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Citations de Roland Dorgelès (178)


C'est vrai, on oubliera. Oh ! je sais bien, c'est odieux, c'est cruel, mais pourquoi s'indigner : c'est humain... Oui, il y aura du bonheur, il y aura de la joie sans vous, car, tout pareil aux étangs transparents dont l'eau limpide dort sur un lit de bourbe, le coeur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond...
On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le soeur consolé de ceux qu'ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois.
Non, votre martyre n'est pas fini, mes camarades, et le fer vous blessera encore, quand la bêche du paysan fouillera votre tombe.
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Le capitaine Morache avait arrêté la colonne et l'odre nous parvint, à peine murmuré :
- Baïonnette au canon.
Face à l'immense tombe, la compagnie se rangea. Une fusée lointaine fit briller d'un fugace éclair, la haie des baïonnettes.
- Aux soldats morts au champ d'honneur... Présentez, armes !
Toutes les crosses claquèrent d'une unique détente, puis plus rien. Corps raidis, têtes hautes, nous regardions muets, les dents serrés : les soldats n'ont rien à offrir que leur silence.
- Reposez, armes...
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Les paysans du front ont le cœur endurci et ne s'émeuvent plus guère, après tant d'horreur ; pourtant, quand ils virent déboucher la première compagnie de ce régiment d'outre-tombe, leur visage changea.
- Oh ! les pauvres gars...
Une femme pleura, puis d'autres, puis toutes... C'était un hommage de larmes, tout le long des maisons, et c'est seulement en le voyant pleurer que nous comprîmes combien nous avions souffert. Un triste orgueil vint aux plus frustes. Toutes les têtes se redressèrent, une étrange fierté aux yeux.
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- Comme vous l'avez deviné, les Allemands creusent une mine. Le génie va peut-être venir pour faire une sape, mais la leur doit être bien avancée pour qu'on puisse la couper.
Alors... n'est-ce pas... il est inutile que tout le monde reste ici... Vous comprenez bien ça...
Alors... c'est votre escouade qui va rester, Bréval : on a tiré au sort. On va relever les deux sections qui se porter en deuxième ligne, et vous resterez ici avec votre escouade et des mitrailleurs... Ce n'est pas beaucoup, mais le colonel a confiance en vous : on sait que vous êtes des braves...
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Il portait ainsi en lui le nom de quelques camarades, laissés dans les petits cimetières de Champagne ou de l'Aisne, ou bien entre les lignes, sur la terre à personne, et il leur parlait, les écoutait se plaindre, ces pauvres hommes que, vivants, il n'avait pas toujours aimés, parce qu'ils étaient parfois grossiers, le geste et l'esprit lourds. Il n'en oubliait aucun et aimait se pencher sur leur souvenir, alors qu'il ne restait déjà plus d'eux qu'un nom banal dans la mémoire oublieuse de leurs copains d'escouade.
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Depuis le mort de Noury il était arrivé deux lettres à son nom. On aurait pu les retourner, avec le brutal avis de décès, dans le coin : "Le destinataire n'a pu être atteint."
Demachy avait cru mieux faire de les prendre. Il les sortit de sa cartouchière, les déchira sans les ouvrir, et sur cette tombe réglementaire de soldat, carrée comme un lit de caserne, il effeuilla les pétales de lettres, pour qu'il pût au moins dormir sous des mots de chez lui.
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Les moins gais n'ont jamais de souvenirs tristes à raconter : on en devine dans l'existence d'aucuns. Ils ont connu des deuils, pourtant, des misères. Oui, mais c'est passé... De sa vie, l'homme ne garde que les souvenirs heureux ; les autres, le temps les efface, et il n'est pas de douleur que l'oubli ne cicatrise, pas de deuil dont on ne se console.
Le passé s'embellit ; vus de loin, les êtres semblent meilleurs. Avec quel amour, on quelle tendresse, on parle des femmes, des maîtresses, des fiancées ! Elles sont toutes franches, fidèles, joyeuses, et l'on croirait, à nous entendre ces soirs-là, qu'il n'y a que du bonheur dans la vie.
Parfois, quelque chose claque sur le mur, comme un coup de fouet. C'est une balle perdue.
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Insoucieux, solides, nos vingt-cinq ans éclatent de rire. La vie est un grand champ, devant nous, où l'on va courir. Mourir ! Allons donc ! Lui mourra peut-être, et le voisin et encore d'autres, mais soi, on ne peut pas mourir, soi...
Cela ne peut pas se perdre d'un coup, cette jeunesse, cette joie, cette force dont on déborde. On en a vu mourir dix, on en verra toucher cent, mais que son tour puisse venir, d'être un tas bleu dans un champ, on n'y croit pas. Malgré la mort qui nous suit et prend quand elle veut ceux qu'elle veut, une confiance insensée nous reste. Ce n'est pas vrai, on ne meurt pas !
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Allons, il y aura toujours des guerres, toujours, toujours...
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On embarqua. En un instant tout le monde fut casé, les sac empilés au fond des camions, et l'on pouvait encore s'asseoir, s'étendre, prendre ses aises.
-Ils auraient dû prévoir, dit en haussant les épaules le conducteur qui nous observait à genoux sur son siège. Ils ont commandé juste autant de voiture que pour vous amener, et vous n'êtes plus aussi nombreux, pas vrai...
Alors seulement on remarqua les place vides... Ce qu'il en manquait !
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A quelques pas sous un tertre crayeux, des allemands étaient enfouis. leurs croix serviraient pour les nôtres, un calot gris sur une branche, un calot bleu sur l'autre.
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Picasso en veste de toile bleue ressemblait à un zingueur, et son ami Vlaminck à un coureur cycliste sous son chandail à col roulé. D'autres s'affublaient de culottes de sport, de redingotes, de macfarlanes, de salopettes, de pet-en-l'air, de vestes à martingale, de capuchons, de houppelandes, de cache-poussière, tout le décrochez-moi-ça des magasins de confection. Max Jacob se distinguait par un caban soutaché de rouge ramené de Bretagne, André Salmon par son carrick de cocher londonien. La fantaisie n'était pas moindre pour les coiffures : Chas Laborde son chapeau de pasteur, Mac Orlan sa casquette de jockey, et Le Fauconnier, le cubiste, un curieux petit feutre, retroussé par derrière qui rappelait facétieusement Louis XI
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En dépit des apparences, Fagus avait toujours mené une existence très régulière ; on ne pouvait en dire autant de François Bernouard, devenu son ami au retour de la Grande Guerre. A part leur amour de la poésie et de la bouteille, ils n'avaient rien de commun ; mais dans les cafés de Saint-Germain-des- Prés, c'était un lien suffisant. Si le bohème fonctionnaire représentait une espèce assez rare, le bohème homme d’affaires était encore plus surprenant.
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Il trouvait normal de vivre dans un pauvre logement de la rue Visconti. Sans doute cela manquait de confort, mais un verre ou deux de vin rouge, du beaujolais de préférence, le consolaient à l'instant. Il s'était fait ainsi une réputation de biberonneur dont il tirait gloire. Un matin, un poète bouquinant du Divan, librairie fameuse de Saint-Germain-des-Prés, le surprit emplissant un gobelet à la fontaine Wallace. Le rencontrant le soir, il le railla :
— Je vous ai pris sur le fait, imposteur ! Vous buviez de l’eau !
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Quand il ne rimait pas il s’endormait, la conscience en repos. Un après-midi le nouveau préfet, poète amateur, parcourant les services, remarqua son absence. On lui apprit avec des ménagements, que l'homme du Moyen Age, ayant largement arrosé son repas, devait somnoler sur son rond-de-cuir. « Laissez-le dormir, fit le bon préfet. Il ne faut jamais empêcher les poètes de rêver… » Fonctionnaire et bohème, bon époux et bambocheur, assidu aux offices et pilier de café, Fagus s'accommodait de toutes les contradictions. Conscient de la place effacée qu’il occupait dans les Lettres, il s’empressait d’en rire.
— Je suis de ceux qui ne se sont pas réalisés, répondait-il à un enquêteur.
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Il venait alors de sortir de la guerre qu’il avait faite, disait-il, « dans les coulisses de l’Épopée », maniant la pelle et la pioche plus que le fusil. Entre deux corvées de gabionnage, voire deux bombardements, il retouchait sa Danse macabre et commençait à tresser la Guirlande de l’épousée. Pourquoi se serait-il alarmé ? « La guerre fait considérer toutes choses en fonction de l’Éternité, ce qui convient particulièrement à la poésie », écrivait-il philosophiquement.
Démobilisé, il avait repris sans déplaisir — maintenant à l'Hôtel de Ville — ses modestes fonctions d'expéditionnaire. Il jouissait d'assez de loisirs et disposait d’assez de papier pour achever tranquillement son Frère Tranquille :

Grands frères qui dormez sous la haute liane,
Conquérants, voyageurs, ou saints des missions
Ou forçats qui semez les sables des Guyanes,
Décapités cherchant vos têtes à tâtons.
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Ne croit-on pas reconnaître la voix douloureuse de Villon évoquant les dames du temps jadis ? Ses lettres — il en écrivait tant et plus — prenaient naturellement un ton de ballade, il s'ingéniait même à rédiger les suscriptions en vers. Les dédicaces de ses livres, il ne les concevait que rimées et quand il publia sa juteuse transcription de la Chanson de Roland, où il rendait le rude accent de l'œuvre originale, j'eus droit, moi aussi, à un quatrain :

« Nous avons tous au pays une payse »,
A Madelon la belle Aude a dit antan
Et qu'elle soit paysanne ou soit marquise
Chacun pour elle a le cœur d’un Roland.
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Puis, soudain, tombant en extase :

Vierge, Mère de Dieu, sauvez-moi du démon !

Pour lui, tout devenait poésie. Ses amours, ses angoisses, ses plaisirs. Jusqu'à ses opinions politiques :

O Marie-Antoinette, reine entre les reines,
O martyre au cou blanc, qu’êtes-vous devenue ?
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Sujet de Philippe Auguste, contemporain des cathédrales, voilà ce qu’il était. Notre siècle de progrès lui faisait horreur, et même les précédents. « La Réforme a gangrené la France, la Renaissance l’a enlaidie, posait-il en principe. Depuis Bouvines, tout a dégénéré. » Ce n'est pas assez dire qu'il méprisait la République : il l'abhorrait. Aussi, comme fonctionnaire, la servait-il le moins possible. Dans son bureau du deuxième arrondissement, service de l'état civil, il passait le plus clair de son temps à écrire des vers au dos des avis de décès. Peut-être ce papier mortuaire l’a-t-il aidé à composer cette admirable Danse macabre, brûlante de luxure et embrasée de foi, qui allait l'élever au rang des grands poètes chrétiens. Pourtant si on lui donnait ce titre, il protestait :
— Je ne suis pas poète, tout bonnement un jongleur.
Peut-être, mais pareil à ceux qui chantaient de ville en ville et de château en château. Ses strophes affranchies passaient en gambadant de la priapée au cantique :

Et ma raison hennit après la bacchanale,
Le désir m'écartèle et danse dans mon sang.
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Bateleur ou petit clerc de la basoche, voilà à quoi il faisait penser. Il signait volontiers ses lettres : « Homme du Moyen Age. » Ces mots résumaient sa vie et son œuvre. Visiblement il s’était trompé de siècle. Un jour de grand vent je l’ai rencontré sur le Pont-au-Double, sa cape battant des ailes ; je me suis demandé si la bourrasque ne l’avait pas arraché au portail de Notre-Dame.
— Je vous vois très bien siégeant parmi les prophètes, les mages et les bergers, ai-je blagué.
— C’est vrai, m’a-t-il répondu en riant. Au milieu d’eux, je me sentirais à l’aise.
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