La Troade
La Troade est la cinquième des sept tragédies de
Robert Garnier, elle est parue en 1579 mais son écriture a sans doute commencé en 1574-1575. C'est une des trois tragédies de l'auteur sur un sujet « grec » avec
Hippolyte et Antigone.
Nous sommes juste après la prise de Troie.
Hécube pleure ses malheurs, accompagnée par le choeur de femmes troyennes. Mais d'autres morts et souffrances sont à venir. Cassandre, bien que prêtresse d'Apollon sera réclamée comme concubine par Agamemnon. Elle prédira l'horrible destin qui l'attend à Mycènes, mais comme d'habitude, personne ne la croit. Puis, les Grecs décident de faire mourir Astyanax, le fils d'Hector. Ensuite le fantôme d'Achille réclame que Polyxène soit immolée sur sa tombe et enfin le cadavre de Polydor, le plus jeune fils de Priam arrive sur le rivage. Il a été assassiné par Polymestor, chez qui il a été mis à l'abri ; son hôte l'a tué pour s'approprier ses richesses. La pièce se clôt sur la vengeance qu'
Hécube va exercer sur Polymestor et ses fils, la série de meurtres ne s'arrêtant jamais, d'autant plus que d'autres atrocités sont annoncées, comme le meurtre d'Agamemnon à venir.
C'est une suite de morts, de cruautés, de souffrances, de déplorations sans fin. Une tragédie au sens fort du mot. La pièce concentre l'action des Troyennes d'
Euripide et de
Sénèque et l'
Hécube d'
Euripide. Même si les femmes troyennes souffrent encore plus que les autres, après la mort de leurs maris, de leurs enfants, et que les meurtres ne semblent pas s'arrêter, qu'elles attendent de partir en esclaves dans des pays inconnus, les vainqueurs aussi sont meurtris. Par leurs morts, et aussi par les destins funestes qui attendent la plupart d'entre eux, qui sont prophétisés. La guerre n'amène que la souffrance et la mort, elle ne se justifie pas. le malheur individuel, privé, se mêle au malheur collectif, le choeur étant un véritable protagoniste de l'action, sans l'aspect artificiel que sa présence peut avoir dans certaines tragédies.
Malgré un côté statique, spécifique au théâtre du XVIe siècle, la pièce n'est pas qu'une accumulation d'horreurs. Il y a une graduation, une montée progressive de l'insupportable, en particulier dans le traitement réservé aux enfants. Les prières aux dieux sont inutiles, il est vain d'espérer leur miséricorde. Ce sont des dieux cruels, qui vont d'une certaine manière se montrer justes, en punissant d'une manière sévère les vainqueurs qu
i ont abusé de leur victoire, mais cela ne sera qu'une punition, et non pas une consolation ou une véritable réparation. A l'inhumanité des dieux répond la défaillance humaine, en particulier royale : Agamemnon est plein de pitié, il voudrait bien arrêter les exécutions, mais il est trop faible pour pouvoir le faire. Un pouvoir royal par trop faible ne peut qu'amener des catastrophes sans fin.
Robert Garnier est le premier véritable auteur de tragédies français, qui s'est essentiellement consacré à cela. Il a été reconnu en tant que tel par ses pairs de la Pléiade, et à juste titre à mon sens. C'est évidemment une conception du théâtre dont on s'est éloigné : le théâtre de Garnier, comme une grande partie du théâtre de son époque, est un théâtre de la déploration. Un théâtre de poètes, qui chantent les malheurs et les souffrances. D'où les longues tirades, les parties du choeur, que l'on peut trouver statiques, mais il s'agit de dire avant tout. Et Garnier a une vraie vision politique et philosophique, cohérente et réfléchie, et c'est un très grand poète, qui trouve des images, des rythmes, une véritable musique.
C'est vraiment un beau texte.