Citations de Quentin Charrier (44)
Il avait gaspillé toutes ses chances, ou n'avait pas réussi à les saisir, ce qui revenait au même.
La vie punit ceux qui croient trop fort en elle, sans avoir les moyens de s'en sortir.
- Qu'est-ce qu'on a raté tous les deux ?
Comme la dernière fois, Clarisse s'était installée de trois quarts sur la chaise pliante, le regard dans les profondeurs du miroir abîmé.
- C'est la grande question.
Ilse rendirent à l'autre bout de la ville, dans un quartier de petits immeubles décatis, installés en arc de part et d'autre d'une allée silencieuse au bitume cassé.
Simon se leva et emporta son demi dehors, en se demandant ce qu'il foutait là. Le vertige de faire les choses à l'envers, l'impossibilité de retrouver son chemin, les intentions confuses qui le guidaient, tout lui parut confiner à l'absurde.
On perd son temps à courir après les ombres d'un passé perdu.
Ils se retrouvaient dans les mêmes bars sans chaleur et encombrés de souvenirs, à côtoyer les mêmes personnes, leurs visages simplement plus marqués, gênés par le bruit et la joie insouciante de ceux qui leur avaient succédé, jusqu'aux petites heures du jour.
Elle se sentait liée à elle par une parenté intellectuelle qui n'avait rien d'évident, et le fardeau d'une existence qui avait mal tourné.
Elle vivait désormais avec Simon une histoire strictement imaginaire qui conservait la pureté du cristal. Loin de l'avoir oublié, elle le parait dans son esprit de toutes les vertus.
Au volant de sa voiture, il s'interrogeait en boucle sur la nature réelle de ses sentiments : l'aimait-il réellement ? Et qui aimait-il en réalité, la véritable Clarisse ou le souvenir qu'il conservait d'elle ?
Revoir Clarisse, à qui il n'avait jamais cessé de penser depuis dix ans, lui procurait un sentiment étrange, une frayeur un peu dérisoire, celle d'être incapable de se montrer à la hauteur d'événements qui n'avaient, de toute façon, aucune chance d'arriver. Comme s'il allait s'arranger pour saboter au dernier moment les retrouvailles qu'il attendait depuis toujours.
Il envisageait régulièrement de tout abandonner, son métier, son salaire, sa mutuelle, ses points d'ancienneté et ses bonifications qui devaient lui permettre, à terme, de quitter le 93. Mais pour aller où ? Un lycée intra-muros ? Rentrer chez lui, s'occuper de ses parents ? Ramper aux pieds de Justine ? Retrouver Clarisse, qu'il n'avait pas vue depuis dix ans ? C'était sans issue. Il n'avait jamais su faire un choix.
Leur vie se résumait à peu, calme dans ses répétitions : les courses le samedi matin, les devoirs, les films le dimanche après-midi, toutes les trois dans le vieux canapé en cuir, sous les plaids à carreaux. On jouait, on lisait, on cuisinait pour plusieurs jours.
Ce n'était pas parce qu'il l'aimait qu'elle était faite pour lui, se répétait-il pour justifier son choix.
Il différait les obligations, repoussait les serments. Il voulait rester libre, avoir jusqu'au bout tous les choix en main : partir, rester, changer.
Les engagements décidés à l'avance l'angoissaient.
Une part de lui-même aurait souhaité une vie plus excitante, qu'il se savait pourtant incapable d'assumer.
La charge de faire vivre sa famille pesait sur ses épaules. Il n'avait plus le luxe de pouvoir fantasmer.
Assagi (ou résigné), il décida d'y bâtir de ses mains une maison destinée à abriter sa famille, seul rêve désormais accessible.
Il avait même fini par trouver à la vie de ses parents certains attraits : le calme, la nature, la tendresse et l'infinie répétition des jours. Il se voyait, plus tard, occuper la maison, protégé des brusques mouvements de balancier, des crises et des épidémies, avec elle qui partagerait sa vie jusqu'au bout. Il avait longtemps cru que Justine était celle-là. Il s'était trompé.