Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni
"Les femmes saoudiennes n'iront pas en enfer, il y a longtemps qu'elles y vivent."
Hamza Kashgari, poète saoudien.
Ce n'est pas une fiction, ce n'est pas un roman, mais un témoignage.
Rana Ahmad raconte son enfance en Arabie saoudite et en Syrie. La Syrie où elle passait ses vacances chez ses grand-parents d'où sa famille maternelle et paternelle est originaire. Une enfance innocente où elle aimait par dessus tout s'évader à vélo sous l'écrasant soleil syrien, au prétexte de faire des courses pour sa grand-mère. Puis à 14 ans, tout change : on lui retire son vélo, on lui explique qu'elle doit se voiler de la tête aux pieds, et ne plus sortir autrement qu'accompagnée par un membre masculin de la famille. A partir de ce moment, Rana ne va plus disposer de son corps ni de sa vie. C'est les hommes qui décident pour les femmes, en Arabie saoudite, où elles n'ont aucun droit. A 19 ans, elle se marie avec un homme, sinon qu'elle aime, du moins qu'elle apprécie. Elle le connaît à peine. Tout se dégrade rapidement à partir du moment où elle vit avec la famille de son mari, comme le veut la tradition. Sa belle-mère est une marâtre jalouse, son beau-père a des gestes déplacés à son égard, les mêmes gestes qu'un de ses oncles, d'ailleurs. Rana fait une dépression, divorce rapidement et retourne vivre à Riyad dans sa famille. Sa mère lui dit qu'elle n'apporte que des ennuis, son frère devient de plus en plus violent à son égard jusqu'à vouloir la tuer ! Seul son père lui apporte discrètement son soutien et encourage sa fille à faire des études. Rana s'accroche : trouve des emplois successifs dans des hôpitaux saoudiens, pour se payer des cours d'anglais. Elle fait aussi les « 400 coups » avec ses amies, mais la police religieuse veille. Les condamnations à des peines de prison et flagellations publiques pleuvent pour toute femme surprise à enfeindre la loi religieuse, à savoir s'amuser, aller dîner avec des amis sans être accompagnée d'un homme de la famille : c'est "haram". :( Elle découvre les réseaux sociaux et des groupes d'ex-musulmans ayant renié leur foi et publiant sous pseudo. Elle comprend grâce à Google Translate, le sens du mot « athée», chose inconcevable dans un pays où renier l'Islam est passible de la peine capitale. Elle découvre L'origine des espèces de Darwin grâce à ses contacts virtuels, dont le livre est interdit en Arabie saoudite. Elle dévore toute une littérature qui l'amène à réfléchir sur la place de la religion. Sa conception du monde et de l'univers s'écroule. « Tout est fait pour qu'aucun doute ne s'élève à propos de la foi. (…) J'ai de plus en plus fortement l'impression qu'on m'a volontairement maintenue dans la bêtise pour que je ne m'insurge pas contre le cadre rigide de la foi. » Rana devient athée, en secret. Elle, qui n'est jamais sortie d'Arabie saoudite que pour se rendre en Syrie, prépare sa fuite avec la solidarité qui s'est organisée sur les réseaux sociaux. Mais c'est seule qu'elle prend l'avion grâce à son passeport syrien. le début d'une évasion où le retour en arrière est impossible, sous peine de mort : quand on est une femme en Arabie saoudite, on ne s'évade pas...
Rana vous immerge dans son quotidien. Un témoignage fort sur la condition des femmes dans certains pays du globe. On a beau le savoir, c'est une puissante piqûre de rappel qui vous fige d'horreur et donne envie de s'engager pour que les choses bougent, que la solidarité s'organise. Ne pas oublier que finalement, « Me too » concerne toutes les femmes d'Arabie saoudite, pour ne parler que de ce pays.
C'est aussi un appel à la bienveillance envers les migrants, thème tellement d'actualité. Un rappel que si des gens sont prêts à fuir leur pays au péril de leur vie, ce n'est pas par ennui, caprice ou ruse, mais bien parce qu'ils n'ont rien à perdre .
Un témoignage qui amène une réflexion sur la place de la religion dans les sociétés du monde – et pas seulement sur l'islam.
J'ai un peu été intriguée par le fait qu'elle ait pu écrire ce livre de 300 pages en allemand, langue qu'elle maîtrise depuis peu. Elle a l'honnêteté de révéler qu'elle a été aidée par une coauteure, Sarah Borufka. le style est direct, clair et fluide, sans fioritures. Je le répète, ce n'est pas un roman, donc il ne faut pas chercher des effets d'écriture, à mon sens. Cependant, ce témoignage se lit comme un roman d'horreur mais il apporte un immense espoir. Au nom du droit des femmes à disposer de leur corps et de leur vie, au nom de la liberté, c'est un livre à mettre entre toutes les mains. Même si on déjà lu des témoignages de ce genre, (car il en existe d'autres, bien sûr !), tout simplement parce qu'il n'y en aura jamais assez pour rappeler qu'il se passe des choses au-delà de l'inadmissible quand on est une femme, dans certains pays. Et que le prix de la liberté nécessite du courage et un lourd sacrifice, c'est le moins que l'on puisse dire. Rana Ahmad le décrit très bien.
Je suis admirative du courage de l'auteure. "J'ai échappé à cet enfer, et par mes propres moyens. J'aimerais faire quelque chose de cette vie que j'ai conquise au prix d'un si dur combat et que je considère aussi comme un cadeau - car ma fuite aurait aussi pu connaître une tout autre fin."
Ce livre est une belle revanche ! Bravo ! Ce livre est en lice pour le Grand Prix des Lectrices Elle !
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