Le tourisme : un anti voyage - Rodolphe Christin mars 2019
Comprendre le monde pour s'en dégager; vous désignez cette entreprise comme essentielle si l'on souhaite se déprendre de l'emprise de la société. Cette intention va à l'encontre des conditionnements les plus courants qui ne forment que des légions de morts-vivants. C'est une invitation à vivre, enfin vivre, sans se comporter en automate de la reproduction sociale. Contre la mauvaise religion de l'avoir, parvenir à insuffler de l'être dans le quotidien, se nourrir de la banalité des jours pour en déceler la lumière. Avec la joie de sentir, une énergie nouvelle enflamme l'existence, elle devient la suprême récompense. Cette joie inspire la dérision qui défait avec humour les faux-semblants. L'émancipation est possible au prix d'une lucidité qui enchante la vie la plus simple, après avoir désenchanté le règne du spectacle et détruit ses illusions.
On parla, au fil des temps, de démocratisation des voyages, sans se rendre compte que, bien des années plus tard - aujourd'hui -, la démocratie deviendrait pour beaucoup soluble dans la consommation. Et le le tourisme devint consommation, élément majeur du devenir-économie du monde.
Désormais, la libération initiale, devenue la norme, se fait oppressante : elle martyrise natures et sociétés humaines, opprime l'esprit des voyages et transforme l'hospitalité des lieux en prestations, les habitants en prestataires, les paysages en décors. Voilà où l'on est arrivé.
L'ampleur de la servitude échappe bien souvent au travailleur tant celui-ci trouve désirable de louer sa force et son intelligence en contrepartie d'un salaire, pour, quelque soit son montant, gagner une vie au bout du compte misérable, aliénée de part en part.
Seul un homme asservi accepte d'être réduit à une fonction professionnelle. L'homme libre, ayant réfléchi à ce qui fait la valeur de son être, assume sereinement de vivre hors fonction et d'être hors service.
« L'un des paradoxes du tourisme d'aujourd'hui est de tuer ce dont il vit, en véritable parasite mondophage. Celui-ci préfère le divertissement à la diversité ; le premier est en effet plus confortable car il ne remet rien en cause. Ainsi le touriste déclare son amour à cette planète dans ses moindres recoins, et, ce faisant, il contribue à l'épuiser impitoyablement. »
[…], le touriste doit ignorer ([…]) les coulisses notamment économiques ([…]), de la production de son plaisir. De l'autre, le manager de produits touristiques doit provoquer l'illusion d'un monde parfait et paradisiaque sans jamais autoriser l'accès de son client au dessous des affaires.
Le sentiment de liberté touristique réside dans le fait que, quelques semaines par an, le touriste s'imagine rentier. Libre d'utiliser son temps à sa guise et, une fois n'est pas coutume, de se faire servir par d'autres, qui eux sont au travail.
« Une faible proportion de personnes dans le monde dispose de smoyens d'être des touristes. Comme l'automobiliste (80% de la population mondiale n'utilise pas encore de voiture), le touriste est un marginal destructeur. Loin d'être si généralisé que cela, le tourisme apparaît donc bien comme la pratique de celles et ceux qui disposent de suffisamment de ressources économiques pour jouir du monde sans entraves. Il est le luxe d'un minorité dont l'impact concerne une majorité, parce que cette minorité tente d'aller partout et que partout on cherche à attirer son pouvoir d'achat. Son pouvoir d'achat plutôt que sa bonne mine, n'en déplaise aux idéalistes. »
Si le temps libre est merveilleux lorsqu'il est imprévu, l'est-il encore autant - libre et merveilleux - lorsque tout y a été programmé? Pas sûr. Ainsi va désormais le tourisme, cheminant de standard en standard, de guichet en guichet.
« Le vrai voyage n'est-il pas dans l'aller simple ? Se laisser embarquer au gré des routes terrestres, ferroviaires, maritimes, bifurquer lorsqu'on ne s'y attend pas. Eloge de la lenteur. Bonheur ineffable de se trouver en transit en mouvement, entre deux points. Eprouver physiquement la distance, découvrir l'entre-deux, se retrouver à Pétaouchnock... »
Les frontières étaient devenues des procédures. Des impossibilités de papier. Une angoisse permanente empoignait les migrants face à l'idée de ne pas pouvoir afficher un visage en papier, en bonne et due forme. Derrière les papiers se tenaient des hommes en gilet pare-balles et des chiens. Toujours.
Ils parlaient d'identité nationale au milieu des visages multicolores. Ils parlaient d'identité nationale alors que les intérêts de l'Économie traversaient allègrement les frontières, entraînant les ressources humaines dans leur sillage. Les guerres produisaient des flots d'errants. La migration devenait une nécessité existentielle et simultanément une impossibilité de papier.