer que domestiquer ; en conséquence de quoi nous avons désappris, au fil de siècles entiers de tintamarres, à la connaître et l'apprécier. Traquée impitoyablement, honnie, traînée aux gémonies de nos bruyants capitoles, elle n'est plus pour nous qu'un lointain souvenir, une espèce éteinte. Parfois, comme ces étoiles orgueilleuses qui longtemps après leur mort s'obstinent à briller vainement au fond des ciels sales, il nous semble l'appréhender dans l'assombrissement des sons qui précède le sommeil. Mais c'est un leurre ; un trompe-l'oreille ; une effigie abâtardie ; car tendez le tympan : vous discernerez toujours, sous le semblant de rien, des éclats subtils de vociférations, l'écho de nos tumultes incessants. Le vrai silence, celui dont Jean, capitonné dans le caisson du Drakkar, découvre peu à peu les courbes inouïes, est un monstre de mythes, de rêves et d'histoires, dont plus personne ne saura jamais désormais s'il a réellement existé un jour ; il a pris place, au muséum de nos barbaries naturelles, dans la galerie des grands exterminés, aux côtés de l'insomniaque dodo, du potamochère sud-africain, de la rythine de Steller et de l'éléphant de Sicile.
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