" Je suis Innue, et Innu veut dire être humain. Nous sommes à peu près quinze mille Innus dispersés dans onze communautés, deux au Labrador qui sont anglophones de seconde langue, neuf au Québec qui sont francophones de langue seconde.
Nous vivons entre deux mondes, le moderne et le traditionnel. "
Ainsi se présente Rita Mestokosho elle-même à la fin de ce recueil de poésie, écrit en français, langue qu'elle a adoptée. Née en 1966, elle est l'un des phares de la poésie amérindienne que je découvre grâce à ce livre original qui alterne poésie et clichés noir et blanc de Patricia Lefebvre, photographe française.
Voilà pour la présentation succincte de ce beau dialogue sur papier entre deux femmes artistes, l'une poète libre qui simplement évoque sa terre, ses fragilités, et l'autre, au regard profondément humain qui dévoile le quotidien d'un peuple en danger.
Je suis entrée dans cette poésie avec étonnement, curiosité. J'ignorais tout du peuple Innu et c'est avec un réel plaisir que j'ai apprivoisé le rythme simple, le ton direct et sans fioritures de ces textes qui dévoilent la nature hostile et belle, les forêts, les lacs, le vent et ce peuple intimement lié à sa terre. Une puissance authentique se dégage de ces vers, et en feuilletant à nouveau le recueil en même temps que j'écris ces mots, la beauté des paysages et la profonde humanité des portraits me touchent. Une évidente proximité se révèle au fil des pages entre poèmes et photos, et c'est ce qui me plait tant au-delà de la découverte.
Difficile évidemment de partager des impressions, mais essayez d'imaginer, en gros plan, le visage buriné et ridé d'une vieille femme Innue au regard sombre ; debout elle vous fixe calmement avec l'assurance de celle qui a longuement vécu sur sa terre et offre à l'objectif sa sérénité sans fard, sa paix intérieure et la beauté de ses rides profondes. Laissez alors infuser ces mots :
" M'apparaissant au loin comme la fleur de la fragilité
Rien ne pouvait ébranler l'esprit de cette femme
Bien que son univers et sa vie aient basculé
Pour un monde nouveau où la magie se fane.
Au fil des saisons, son corps fondait dans la nature
Pour donner vie à toutes les choses qu'elle touchait
Cette femme si mystérieuse était la plus belle créature
Qu'on pouvait découvrir par la pensée.
Comme un coucher de soleil à l'horizon
Elle attendait patiemment que vienne le jour
Où elle pourrait enfin rejoindre son compagnon
Dans le monde des esprits, nous guettant toujours. "
Rien d'étonnant à ce que J. M. G. Le Clézio affirme dans sa préface :
" La voix de Rita nous touche au coeur. "
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Jean Désy et Rita Mestokosho se sont rencontrés dans le contexte du lancement du livre Aimititau ! Parlons-nous !, un recueil de Laure Morali qui regroupe des textes d’auteur(e)s tant autochtones que non-autochtones, et ça a été manifestement un vrai coup de foudre littéraire. Les deux poètes ont entrepris une correspondance, leurs voix se répondant au fil des saisons, avec comme toile de fond le territoire de la Côte-Nord, que les deux chérissent et sur lequel ils fondent leur écriture. « J’écris mieux grâce à vos pas » dit Jean Désy. Il dit aussi : « Je crois que nous devrions aspirer à réinventer un pays de plus en plus métissé, amalgamé à la mer et au soleil et aux épinettes noires, finir par oublier nos origines tout en les connaissant et en les reconnaissant parfaitement afin de lancer notre monde humain dans la seule voie qui ait de l’importance, c’est-à-dire la voie poétique. » Ode à la beauté du monde et à la réconciliation des peuples, j’ai peut-être davantage apprécié les entrées de Rita Mestokosho, et j’ai eu malheureusement l’impression de rester un peu en dehors de leur si belle rencontre.
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Un très bel ouvrage rassemblant des poèmes de Rita Mestokosho et des photographies de Patricia Lefebvre.
Les photographies sont magnifiques et ont été choisies pour entrer en écho avec les poèmes. Elles valent pour elles-mêmes bien sûr, mais nous rendent en plus davantage accessibles le monde décrit par la poétesse.
Ces poèmes sont tout en sensibilité, au sens premier du terme. Transparaît le rapport au monde, à la nature, de la société innue (indienne, autochtone – du Canada) à laquelle Rita Mestokosho appartient, l'humain s'y fond et s'y confond, y tient une place équivalente à chaque autre élément. On y trouve l'achoppement avec le modèle occidental, les doutes, les fausses routes, le chemin retrouvé. On y ressent un grand apaisement et beaucoup d'optimisme.
Les images peuvent parfois paraître simples mais elles cachent souvent finesse et subtilité.
Une lecture qui rafraîchit et qui recadre.
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Dans une langue tendre et subtile, Rita Mestokosho nous fait sentir sa culture innue - un quotidien plus lent, au rythme de la nature, une reconnaissance pour tout ce qui nous entoure, l'espoir envers la vie, la Terre, qui ne nous laisse jamais tomber, une prière quotidienne envers le Créateur, une liberté inconditionnelle -, tout en exprimant une recherche d'équilibre entre tradition et monde « moderne » : le capitalisme, antagoniste aux cultures amérindiennes, est une menace pour sa culture, qui s'immisce partout et qu'elle travaille à appréhender…
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J’ai tout de suite été touchée par les textes de Rita Mestokosho. Tout simplement...sublime ! J’ai vraiment craqué pour ces poèmes si beaux et si simples, de véritables
cri de cœur. Ils sont de plus accompagnés de photos noir et blanc qui apportent un côté documentaire au recueil. s
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« minashkuau nete Nutshimit
immense forêt notre maison
ka inniuimakaki aimuna
les mots prennent racine
ka uashteti nete pessish Tshishe-Manitu
le Grand Esprit les murmure
papamipanu kun
à travers la neige envolée
nutin nitaimiku tshietshi maimuk shipua
le vent m’appelle à descendre les grandes rivières
ka matenitakuanniti tshimushuminanat utinniunuaua
la liberté des ancêtres vibre »
Atiku Utei - Le cœur du caribou, Rita Mestokosho #editionsmemoiredencrier #paldhiver #poesieinnue
Immense coup de 💛
J’ai été touchée par la beauté et la grâce de cette poésie à nulle autre pareille!
Poésie de racines, poésie nomade, poésie de nature, poésie de liberté!
Poésie de rêves, poésie de souvenirs, voix d’un peuple, chant de la terre…
Poésie de l’instant, poésie du passé, poésie de l’espoir, poésie de vérité!
J’ai eu envie de vous partager le recueil dans son entièreté, tant il est beau, envoûtant, merveilleux!
Je me suis abreuvée aux rivières du Nord, enfant des forêts boréales, j’ai parcouru des kilomètres portée par un caribou fier et libre…
Je me suis abreuvée de mots, aux rivières de la langue innue, j’ai étanché ma soif à cette langue inconnue et qui pourtant parle à mon cœur…
« Innu au nin
je suis innue
nete nutshimit nututen
du territoire
nete utshit utshekataku nutshipan
de la montagne des étoiles »
Poésie chantante et enchantante, poésie de merveille et d’éveil…
« Mon peuple écrivait en marchant
mon peuple écrivait sur la ligne de la mémoire
de cette façon, son bagage était moins lourd
il avait la bibliothèque de la terre avec lui
Mon peuple écrivait des millions de livres
éparpillés sur le territoire
des encyclopédies de rivières
des dictionnaires de montagnes
des géographies de forêts
chaque ligne que mon peuple écrivait
gardait sa mémoire éveillée
son esprit vif et son cœur léger »
Comment ne pas être émue par tant de beauté?
Innue, une poétesse a parlé, a touché mon âme, a transmis son message…
« pour que tu ne sois jamais seul
je nourris tes rêves quand tu dors
aussi silencieux qu'une nuit d'hiver
aussi respectueux qu'un vieux caribou
aussi protecteur que l'oiseau-tonnerre
les saisons vivent ensemble depuis toujours tu es un secret bien gardé dans la main du Grand Esprit »
Je ne résiste pas à l’envie de vous partager encore quelques vers qui m’ont touchée…
« l'hiver n'est plus froid
il est une maison
la maison de l'ours »
« je te donne le ciel pour maison
tu y bâtiras des aurores boréales
avec le soutien des montagnes
elles te montreront la route
des rivières du Nord »
Et puis, il est important de souligner qu’un second poème fait suite à Atiku Utei, celui de Un jour Madiba m’a dit, écrit pour Nelson Mandela.
La puissance et l’évocation en sont différentes, mais il est aussi touchant de beauté et d’émotion!
« Dans l'ocre rouge
les anciens puisent
le son des tambours
pour devenir un homme
tu es xhosa
je suis innue
une couleur une promesse
à la terre souveraine
poussière soulevée
sur la neige de février
où craque le début d'une vie
la tienne dans la chaleur du soleil »
Et ces mots de la fin
« je deviens le vent
liberté »
Un superbe recueil que je recommande vivement!
Un instant suspendu de grâce et de beauté NaN
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