Citations de Robert Garnier (40)
Un grand crime demande une clémence grande.
Car jamais en ce monde un fait pernicieux
D'un mechant, ne demeure impuni par les dieux :
Et s'ils se montrent lents à venger son offense,
Comme ils sont quelquefois , ce n'est par connivence.
Car tost ou tard, son chef sent leur bras punisseur,
Ou s'il ne le sent pas, sera son successeur.
Sire, considérez que tout homme mortel
Peche cent fois le jour encontre l'Eternel,
Qui sçait bien qu'en naissant nature nous y pousse,
C'est pourquoy, le sçachant, tant moins il s'en courrouce.
LA ROYNE
Il n'est malheur si grand que l'espoir n'adoucisse.
AMITAL
Il n'est malheur si grand que l'espoir ne nourrisse.
LA ROYNE
Voire mais un chacun l'esperance reçoit.
AMITAL
Voire mais un chacun l'esperance deçoit.
LA ROYNE
La mort ne manque point, elle vient trop hastive.
AMITAL
La mort aux affligez vient tousjours trop tardive.
LA NOURRICE
Mais le tyran vainqueur, incontinent détruit,
De ses heureux combats n'emporta pas grand fruit.
PORCIE
Plût au grand Jupiter qu'il dominât encore !
Nous n'aurions pas les maux qui nous tenaillent ore;
Nous vivrions bienheureux en repos souhaité,
Sans perte seulement que de la liberté;
Nous ne verrions sous lui la Ville pleine d'armes,
Commise à l'abandon d'un amas de gendarmes.
Rome ne verrait pas un millier de proscrits,
Sous l'appas d'un guerdon en tant de lieux meurtris;
Ni par divers cantons tant de têtes tranchées,
Pour un épouvantail aux rostres attachées.
Or, je te plains, César ! César, je plains ta mort.
Et confesse à présent que l’on t'a fait grand tort :
Tu devais encor vivre, tu devais encor être
De ce chétif empire et le prince et le maître :
Vraiment je te regrette, et cuide fermement
Que Brute et que Cassie ont fait injustement.
(Acte II)
O triste langueur !
O malheur qui nous suit !
O peuple vainqueur,
Las, te voila destruit !
NABUZARDAN
Celuy qui entreprend d'estre plus qu'il ne veut,
Souvent, trompé d'espoir, dechet plus qu'il ne veut.
AMITAL
Las que ferons-nous plus? que ferons-nous plus ores?
Qu'avons-nous que la mort pour requerir encores?
Vien mort, vien mort heureuse ! & ne viendras-tu pas?
Tu cours tant de gens qui craignent le trespas,
Et tu me fuis dolente ! au moins vien à cette heure,
Il est temps, si jamais, il est temps que je meure.
Mes filles soupirez, pleurez, soyez en deul,
Ayez durant vos jours cet exercice seul.
Vos enfans sont occis, vostre espoux venerable
Deplore entre ses fers son destin lamentable.
Ses jours sont aveuglez, & vous allez errant
Entre une tourbe serve à ces bords soupirant.
Mes filles soupirez, & lamentez sans cesse,
Alambiquez en pleurs vostre belle jeunesse :
Dediez-vous au dueil, & ne pensez, helas !
Tandis que vous vivrez avoir autre soulas.
Mes filles soupirez, plorez vos enfortunes,
Ils ne sont pas communs, vos pleurs ne soyent communes :
Je vous plains plus que moy, qui vivrez plus longtemps,
Et qui estes encor en vostre beau printemps.
Mais pleurez, soupirez, & que le temps n'essuye
L'eau tombant de vos yeux en une large pluye.
LES ROYNES
O desastres cruels ! ô rages ! ô fureurs !
O détestables faits ! ô Scythiques horreurs !
O la desloyauté d'un monstre sanguinaire !
O des Rois ensceptrez l'eternel vitupere* !
O meurtrier d'innocens ! ô parjure ! bourreau !
Qui au sein des enfans vas tremper le couteau,
Esgorge esgorge nous, ne te feins homicide,
Vien amortir ta soif dans nostre sang liquide :
Nos enfans n'en avoyent pour te rassasier,
Pren le nostre & le boy, nous tendons le gosier.
*honte
LA ROYNE
Un prince qui peut tout ne doit pas tout vouloir.
NABUCHODONOSOR
La volonté d'un Prince est conforme au pouvoir.
LA ROYNE
Conformez-vous à Dieu, dont la force est supréme.
NABUCHODONOSOR
Dieu fait ce qui luy plaist, et moy je fay de mesme.
Ce n'est rien de mourir : la mort tant soit amere,
N'est aux calamiteux qu'une peine legere :
Elle ferme la porte à tous maux douloureux,
Et purge de malheur les hommes malheureux.
O peuple malheureux ! peuple cent fois maudit !
Tu sçais bien que j'avois tes désastres prédit,
Que j'avais annoncé du grand Dieu la menace,
A fin qu'humilité devant sa claire face
Le peusses reconnoistre, et qu'à force de pleurs,
De jeunes et de cris prévinsses tes malheurs !
Mais tu as mesprisé ces menaces prophètes,
Et m'a voulu meurtrir pour les avoir faites.
ANTIGONE: Entreprendre il nous faut tout ce qui est de droit.
ISMÈNE: Le droit est d'observer ce que le Roy commande.
ANTIGONE: Il faut tousjours bien faire, encor qu'il le défende.
AMITAL
Pleurons donques pleurons sur ces moiteuses rives,
Puis que nous n'avons plus que nos larmes, captives :
Ne cessons de pleurer, ne cessons, ne cessons
De nous bagner le sein des pleurs que nous versons.
Pleurons Jerusalem, Jerusalem destruite,
Jerusalem en flamme & en cendres reduite :
Ne soyent plus d'autre chose occupez nos esprits,
Ne faisons que douloir*, que jeter pleurs & cris.
Devons-vous plus avoir autre sollicitude?
Pouvons nous autre part appliquer nostre estude ?
Nous est-il rien resté qu'un esprit gemisant,
Qu'un esprit adeulé dans un corps languissant?
LE CHOEUR DES JUIVES
Pleurons donques, pleurons, & de tristes cantiques
Lamentons sur ce bord nos malheurs Hébraïques.
*nous lamenter
NABUCHODONOSOR
Si un Roy n'est severe on n'en fait point d'estime.
NABUZARDAN
On l'est tousjours assez : un Monarque irrité
A tousjours, se vengeant, trop de severité.
L'on ne voit à grand'peine homme qui s'y tempere.
S'il ne se faict raison, c'est qu'il ne le peut faire
Mais un Roy qui peut tout, n'a qu'à se retenir,
Si quelqu'un l'a fasché, de ne le trop punir.
O peuple malheureux ! peuple cent fois maudit
Tu sçais bien que j'avois tes desastres predit !
Que j'avois annoncé du grand Dieu la menace,
A fin qu'humilié devant sa claire face
Le peusses reconnoistre, & qu'à force de pleurs,
De jeusnes & de cris previnses tes malheurs !
Mais tu as mesprisé ces menaces prophetes,
Et m'as voulu meurtrir pour te les avoir faites,
Ton cœur obstiné fut & tes sens endurcis :
Aussi es-tu butin d'un peuple incirconcis,
Qui a mis au couteau la plus part de tes freres,
Arraché tes enfans du giron de leurs meres,
Tes femmes violé, le saint temple polu,
Mis ses joyaux en proye au soldat dissolu,
Qui les a teint de sang, & fait du sanctuaire,
N'aguiere inviolable, un tombeau mortuaire.
Et quoy ? Roger, tousjours languiray-je de peine ?
Sera tousjours, Roger, mon esperance vaine ?
Où estes-vous mon coeur ? quelle terre vous tient ,
Quelle mer, quel rivage ha ce qui m'appartient ?
Entendez mes soupirs, Roger, oyez mes plaintes ;
Voyez mes yeux lavez en tant de larmes saintes,
Quand votre oeil, mon soleil, le luist en cette Cour.
Celuy qui entreprend d'estre plus qu'il ne peut,
Souvent, trompé d'espoir, dechet* plus qu'il ne veut.
*tombe
Pourquoy Dieu, qui nous a faits
D'une nature imparfaits,
Et pecheurs comme nous sommes,
S'irrite si griefvement
Du mal que journellement
Commettent les pauvres hommes ?
Si tost que nous sommes nez
Nous y sommes adonnez :
Nostre ame, bien que divine
Et pure de tout mesfait,
Entrant dans un corps infet
Avec luy se contamine.
Nul ne se peut empescher
En ce monde de pecher,
Tant est nostre humaine race
Encline à se dévoyer,
Si Dieu ne vient déployer
Sur nous sa divine grace.
Sus, miserable, sus, sus, pauvres infortunee,
Recommence tes pleurs avecques la journee :
Que les piteux regrets des Alcyoniens,
Et les plaintes que font les Pandioniens,
Gemissant leur Itys sur les ondes chenuës,
Ne puissent egaler tes larmes continuës,
Helas ! car aussi bien, car aussi bien, helas !
Leurs desastres cruels les tiens n'egallent pas.
Des Enfers tenebreux les gouffres homicides
N'ont encore soulé leurs cruautez avides :
Encore mi-deserts les champs Tenariens
Demandent à Pluton de nouveaux citoyens.
Toy, qui armas le Gendre encontre le Beau-pere,
Toy, l'horreur des humains, execrable Megere,
Qui portes dans le sein la rage et les fureurs :
Toy, toy, qui peux combler tout ce monde d'horreurs,
Embrase de rechef la guerriere poitrine,
Et le sang genereux de ceste gent Latine.