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Critiques de Polina Panassenko (163)
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Tenir sa langue

°°° Rentrée littéraire 2022 #10 °°°



Dans ce roman frondeur et intelligent, l'auteure raconte son parcours du combattant pour faire changer son prénom francisé à sa naturalisation; elle veut reprendre son prénom de naissance, Polina et non Pauline. le premier chapitre s'ouvre sur une scène à l'absurdité kafkaïenne lorsqu'elle est convoquée au tribunal de Bobigny, face à l'incompréhension de la juge. de sa colère naît un questionnement puissant sur l'identité qui lui fait retracer sa propre histoire d'enfant née en URSS dont la famille a migré en France, à Saint-Etienne.



La force de frappe du récit, c'est son humour ravageur. On se marre non-stop grâce à des trouvailles stylistiques truculentes. Entre bourdes interculturelles et lapsus linguistiques, le travail d'écriture est formidable et donne envie de citer une multitude de passages plein de verve et d'inventivité qui mettent immédiatement des images très marrantes dans la tête : lorsqu'elle découvre la langue française à l'école, ne comprend pas tout mais commence à construire un mur étanche entre son français et son russe sans que rien n'y filtre, russe chez elle, français à l'extérieur de la maison, devenant la seule de la famille à perdre son accent russe pour adopter l'accent TV de Jean-Pierre Pernaut et Laura Ingalls ou des pubs Findus Croustibat.



A l'école « On me parle encore et encore de la langue qu'il me manque. La langue du français. C'est pour elle que je dois y aller. Je dois retourner à la materneltchik pour qu'elle me pousse. Tu la chanteras comme un oiseau, tu verras. Tchik-tchirik, fait le moineau. Mais j'ai déjà une langue. Qu'est-ce qui lui arrivera ? Tchik-tchik, font les ciseaux. Je pense aux queues des lézards que j'attrape à la datcha. Si on le touche, elles se détachent. On voit le moignon rose et les chairs à vif. La queue s'agite encore un peu et puis c'est fini. C'est une queue morte. On enferme le lézard dans le terrarium. Quelques jours plus tard une nouvelle queue lui pousse. C'est pour ça qu'il faut aller à la materneltchik. »



Après plusieurs mois à l'école « Quand je me réveille, le mur est froid, j'ai une sensation étrange dans la bouche. Ça me gratte. La langue, la gorge, le palais. Ça me démange, comme la croûte du genou écorché. J'ai la bouche astringente. Ça vient d'en bas, de l'intérieur de la gorge. Une envie de la gratter au-dedans. Dans un dessin animé qui se passe dans la jungle, j'ai vu un ours gros et gros se gratter avec un palmier. C'est ça que je voudrais faire. Je tousse un peu, je grogne. Je pousse quelques sons aspirés, gutturaux ? ça soulage. C'est un trop-plein de russe resté coincé pendant la materneltchik ou bien c'est le français qui s'installe et se met à l'expulser ? J'ai la langue qui me gratte. »



A la maison : « Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur. Ma langue est son nid. Ma bouche, la cavité qui l'abrite. Plusieurs fois par semaine, ma mère m'amène de nouveaux mots, vérifie l'état de ceux qui sont déjà là, s'assure qu'on ne n'en perd pas en route. Elle surveille l'équilibre de la population globale. le flux migratoire : les entrées et sorties des mots russes et français Gardienne d'un vaste territoire dont les frontières sont en pourparlers. Russe. Français. Russe. Français. Sentinelle de langue, elle veille au poste-frontière. Pas de mélange. Elle traque les fugitifs français hébergés par mon russe. Ils passent dos courbé, tête dans les épaules et glissent sous la barrière. Ils s'installent avec les russes, parfois mêmes copulent, jusqu'à ce que ma mère les attrape. »



Derrière son ton enjoué et léger, Polina Panessenko met le doigt sur les points névralgiques de l'identité et de l'intégration. Aux injonctions à rendre à la France qu'elle lui a donné, elle répond par une réflexion pertinente et contemporaine qui dénonce l'absurdité à vouloir enfermer une personne dans une culture alors que l'ouverture multiculturelle peut représenter une richesse tant on ne cherche pas à la contraindre, ce qui ne peut conduire qu'à une dangereux repli identitaire. Elle rappelle très pertinemment l'histoire de sa famille, Juifs ukrainiens, ayant déjà hérité d'une modification onomastique.



Fuyant les pogroms en s'installant en URSS, son arrière-grand-père avait fait le choix de russiser les prénoms de ses enfants afin de les protéger : par exemple, sa fille ( la grand-mère de Pauline donc ) au prénom juif très marqué, Pessah, est devenue Polina … le père de l'auteure a fait ce même choix en francisant le prénom russe, craignant des discriminations et jugeant que gommer toute trace d'extranéité serait une bonne chose. Cette fois-ci, l'histoire ne se répète pas. Pauline, redevenue Polina, n'a plus besoin d'un « e » en feuille de vigne pour s'affirmer en tant que Française.



Un premier roman drôle et engagé, insolent d'intelligence.
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Tenir sa langue

Voilà une lecture qui a tenu ses promesses, je m’en lèche encore les babines !

L’autrice, d’origine russe, nous narre avec beaucoup d’humour son enfance avec ses grands-parents et parents à Moscou, puis son déracinement en France, à Saint-Etienne, nécessaire au travail de son père.

Polina a dû se battre pour apprivoiser le français, elle se remémore l’exclusion en maternelle et en élémentaire que cela lui a valu, sa soudaine perte de mots, quand français et russe se bousculaient au portillon de sa langue.

Langue qu’elle a d’ailleurs bien pendue, et elle ne mache pas ses mots quand elle nous dit sa sidération et sa colère quand elle comprend, que sans en avoir conscience, elle a été dépossédée de son prénom, transformé en Pauline, sans qu’on lui demande son avis, lors de sa naturalisation. C’est son père, pensant faciliter son intégration en France, qui a demandé ce changement.

Mais Polina à l’âge adulte ne l’entend pas de cette oreille, et nous raconte sa bataille judiciaire pour récupérer son prénom de naissance et pouvoir le mentionner sur ses papiers officiels. Car ce prénom n’est pas juste une sonorité, il raconte avant tout qui elle est, son histoire. Ce prénom est celui choisi par sa grand-mère d’origine juive pour se cacher, fuir les nazis, et surtout protéger son fils, en demandant à russiser son propre prénom Pessah en Polina.

L’autrice, elle, veut porter son prénom et ses origines en étendard, elle est fière. Son objectif est que sur l’acte de naissance de son enfant qui viendra un jour, figure le prénom Polina que ses parents lui ont donné à la naissance.

Un livre plus profond qu’il n’en a l’air et qui m’a charmé par la verve de son autrice, une grande simplicité et une franchise désarmante qui émeut. Polina nous tire la langue avec irrévérence et c’est extrêmement réjouissant !

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Tenir sa langue

C’est lorsqu’elle a voulu inscrire son prénom de naissance sur ses papiers d’identité que Polina, a découvert qu’être autorisée à utiliser son prénom francisé, conformément à la demande de son père des années plus tôt, signifie en fait renoncer au prénom initial ! Pas d’autre recours que la lourde machine judiciaire pour retrouver officiellement ce prénom originel.



Quelques chapitres mettent bien en évidence l’absurdité du processus, mais cette quête de l’identité est surtout l’occasion de convoquer les souvenirs de l’enfant qui quitte la terre natale pour débarquer dans ce pays inconnu, immergée dans un bain de langage dont les sons ne font pas sens. Jongler entre les deux langues pour ne pas perdre le russe, mais s’intégrer dans ce pays qui l’a accueillie.





La double culture est une richesse qui peut cependant peser lourd et engendrer des quiproquos désagréables. Le juste équilibre entre l’assimilation et la fidélité aux origines est un défi quotidien.



Avec beaucoup de fantaisie, et un art de restituer les balbutiements d’une enfant qui découvre une langue inconnue, les sons lui parviennent, l’imagination fait le reste, Polina Panassenko nous propose un récit attachant, drôle, mais qui n’occulte pas les écueils d’un exil obligé.



Très agréable premier roman, qui révèle un vrai talent d’écriture.



190 pages L’olivier août 2022


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Tenir sa langue

Avec une écriture pleine d'humour parfois féroce et une grande tendresse, Polina Panassenko nous parle de la tragédie que vivent beaucoup d'immigrants .Elle est née en Russie et s'appelle Polina mais lors de son immigration en France elle deviendra Pauline.

Franciser son prénom, lui explique-t-on est un gage de vouloir s'intégrer dans son pays d'accueil.

Polina Panassenko nous conte son arrivée en France, à Saint-Étienne avec beaucoup de tendresse et de dérision.Il lui faut du jour au lendemain plonger dans un modèle français dont elle ne maîtrise pas la langue.

Elle fait preuve de beaucoup d'humour , la maternelle où elle fait ses premiers pas , elle l'appelle la " martermeltchik".

Pendant des années, Polina va en vacances à Moscou retrouver ses grands -parents bien aimés dans la datcha où là encore, elle doit tenir sa langue.

En aucun cas, elle ne doit dire qu'elle vit en France.

A l'âge adulte, Pauline veut redevenir sur son état civil : Polina et là c'est impossible .

Avec ce premier petit roman, Polina Panassenko montre du doigt l'absurdité de certains rouages de l'administration .

En quoi, s'appeler Polina ou Pauline change les choses pour une carte d'identité alors que pour l'intéressée, son vrai prénom est son identité pleine et entière à juste titre revendiquée.

Un bon petit roman qui se dit légèrement.

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Tenir sa langue

«  Russe à l'intérieur, français à l'extérieur » ..

«  Un prénom pour la vie » .

«  Je passe de Polina à Pauline. J'adopte un «  e » en feuille de vigne. Polina à la maison. Poline à l'école .

Dedans , dehors , dedans , dehors » .



On a envie de citer de nombreux passages de ce récit joyeux à l'insolence salvatrice .

«  Oui , un prénom c'est pour la vie » assène t- on aux tourmentés de la parentalité…..

«  Ce que je veux moi, c'est porter le prénom reçu à la naissance » .

Eh ,bien non, on va voir ce qu'on va voir : ainsi s'exprime la petite Poliina, née à Moscou en 1989 , qui a quitté définitivement son pays après la chute de l'URSSS.



Elle devient Pauline à Saint - Étienne en 1991.



L'administration française est retorse , obtuse , intolérante .

Devenue adulte , Polina lui tient tête .



Aujourd'hui elle veut rayer Pauline des registres : la procureure de Bobigny le lui refuse ,au prétexte que ce truc de voyelles compromettrait peut - être sa bonne intégration. républicaine .

Risible , ce début du récit …

Face à tant d'absurdité la jeune femme «  tient » sa langue une première fois en s’empêchant d'agonir d'insultes une magistrate dans les deux langues : russe et français .



Le récit qu'elle nous offre de son combat , intelligent , drôle qu'elle a dû longtemps, très longtemps Retenir sa-langue. .



: Silence sur le russe. À oublier , n'est ce pas ?

Silence sur le français , à perfectionner absolument .



Que devient une langue que l' on contient ? .

Mais pourquoi les prénoms génèrent - ils tant d'ennuis , d'incompréhension ? Tant de crispations ? .

Elle nous conte les souvenirs de son transfuge linguistique avec fantaisie et allégresse ,tendresse et dignité, inventivité , : renoncements petits et grands , échanges entre les cultures.



Premier MC DO en Russie , bêchage de la datcha, puis première «  raklete » en France ,entrée en «  materltchik » dans un esprit qui sent «  le parapluie mal sèché et la peau de lait bouilli »

Des mots qu'il faut conquérir ! .



Comment se construit l'identité d'une petite fille exilée ? .



La France Terre d'accueil ? .

Une vie tiraillée entre deux langues et deux pays.



«  Avec des maux de gorge , la langue qui la gratte pendant la nuit : «  Je tousse un peu, je grogne , je pousse quelques sons aspirés ,gutturaux. Quelque chose se passe . Ça fait du bien , c'est un trop plein de Russe resté coincé pendant la materltchik ou bien c'est le français qui s'installe et se met à l'expulser ? » .



Des mots et des pages pétries de pudeur et d'amour à propos de sa famille , sa soeur , ses parents , ses grands - parents .



Sa mère : «  Ma mère aussi veille sur mon russe comme sur le dernier oeuf du coucou migrateur . Ma langue. Son nid. Ma bouche , la cavité qui l'abrite : elle surveille l'équilibre de la population globale , le flux migratoire, les entrées et sorties des mots russes et français » .

Un premier ouvrage joyeux , tendre et frondeur ,créateur, chaleureux , original, agréable, pétri d'humour et de dérision , de fantaisie, ponctué de renoncements et de pertes , de douleurs , de deuils petits et grands , avec visite inopinée de sons , de «  son accent » revenu lui demander des comptes comme «  de la soie qui plie ici et là et qui pourrait plisser ailleurs » ….

Ah, le prénom des gens ! Un vrai sujet très peu traité !
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Tenir sa langue

Depuis un moment ce livre me tentait. Et puis la critique de Queque72 (merci Marie-Pierre) m'a convaincue. Passage à la bibliothèque, ce livre est là sur la table des nouveautés, disponible, à croire qu'il m'attendais !

Un livre sur la langue, le nom, l'enfance et la quête d'identité entre deux pays (la Russie et la France), deux cultures.

Un livre qui raconte l'auteure, son enfance, et son souhait de reprendre son prénom Polina francisé en Pauline. J'ai été déroutée de voir que celle-ci doit motiver sa demande alors qu'il s'agit de reprendre son prénom.

Un voyage en Russie, un voyage dans les langues.

Un joli texte, sympa. J'ai passé un bon moment de lecture.
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Tenir sa langue

Polina en Russie, Pauline en France. Prénom changé par l’administration à son arrivée à Saint Étienne. Elle saisit le tribunal pour avoir son vrai prénom sur les papiers. Le roman est partagé entre les deux pays et son âge actuel et quand elle était enfant. Vu comme une certaine émission l’a vendu, j’en attendais plus. Quelques sourires quand elle compare les mots entre les deux langues comme hibou qui veut dire bonjour en russe et la Rakléte chez les voisins. J’ai trouvé le style un peu froid, on a l’impression que l’auteur se protège. Ses grands-parents qui vivent en Russie sont très présents tandis que ses parents semblent absents, quelques lignes sur sa mère qui meurt, beaucoup de pages sur le décès du grand-père. Un livre sur la difficulté de l’immigration.
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Tenir sa langue

Le prénom



Si ce premier roman est signé Polina Panassenko, c'est que son autrice a réussi à faire changer son prénom. L'histoire de Paulina-Polina est un jeu de saute-culture entre la Russie et la France, à l'image des nombreux allers-retours effectués entre ces deux pays.



Le courrier a beau être rédigé en jargon administratif, il ne laisse aucun doute quant à la décision prise: l’administration refuse que Paulina retrouve son prénom d’origine, Polina, francisé lors de son arrivée sur le territoire français. Alors Paulina doit à nouveau se lancer dans le dédale administratif, les instances judiciaires et espérer qu’à la fois suivante, elle sera entendue.

Car l’histoire de Polina-Paulina mérite d’être entendue. Prenant sa plus belle plume, la jeune femme va tenter de la résumer à l’intention de la procureure :

« Je suis née à Moscou, en URSS. Mes parents m’ont appelée Polina. C’est le prénom de ma grand mère paternelle. Juive. Sa famille a fui les pogroms d’Ukraine et de Lituanie. Quand ma grand mère est née, ses parents l’ont appelée Pessah. Ça veut dire «le passage». C’est le jour de célébration de l’Exode.

À la naissance de mon père, ma grand mère a changé son prénom. Elle l’a russisé. Pour protéger ses enfants. Pour ne pas gâcher leur avenir. Pour leur donner une chance de vivre un peu plus libres dans un pays qui ne l’était pas. Sur l’acte de naissance de mon père, Pessah est devenue Polina.

En 1993, mes parents ont émigré en France avec ma sœur et moi. Quand j’ai obtenu la nationalité française, mon père a fait franciser mon prénom. Lui aussi voulait protéger. Faire pour sa fille ce que sa mère avait fait pour lui.

Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. Faire en France ce que ma grand mère n’a pas pu faire en Union soviétique.

Je n’ai pas d’enfants mais je désire en avoir un jour. Sur l’acte de naissance, en face de «nom de la mère» je veux écrire «Polina».

C’est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénom de naissance. C’est celui là que je veux transmettre, pas celui de la peur. Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance.

Je veux prendre ce risque là.

Je m’appelle Polina. »

Pour le lecteur, Polina va détailler ce scénario, depuis ses jeunes années au lendemain de la chute du mur et de la fin de l’Union soviétique, au moment où elle vivait dans un appartement communautaire de Moscou. Bien que de taille modeste, il abritait les trois générations de la famille, ses grands-parents, ses parents, ainsi que sa sœur et elle. Dans ce moment de bascule, on a droit à quelques souvenirs marquants de la vie dans l’ex-URSS, comme cette visite à la vendeuse en bas de l’immeuble. «On doit lui dire ce qu’on veut en fonction de ce qu'il reste. Elle pèse tout sur une grande balance bleue avec une flèche qui oscille. Sur un plateau elle pose ce qu'on achète, sur l’autre elle met des cylindres, quand la flèche du cadran est au centre, elle s'arrête. Ensuite elle fait claquer les perles en bois sur les tiges du boulier et annonce un chiffre. Ma mère tend les papiers carrés qui donnent le droit d’acheter et ensuite les roubles. Sans les papiers carrés, les roubles ne servent à rien.»

Mais la grande affaire du moment, c’est le grand départ. Alors que les tanks occupent l’écran de TV, Polina prépare ses bagages pour rejoindre son père en France. Nous sommes en Octobre 1993. «On ne peut pas prendre tout ce qu’on veut, il faut choisir ce qu'on laisse et ce qu’on emporte. Ma mère passe en revue et sélectionne selon des critères qu’elle seule connaît. Moi je veux un chat en tissu jadis blanc devenu gris qui s’appelle Tobik. Lui et rien d'autre. Ma mère tranche. C’est non, il est trop gros. Si on a trop de bagages, on devra payer très cher.»

Arrive alors la partie la plus savoureuse, même si on imagine toute la difficulté, tous les efforts nécessaires à la jeune fille dans un monde si étranger. Polina est devenue Paulina et a rejoint Saint-Etienne. C’est dans le Forez qu’elle va apprendre le français, aidée notamment par la télévision et l’autre élève boudé par les autres, Philippe. Cette alliance du bègue et de la russe va faire des merveilles, tout comme le déchiffrage des publicités pour brioches ou encore les dialogues des Minikeums.

Polina Panassenko réussit à merveille à retracer ce parcours et à cacher derrière l’humour ses blessures d’enfance, sa peine à tenir l’injonction de s’intégrer et d’oublier le russe pour le français, la famille restée «là-bas» et les nouvelles relations qui se nouent «ici», dans ce pays qui ne veut pas lui rendre son passé.

Entre les rires et les larmes, Polina va écrire son premier roman dans une langue qu’elle maîtrise désormais au point d’en jouer. Et parvient à nous éblouir, à l’instar de Maria Larrea, l’autre primo-romancière de cette rentrée en quête de ses origines.




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Polina Grigorievna



L’auteure, traductrice et comédienne, Polina Panassenko, est née en 1989 à Moscou. En France, elle est devenue Pauline Panassenko. Dans un premier roman à succès "Tenir sa langue", paru en août dernier, elle a expliqué l’importance des 3 lettres modifiées dans son prénom.



Arrivée avec sa famille en France, en 1993, la mairie de Saint-Étienne, probablement pour faciliter l’intégration de la petite Russe, a donc francisé son beau prénom d’origine. Polinotshka (diminutif affectueux) à 4 ans, était naturellement un peu jeune pour protester contre ce prénom étranger, pourtant digne d’une princesse, comme Pauline Bonaparte (1780-1825) - sœur d’un certain Napoléon - et d’une talentueuse joueuse de tennis, Pauline Parmentier, originaire du Pas-de-Calais.



La jeune dame, Française de l’extérieur et Russe à l’intérieur, avant même son roman précité, avait déjà publié, en 2015, un petit recueil de notes bibliographiques relatives à 5 femmes russes avec le même prénom et patronyme qu’elle : Polina Grigorievna. Inspiré par une belle phrase de l’auteur et diplomate, né à la Guadeloupe, Alexis Leger dit Saint-John Perse (1887-1960) : "J’habiterai mon nom" - cité à la page 7.



Profitant d’un séjour chez son grand-père, Sergueï Ivanovitch, elle avait placé des petites annonces dans différents journaux moscovites : "Cherche homonymes du nom Polina Grigorievna pour échange franco-russe".



Son papy, 82 ans, voulait surtout savoir quand sa petite-fille rentrerait finalement en Russie, où tout est mieux, bien entendu. Quoiqu’en France "ils ont des gens bien quand même. Yves Montand, ça va, il est pas mal". Cependant pas aussi bien que Léonid Outiossov (un chanteur et acteur populaire, né à Odessa en 1895 et mort à Moscou en 1982, de son vrai nom Lazare Weissbein).



Dans son fascicule notre Stéphanoise nous narre ensuite les rencontres moscovites avec ses homonymes, qu’elle identifie par la première lettre de leur nom de famille et leur âge actuel.



Ainsi nous faisons la connaissance de Polina Grigorievna "G"- 36 ans, qui est tout content de disposer maintenant de son propre minuscule studio en plein centre-ville, loin d’une mère devenue folle et d’un père volage.



La seconde rencontre, avec la jeune Polina Grigorievna "T" - 25 ans, a lieu dans une cage d’escalier entre le 10e et le 11e etage d’un immeuble près de la Place Gorky. Elle raconte qu’elle va se marier avec Kolia (diminutif de Nikolaï) qu’elle a "trouvé" dans les petites annonces sur le net, à la grande joie de sa grand-mère qui lui profère de bons conseils sur la vie conjugale et lui envoie un article de magazine : "Comment ne pas être timide au lit".

Elle avoue avoir eu recours à l’internet après des rencontres décevantes entre autres dans le métro, tel celui avec un adolescent qui lui demandait si elle "faisait de la flûte" ? Et à sa réponse négative avait ajouté "moi non plus, vous voyez nous avons des points communs".



Pour ne pas gêner votre plaisir de découverte, je préfère m’arrêter ici, car l’auteure ne dispose pas seulement d’une intelligence solide, elle a, en plus, l’art et la manière d’évoquer des personnages, situations et événements avec une maestria et sens de l’ironie rares.



Chers ami-e-s Babelionautes, il vous reste donc le compte rendu des trouvailles de notre Polina Grigorievna avec Polina Grigorievna "V" - 28 ans et P.G. "D" - 40 ans, ainsi qu’avec Ivan Stepanovitch F. - 94 ans, le veuf de Polina Grigorievna "F", née en 1930 et qu’il a rencontré en 1950 en revenant de la guerre.



En d’autres mots, soyez rassuré que notre talent franco-russe ou russo-français saura vous émouvoir et charmer avec son esprit et style originaux.



Produire de tels portraits tendres et drôles, à l’âge de 25 ans, dans un recueil agréablement illustré par de nombreuses photographies sympathiques, mérite, à n’en point douter, cinq étoiles.

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Tenir sa langue

Tenir sa langue est le premier roman de Polina Panassenko et l'ambiguité du titre nous laisse à penser à quels écueils va se trouver confrontée la narratrice. Car c'est bien de langues qu'il s'agit dans ce récit plein d'une verve insolente et drolatique : celle de la mère patrie, la Russie et celle du pays de l'exil, la France qui deviendra aussi pour la narratrice son pays d'adoption car elle va devenir "française de pleins droits par naturalisation du père".

A contrario d'autres romans sur le thème des traumatismes de l'exil vécus par des enfants et dont le dénominateur commun est souvent l'évocation du sentiment de solitude, d'abandon et de désespoir lié au déracinement, Polina Panassenko ne va pas choisir la voie de l'affect pour évoquer son départ de Russie à quatre ans, son arrivée en France, son partage entre deux cultures : la russe et la française.

L'auteure choisit d'évoquer les déchirements identitaires qui vont être les siens à travers le prisme de la langue et plus particulièrement celui lié aux prénoms. Polina en Russie, Pauline en France. C'est ce clivage un peu schizophrénique qui va être au coeur de son combat mené auprès de la justice française pour obtenir de garder son prénom russe, avec en arrière-fond, une réhabilitation identitaire et un hommage posthume à sa grand-mère paternelle, juive d'origine et qui avait russisé son prénom Pessah en Polina par souci sécuritaire.

Ce que j'ai aimé dans ce roman auto-biographique c'est avant tout l'humour et le sens du cocasse dont fait preuve la narratrice à propos de situations qui sont a priori dramatiques...Regard décalé de la petite fille russe qui ne voit dans l'arrivée des chars russes à Moscou que "des boîtes kaki, au caléidoscope intégré" ou pour qui "la vraie France s'appelle St Etienne". Ce procédé assez classique se pimente souvent d'un sens de la formule qui fait mouche :"Ma tante a le judaïsme clignotant". Mais les passages les plus savoureux vont être ceux où elle nous plonge en compagnie de la petite Polina dans le royaume d'absurdie, celui de la "materneltchik où sa mère va la traîner de force un beau matin. Ironie du sort les premiers mots de français qui feront sens pour elle seront ceux échangés avec un petit garçon bègue relégué au fond de la cour tout comme elle. Scène désopilante également que celle où elle essaiera vainement de s'intégrer à la ronde des enfants de sa classe sur la comptine enfantine : savez-vous planter les choux ? Derrière ces scénettes fort drôles pointe en filigrane toute la détresse d'une petite fille perdue dans un univers dont elle n'a pas les codes et qui va se défendre bec et ongles contre les insultes et les brimades des autres enfants.

C'est toujours avec un humour cette fois mêlé de tendresse qu'elle évoquera "la chasse aux mots perdus" faite par toute la famille lorsqu'elle se trouve en Russie pour venir en aide à la grand-mère maternelle en route vers Alzheimer...

Ce premier roman de Polina Panassenko m'a donc amusée et beaucoup plu pour son originalité et son parti-pris de l'humour envers et contre tout... Mine de rien, il pose aussi en filigrane un questionnement essentiel sur la place de la langue dans le processus identitaire et les rapports de pouvoir qu'elle peut instaurer dans certaines situations.
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Tenir sa langue

Plein d'une insolence charmante et tendre, ce premier roman autobiographique est le récit d'une enfance déchirée entre deux pays, entre deux cultures, entre deux langues. L'autrice se re-glisse dans sa peau de fillette, met sa langue imaginative au service des réflexions de la petite-fille qu'elle était pour le plus grand régal du lecteur (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/08/19/tenir-sa-langue-polina-panassenko/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Tenir sa langue



«Elle veut simplement que son prénom de naissance soit sur ses papiers d’identité. »



A la chute de l'URSS, Polina quitte son pays natal avec ses parents et sa sœur pour la France. Il lui faudra apprendre une nouvelle langue, souvent tenir la sienne et retenir sa langue maternelle pour ne pas perdre son identité.



Cette jeune russe a appris à se construire avec une identité double,peut-on être Polina et Pauline sans y perdre son âme ?



Pauline veut redevenir Polina mais se heurte au mur de l’administration française qui « ne voit pas pourquoi on devrait porter le nom qu’on a reçu de ses parents plutôt que celui offert par la République ».



On lui fait comprendre qu’un prénom français, c’est le summum de l’intégration. Pauline voit les choses autrement. Ses ancêtres ont changé de nom pour échapper aux dangers.



S’appeler à nouveau Polina, c’est être sereine, ne plus avoir peur.



Un beau roman, au ton parfois assez mordant, qui pousse à questionner notre rapport aux origines et aux langues. et mine de rien, dénonce l’absurdité à vouloir enfermer quelqu’un dans une culture



Un beau roman sur la transmission et l'attachement à ses racines qui nous aide à mieux comprendre la complexité d'une double culture.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Tenir sa langue

« Vous le savez très bien, ça, madame, vous le savez très bien. Vous savez bien, madame, que si votre nom a été francisé, c’est pour faciliter votre intégration dans la société française. »

L’intégration, grand terme important pour la nation française, qui repose sur de minuscules détails administratifs paradoxaux : la francisation du prénom obligatoire pour les personnes d’origine étrangère. Comme si cela faisait tout (alors qu’en comparaison on ne vient pas remettre en cause l’appartenance à la France des enfants nés sur le territoire français et portant un prénom étranger)…



Bref, je ne suis pas venue parler de politique, mais de « Tenir sa langue », un roman (une autofiction ? Cela n’est pas revendiqué par l’autrice) écrite par Polina Panassenko, que j’ai trouvée très touchante dans sa réflexion sur sa double identité, sur ce qu’on choisit pour sa nouvelle identité quand on arrive dans un pays étranger alors qu’on ne veut rien abandonner de ses origines, source de nombreux déchirements qu’elle explique très bien.



Polina, arrivée à l’âge adulte, ne souhaite plus avoir à choisir et son cheval de bataille, c’est son prénom, devenu Pauline en cours de route. Elle est Polina, elle se sent Polina, et elle souhaite, elle exige, que la France le reconnaisse sur ses papiers d’identité, raison pour laquelle elle s’engage dans une bataille administrative kafkaïenne. Avec une rage au cœur qui m’a saisie, et que je ne m’expliquais pas vraiment dans les premières pages de ce texte. C’est vrai que si le prénom est un élément important de son identité, on peut aussi le voir comme une information sur un document officiel. Mais il tient à autre chose pour Polina, ce qu’on comprend au fur et à mesure des pages : ce refus de changement de prénom fait écho à celui qu’a opéré sa grand-mère paternelle, d’origine juive, afin de faciliter la vie de ses enfants dans une Russie pour laquelle les origines judaïques (être « iévreï », mot chuchoté dans la famille, dont Polina cherchera d’ailleurs longtemps le sens) sont une source de honte, quelque chose qu’il vaut mieux cacher. Imprégnés de ce sentiment, les grands-parents maternels de Polina, auprès de qui elle a vécu toute son enfance moscovite, ne s’en sont jamais vraiment ouverts auprès d’elle, ils ont tenu leur langue à ce sujet.



Ainsi, la force du texte de Polina Panassenko se dégage en partie de ce titre, « Tenir sa langue », si polysémique. Celui-ci évoque ainsi un secret des origines, sur lequel toutefois Polina Panassenko ne s’étendra pas plus que cela (ce n’est pas un roman d’enquête à la Daniel Mendelsohn) ; il évoque également, dans un sens plus direct, les efforts de Polina pour apprendre le français, s’adapter à la faune – exotique pour elle – de la maternelle française, mais aussi ceux que sa mère déploiera pour que Polina n’oublie pas sa langue en apprenant le français, ne fasse pas de mélanges hybrides : « Attention, sinon tu vas finir comme les fils Morkovine. Je les ai vus les fils Morkovine. Je sais ce que je risque. […] Arrivés de Saint-Pétersbourg ils ne parlent plus vraiment le russe ni tout à fait le français. Ils cherchent leurs mots. Ils ont un accent bizarre. Des consonnes trop dures, des voyelles trop ouvertes. On dirait qu’ils sont en train de muter. […] Il fallait faire rentrer le français et maintenant qu’il est là on me dit qu’il va me changer en mutant Morkovine. »



Deux langues, deux identités coexistent peu à peu en Polina, et la lutte administrative pour rétablir son prénom d’origine est l’occasion pour elle de nous raconter en alternance son enfance à Moscou, son arrivée en France, le retour en Russie à l’occasion des vacances (en tenant sa langue sur son déménagement, pour éviter le kidnapping), au final ce parcours les pieds posés sur deux pays éloignés l’un de l’autre. Un parcours dans lequel je me suis parfois perdue, où je me suis demandé à quelques occasions (surtout dans la dernière partie) pourquoi Polina Panassenko nous racontait cela.



Comment faire pour ne rien renier, réussir à être une seule personne dans laquelle cohabitent deux identités distinctes ? C’est ce que Polina Panassenko tente avec ce texte original, au style vif et direct, fait de petites phrases courtes et percutantes (par exemple : « Mon père a acheté une TV française. Installée sur le lino du salon, je regarde une histoire d’animaux qui ont sans cesse des problèmes. Ils veulent à tout prix traverser une autoroute. On ne sait pas pourquoi. C’est leur but ultime dans la vie. Une musique épique accompagne leurs vaines tentatives. La communauté est dirigée par un blaireau qui transporte sur son crâne une taupe. Les animaux parlent tous trop vite et font sans cesse des réunions. J’attends patiemment la coupure pub. Son jingle familier. Stabilité et répétition. Je le reconnais à la première note. Je me rapproche de l’écran. Concentration. Le Rubik’s cube sonore commence. »)



L’identité passe ainsi par les mots, russes ou français, dont le sens est si important pour Polina Panassenko qu’elle en a fait son métier, étant, en plus d’être romancière, comédienne de théâtre. Un joli premier roman, première pierre d’un nouveau parcours à suivre.

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Tenir sa langue

Ce titre malicieux, par les multiples sens que cet expression peut revêtir, est à l'image de ce court mais pétillant ouvrage. Il y a bien sûr ce thème du déracinement abordé par l'humour et la dérision ce qui aurait sans doute fait vibrer les moustaches du regretté Cavanna. Mais, ce témoignage est aussi et surtout un vibrant message d'amour à « ses » pays et à « ses » identités. Et l'identité, ça commence par un nom et un prénom. Alors, Pauline ou Polina, ce n'est pas du pareil au même, Germaine ! le plus surprenant dans ce récit est la maturité qui transparaît tant dans la clarté de son propos que dans sa construction littéraire. Répétons-le, ce livre est drôle. Pourtant, alors que nous sommes confortablement installés dans la gentille biographie décalée d'une jeune fille originaire de Russie qui découvre Saint-Etienne, ses « bosseignes » et ses « fouillas », voilà qu'un souvenir de deuil surgit et « l'opitalnor » fige notre sourire. Quelques lignes suivent, émouvantes, pudiques, puis le registre plus léger reprend force et vigueur. Ensuite, « Ne pleure pas Petrouchka » nous bouscule, l'ingrate Polina, égratigne la gentille maîtresse qui veut bien faire mais qui ne sait pas que Petrouchka, ça veut dire… Persil ! La même enseignante aurait sans doute chanté Nagawika à un petit péruvien ! C'est fou, tout de même, comme ces étrangers sont susceptibles voire grossiers même quand on est plein de bonne volonté. « Pauline, tout de même c'est mieux que Polina pour s'intégrer, non ? » Cette anecdote m'a rappelé ce que me disaient mes copains fils de harkis du Lodévois. Les autorités avaient francisé les prénoms des nouveaux nés. « Bruno, tout de même, c'est mieux que Mohamed pour s'intégrer, non ? » Certains ont conservé leur prénom français, d'autres ont entrepris une démarche pour récupérer le prénom dans lequel ils se sentaient le plus en harmonie avec leur identité ! En lisant ce livre, je me suis dit que décidément, dans notre Douce France, les leçons du passé ne sont pas toujours retenues ! Ou alors pas par tout le monde.

Bien malin celui qui peut affirmer si une grande écrivaine est née… La nature si particulière de l'autobiographie ne garantit pas que cet essai soit transformé (excusez cette image : je reste traumatisé par la mésaventure de Toto Ramos), mais, une sacrée grande dame et une impertinente et talentueuse artiste est née depuis un petit bout de temps, 1989, pour être précis.

Puisse-t-elle, longtemps, quelque soit le mode d'expression choisi, faire souffler un grand courant d'air revigorant sur la poussière grise de la bien-pensance ou les miasmes des aigreurs xénophobes.
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Tenir sa langue

Petite, on me disait de me tenir droite, de me tenir comme il faut, mais jamais de tenir ma langue, puisque j’étais une taiseuse.



Dans le cas de l’autrice, ce n’était pas tenir sa langue dans le sens que l’on connait, mais plutôt de parler français, de ne pas oublier le russe, langue maternelle et surtout, de ne pas mélanger les deux !



Souvent, lorsque l’on travaille avec des collègues bilingues (néerlandophones dans mon cas), les mots des deux langues se mélangent, un mot flamand sort à la place d’un Français, mais tout le monde comprend, personne ne s’en offusque. Pas la mère de Polina qui veille sur le russe de sa fille comme sur le dernier œuf du coucou migrateur…



Ce roman, c’est le récit d’un exil, d’une immigration vers la France, c’est celui d’une famille qui a quitté un pays qui n’existe plus maintenant, l’URSS, devenu la Russie. C’est un roman d’apprentissage, celui d’une langue pas facile pour celles et ceux qui doivent l’apprendre, la maîtriser.



C’est aussi l’histoire d’une naturalisation qui s’est mal passée puisque son prénom a été francisé et que Polina croyait qu’elle pouvait utiliser le prénom de Pauline et/ou de Polina. Ben non, elle était devenue Pauline.



Changer de prénom n’est pas difficile, en principe, si demain, je voulais me faire appeler Caroline ou Elizabeth, cela passerait sans problème. Oui, parce que mon prénom est dans le calendrier, qu’il est francophone. Là, la magistrate ne comprenait pas pourquoi elle voulait récupérer un prénom russe ! Kafkaïen !



Il y a de l’humour, dans ces pages. Non, on ne s’esclaffe pas, on ne se tape pas sur la cuisse, mais on sourit devant cette petite fille, débarquant à la "materneltchik" et ne comprenant rien à ce qu’on lui dit, se liant d’amitié avec un gamin bègue, évincé des autres pour cause de différence, lui aussi.



On sourit devant les noms des magasins, des publicités, qu’elle comprend mal, qu’elle retranscrit en phonétique. Et cet accent qu’elle ne veut pas avoir, sauf si c’est celui du présentateur du J.T, qui n’en a pas.



Le ton de son écriture est enjoué, mais il est aussi caustique, notamment avec l’intégration. Pourquoi enfermer quelqu’un dans une culture, une seule, alors qu’il est plus enrichissant d’en avoir plusieurs, de jongler avec ?



Les arrière-grands-parents de l’autrice avaient russisé les prénoms de leurs enfants, notamment celui de sa grand-mère qui se nommait Pessah (trop juif) en Polina… Pour se protéger des persécutions. Polina, l’autrice, voulait juste récupérer celui de sa grand-mère, rien de plus, et ce fut un combat difficile, long et dur.



Un roman sur l’absurdité de certains systèmes judiciaires, administratifs et sur les difficultés de l’exil, sur ces deux langues avec lesquelles il faut jongler : être russe à la maison (dedans) et française à l’extérieur (dehors). Exercice d’équilibriste bien difficile.



Un roman pétillant, amusant, drôle, caustique. Le récit d’une double culture, d’un exil toujours difficile. J’ai autant apprécié les récits consacrés à sa vie en France qu’à ses retours en Russie, de voir le décalage entre deux cultures, ses retrouvailles avec ses grands-parents maternels, dont la question essentielle était "c’est mieux en France ou en Russie ?".



C’est grâce au passage de l’autrice à La Grande Librairie que j’ai eu envie de découvrir son roman, qui m’a sorti de ma zone de confort, qui m’a fait découvrir d’autres horizons et c’était une très bonne chose.


Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Tenir sa langue

Polina est née à Moscou. Elle vit avec ses parents, sa soeur aînée et ses grands-parents maternels dans un appartement communautaire.

Années 1990, l'URSS disparaît.

La famille s'installe en France, à Saint-Etienne, en 1993. Les parents décident quelques années plus tard, pour favoriser son intégration, de franciser son nom. Polina devient Pauline. C'est 20 ans plus tard, lorsqu'elle veut refaire ses papiers d'identité, que Polina/Pauline apprend que non, elle n'a pas le droit de s'appeler Polina. Son prénom russe a été effacé. Pauline entreprend alors des démarches au tribunal de Bobigny pour redevenir Polina.



Cette reconquête d'un prénom de naissance, c'est la reconquête d'une identité, d'une culture, d'une langue. D'un objet perdu dans les méandres de l'administration française. Polina Panassenko raconte à hauteur d'enfant ses souvenirs d'enfance en France et en Russie, au gré des allers et retours entre le pays d'adoption et le pays de naissance. Difficulté de l'apprentissage d'une nouvelle langue, découverte d'un nouveau mode de vie… c'est dans une langue imagée, aussi créative que l'esprit d'une fillette déracinée, tiraillée entre russe et français, que l'on suit l'intégration de Polina.

Avec drôlerie, elle partage avec le lecteur ces nouveaux mots, écrits phonétiquement, qu'elle entend à la materneltchik – comprendre à la maternelle. Premières années difficiles où les mots se bousculent dans la tête de Polina. Elle nous parle aussi de cet accent, signe distinctif de sa langue maternelle, qu'elle seule dans sa famille finira par perdre.

« Tenir sa langue », c'est aussi le portrait de deux mondes que tout oppose et d'un déchirement. Disneyland Paris, premières frites du MacDo, un appartement aux multiples « chambres »… La France, c'est l'abondance, la profusion. Pourtant, les retours chaque été dans la datcha des grands-parents sont eux aussi attendus avec impatience. Retour aux sources, aux superstitions, aux craintes des kidnapping et aux chansons de  Léonid Outiossov.



Dans ce récit familial, Polina Panassenko  reste fidèle à sa mémoire d'enfant, peuplée de nombreuses sonorités. C'est une quête identitaire pleine d'humour et de tendresse où la narratrice tente de trouver son équilibre. Un premier roman touchant.

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Tenir sa langue

Tenir sa langue, que voilà un titre intelligemment choisi ! Sa pertinence et sa bienséante impertinence se révèlent avec délice au cours de la lecture de ce joli roman autobiographique.

C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai découvert au travers de la plume de Polina Panassenko son parcours russo-français.



Ses parents décident de fuir l’URSS au moment où elle devient la Russie, et d’enraciner leur famille en France, à Saint-Etienne, lorsque Polina a quatre ans.



Toute sa jeune vie, Polina - Pauline sera assise entre deux chaises, francophone et/ou russophone, française et/ou russe (petit clin d’œil à ceux qui ont déjà lu le livre), son affection pour son pays d’adoption et/ou sa loyauté envers sa patrie d’origine.



Parce qu’une décision administrative lui octroie la nationalité française et l’autorise à s’appeler Pauline, elle est convaincue, pendant des années, qu’elle possède le libre arbitre de s’appeler Pauline ou Polina ; le jour où elle décide de reprendre le prénom que lui ont choisi ses parents, elle réalise que l’autorisation est purement formelle, et qu’administrativement parlant, cette autorisation déguise une obligation de porter son prénom francisé, Pauline; le seul moyen de le récupérer : ester en justice contre l’Etat français qui l’a accueillie, parce que sa représentante, la Procureure de la République « ne voit pas pourquoi on voudrait porter le prénom qu’on a reçu de ses parents plutôt que celui offert par la République » lorsque celui-ci a été francisé pour faciliter l’intégration dans la société française. Polina devra tenir sa langue face à cette absurdité ! Et ce ne sera ni la première, ni la dernière fois. Elle nous conte ses jeunes années avec beaucoup d’humour et d’autodérision.



« Je regarde la procureure et je me demande ce que ça peut lui faire que mon prénom fasse bifurquer sa langue d’une voyelle. Ça l’écorche ? Ça lui fait une saignée ? Ou alors elle a peur que je me glisse dans sa langue de procureure. Le prénom comme cheval de Troie. Et une fois à l’intérieur, schlick. Un jaune d’œuf qui coule. Poc. Une fusée dans l’œil. »



Polina Panassenko m’a séduite avec son écriture contemporaine, drôle et aussi émouvante.



Quel comble ! Quelle absurde drôlerie ! Quand on y pense, combien y-a-t-il de nos jours de prénoms féminins se terminant en « a » choisis par les parents francophones pour faire joli ou dans le vent ? Bienvenue aux Clara, Julia, Anna, Lola, Melinda, Carla, Vanessa…, et Polina !

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Tenir sa langue

Un peu déçue, mais sans doute parce que j'attendais trop de ce livre. Et, en dehors de ma première impression, je n'ai aucun regret de l'avoir lu, j'y ai même pris beaucoup de plaisir : retrouver au début la Russie que j'ai connue, une allusion aux glaces d'autrefois (la slivotchnoïe morojennoïe, probablement : un délice proche de certaines glaces italiennes !) dans une vidéo you tube (vidéo relativement récente et probable outil de propagande), la datcha des grands-parents, l'appartement moscovite typique, trop petit mais si chaleureux,… J'ai constaté avec tristesse l'ampleur de la corruption actuelle par rapport à avant (corruption il y avait, mais une bouteille de vodka suffisait souvent pour obtenir ce à quoi on avait droit). J'ai beaucoup aimé le cheminement de Polina pour retrouver son nom, sa façon de se remémorer ses souvenirs de petite enfance, en particulier, de la maternelle. J'ai retrouvé aussi des tas de détails bien vus sur la langue du dehors et du dedans, et sur le dilemme quand l'enfant, dehors, est interpelé par sa mère à la fenêtre, et donc, dedans (j'avais beaucoup d'amies italiennes ou arabes dans la situation de Polina, dont l'une d'ailleurs avait vu son prénom italien, Graziella, très malencontreusement francisé en Grâce !). Par contre j'ai eu beaucoup de mal avec le début du livre avec ces phrases courtes, expression d'une rage, d'une colère à peine maîtrisée. Avec le recul, on la comprend, mais cette façon de l'exprimer par écrit lui donne un côté immature pourtant finalement absent. Et cette impression du début, je l'ai ressenti longtemps, puisqu'ensuite l'auteur utilise un style d'écriture assez proche pour faire parler Polina enfant. Il faut attendre que le récit porte sur Polina un peu plus grande pour que l'écriture soit plus fluide, moins brute, avec des phrases plus longues, plus complexes. Le ton est très agréable, plein d'humour, l'écriture reste cependant toujours assez factuelle, même quand il s'agit de faire passer des émotions. Cela m'a gênée, et participe pas mal à ma déception. Sans compter que j'aurais aimé un livre un peu plus long !
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Tenir sa langue

Le titre du roman « Tenir sa langue » est parfait. Pour résumer l’histoire d’une jeune fille qui cherche ses mots, apprend à se taire et revendique le droit de récupérer son prénom de naissance… On ne pouvait pas faire mieux.

Bravo, ça nous change des titres sans originalité qui contiennent au moins l’un des mots suivants (vérifiez par vous-même, c’est édifiant) : monde, loup, rouge, amour, nuit, homme, vivre, fille, chien, Dieu…

Pauline veut redevenir Polina mais se heurte au mur de l’administration française qui « ne voit pas pourquoi on devrait porter le nom qu’on a reçu de ses parents plutôt que celui offert par la République ». On lui fait comprendre qu’un prénom français, c’est le summum de l’intégration. Pauline voit les choses autrement. Ses ancêtres ont changé de nom pour échapper aux dangers. S’appeler à nouveau Polina, c’est être sereine, ne plus avoir peur.

Vivre entre deux patries, c’est nager au milieu du fleuve et ne pas savoir sur quelle rive accoster. Pauline et sa famille s’installent à Saint-Étienne. On sourit à chacun de ses premiers pas, que ce soit en mangeant sa première raclette (p58), en arrivant à la maternelle (p60-68) on en interprétant les comptines (p88). Son regard innocent d’étrangère remet en perspective notre quotidien.

Son apprentissage de la langue est pavé d’embûches. Elle mélange les langues (p108) ou s’inquiète de perdre son accent russe (p122). L’auteur en parle avec justesse.

J’ai été moins convaincue par le récit de ses passages intermittents en Russie, très personnels mais plus ennuyeux, à l’exception des négociations avant l’enterrement du grand-père (p172). Typique !

Bilan : 🌹

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Tenir sa langue

Lorsque Polina apprend que la mention « autorisée à s'appeler Pauline » sur son décret de naturalisation française est en réalité une formule de politesse juridique signifiant « interdit de s'appeler Polina », c'est la consternation. Longtemps elle a cru qu'elle pouvait s'appeler Polina ou Pauline, au choix. Elle a perdu son prénom de naissance, sur le chemin, entre la mairie, son domicile et le collège, ça lui donne presqu'envie de retourner le chercher.

Bien vite, elle entreprend les démarches pour retrouver son prénom d'origine : Polina. C'est un simple formulaire à remplir, une simple formalité administrative. Mais la procureure ne l'entend pas de cette oreille et refuse au motif que son prénom a été francisé pour faciliter son intégration dans la société française.



Née à Moscou en 1989, c'est à travers son regard d'enfant que Polina nous raconte l'arrivée de sa famille en France en 1993, peu après l'éclatement de l'URSS. Un changement de vie radical pour cette petite fille qui confond la France avec Disneyland et dont les grands-parents chéris sont restés au pays. Beaucoup de découvertes aussi, à commencer par la « rakléte » et surtout l'apprentissage de la langue française qui la mène à la «materneltchik».



Apprendre le français est bien sûr nécessaire mais pour ne pas que Polina oublie le russe ou mélange les deux langues, sa maman veille au grain, jusque dans les toilettes. Désormais, la règle est: le russe à l'intérieur, le français à l'extérieur, Polina dedans, Poline dehors.



Polina Panassenko nous offre un premier roman d'inspiration autobiographique à la fois drôle et tendre sur l'exil et l'apprentissage d'une langue en nous livrant au passage quelques traditions de son pays d'origine.



Une belle découverte et un petit coup de coeur pour ce roman rempli d'humour et d'autodérision qui se savoure comme une friandise.
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