Petite, on me disait de me tenir droite, de me tenir comme il faut, mais jamais de tenir ma langue, puisque j’étais une taiseuse.
Dans le cas de l’autrice, ce n’était pas tenir sa langue dans le sens que l’on connait, mais plutôt de parler français, de ne pas oublier le russe, langue maternelle et surtout, de ne pas mélanger les deux !
Souvent, lorsque l’on travaille avec des collègues bilingues (néerlandophones dans mon cas), les mots des deux langues se mélangent, un mot flamand sort à la place d’un Français, mais tout le monde comprend, personne ne s’en offusque. Pas la mère de Polina qui veille sur le russe de sa fille comme sur le dernier œuf du coucou migrateur…
Ce roman, c’est le récit d’un exil, d’une immigration vers la France, c’est celui d’une famille qui a quitté un pays qui n’existe plus maintenant, l’URSS, devenu la Russie. C’est un roman d’apprentissage, celui d’une langue pas facile pour celles et ceux qui doivent l’apprendre, la maîtriser.
C’est aussi l’histoire d’une naturalisation qui s’est mal passée puisque son prénom a été francisé et que Polina croyait qu’elle pouvait utiliser le prénom de Pauline et/ou de Polina. Ben non, elle était devenue Pauline.
Changer de prénom n’est pas difficile, en principe, si demain, je voulais me faire appeler Caroline ou Elizabeth, cela passerait sans problème. Oui, parce que mon prénom est dans le calendrier, qu’il est francophone. Là, la magistrate ne comprenait pas pourquoi elle voulait récupérer un prénom russe ! Kafkaïen !
Il y a de l’humour, dans ces pages. Non, on ne s’esclaffe pas, on ne se tape pas sur la cuisse, mais on sourit devant cette petite fille, débarquant à la "materneltchik" et ne comprenant rien à ce qu’on lui dit, se liant d’amitié avec un gamin bègue, évincé des autres pour cause de différence, lui aussi.
On sourit devant les noms des magasins, des publicités, qu’elle comprend mal, qu’elle retranscrit en phonétique. Et cet accent qu’elle ne veut pas avoir, sauf si c’est celui du présentateur du J.T, qui n’en a pas.
Le ton de son écriture est enjoué, mais il est aussi caustique, notamment avec l’intégration. Pourquoi enfermer quelqu’un dans une culture, une seule, alors qu’il est plus enrichissant d’en avoir plusieurs, de jongler avec ?
Les arrière-grands-parents de l’autrice avaient russisé les prénoms de leurs enfants, notamment celui de sa grand-mère qui se nommait Pessah (trop juif) en Polina… Pour se protéger des persécutions. Polina, l’autrice, voulait juste récupérer celui de sa grand-mère, rien de plus, et ce fut un combat difficile, long et dur.
Un roman sur l’absurdité de certains systèmes judiciaires, administratifs et sur les difficultés de l’exil, sur ces deux langues avec lesquelles il faut jongler : être russe à la maison (dedans) et française à l’extérieur (dehors). Exercice d’équilibriste bien difficile.
Un roman pétillant, amusant, drôle, caustique. Le récit d’une double culture, d’un exil toujours difficile. J’ai autant apprécié les récits consacrés à sa vie en France qu’à ses retours en Russie, de voir le décalage entre deux cultures, ses retrouvailles avec ses grands-parents maternels, dont la question essentielle était "c’est mieux en France ou en Russie ?".
C’est grâce au passage de l’autrice à La Grande Librairie que j’ai eu envie de découvrir son roman, qui m’a sorti de ma zone de confort, qui m’a fait découvrir d’autres horizons et c’était une très bonne chose.
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