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Critiques de Saint-John Perse (54)
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Oeuvre poétique

Saint-john Perse est l'auteur de grands poèmes épiques, mythiques et incantatoires .Son œuvre nous fait découvrir un monde foisonnant au coeur de l'aventure cosmique .

Saint-John Perse parle de « renouement », renouement du passé et du présent, de mondes qui existent ensemble, d'une rive à l'autre; d'enracinement cosmique et visionnaire, de divinités telluriques présentes et insaisissables, d'un panthéisme ténébreux, d'une Terre mystérieuse et magique.

Une poésie envoûtante, une langue raffinée, un rythme inimitable, une imagerie sublime...
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Saint-John Perse : Oeuvres complètes

Qui est Saint-John Perse ? Mis à part un diplomate et haut fonctionnaire de la troisième République connu sous le nom d'Alexis Saint-Léger Léger.



Tout simplement le plus grand poète français du 20ème siècle. Prix Nobel en 1960 faisant foi (quoi que l'on pense de l'Académie de Stockholm...)



Allons à l'essentiel :



Le volume de la Pléiade, entièrement supervisé par l'auteur, contient plus de 60 ans de poésie, qui ont pris place dans une existence qui fut longue : 1887-1975.



C'est une poésie souvent épique, sans pour autant exclure des accents intimistes. Saint John Perse célèbre les grandes forces et les grands flux universels, ainsi que les éléments naturels: place aux mers, vents, neiges, sables, pluies. Les grandes civilisations, les peuples, le passé de l'humanité, ainsi que sa modernité sont convoqués dans de grandioses symphonies verbales, où les incantations et les aspects liturgiques sont fréquents.



Une lecture souvent difficile (grandes technicité du vocabulaire) mais une langue et une parole toujours fascinantes par leur puissance évocatrice et leurs images énigmatiques, à dimension quasi ésotérique.



La critique distingue habituellement quatre cycles dans l'oeuvre :



1) Le cycle antillais : c'est la description et la célébration du paradis perdu de l'enfance en Guadeloupe. ("Images à Crusoé," "Eloges")



2) Le cycle asiatique : c'est l'âge mûr. Celui de la conquête, de l'affirmation de soi et la découverte du monde. Ici la poésie se fait voyage et célébration de l'ailleurs. Nous foulons les sables d'Asie centrale à la découvertes des grandes civilisations du passé. ("La gloire des rois", "Anabase")



3) Le cycle américain : l'apothéose de l'œuvre, là où le souffle épique devient le plus puissant. Le poète célèbre la force des vents américains accompagnant son voyage spirituel, ainsi que les mers, puissance de vie et d'action, et origine de l'humanité. Mais il y a aussi l'exaltation de la solitude essentielle originelle de l'artiste. ("Exil", "Vents", "Amers")



4) Le cycle provençal : c'est la vieillesse et le retour à une poésie plus intimiste. Le ton se fait moins épique, et la poésie célèbre essentiellement la terre et les puissances telluriques. Et c'est aussi dans cette dernière partie de l'œuvre que la transcendance et la mysticité se font le plus nettement sentir.

("Chronique", "Chant pour un équinoxe", "Chanté par celle qui fut là", "Nocturne", "Sécheresse")



Difficile mais incontournable pour qui veut lire de la très grande poésie !
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Amers

Amers 1957

Saint John Perse (1887-1975)

Lauréat du prix Nobel de littérature 1960



Ah l'énorme poète, encore un injustement un peu oublié, né à Pointe-à-Pitre en 1887. Je savais que j'allais encore en pêcher un comme ça qui mériterait aujourd'hui d'être presque réhabilité, tant son talent fut salué par Nobel, tant notre pauvre culture française institutionnelle se distingue par son absence et se saborde par une voie d'eau sous nos yeux dramatique et coupable. Bientôt on va dire que c'est Poutine qui nous empêche..



"Ainsi la mer vint-elle à nous dans son grand âge et dans ses grands plissements hernyciens -toute la mer à son affront de mer, d'un seul tenant et d'une seule tranche ! .........................

La Mer mouvante et qui chemine au glissement de ses grands muscles errants, la Mer gluante au glissement de plèvre, et toute à son affux de mer, s'en vint à nous sur ses anneaux de python noir .."



Naître à Pointe-à-Pitre en 1887 pour un fils de riche planteur, et naître on ne sait où pour un fils de rien qui sniffe de l'ether à vingt ans au pied du buste en bronze massif de Félix Eboué sur la place de la Victoire à deux pas du port que j'ai vu dans les années 1990, impuissant, me disant toujours que c'est d'une tristesse affligeante qu'un jeune homme se refuse la vie à vingt ans, alors qu'elle vient de commencer ; il ne connaîtra pas au bout peut-être d'une jeunesse malheureuse la vie à laquelle il avait droit ! Si on ne naît pas rebelle avec ça, on le devient !



Ce Pointe-à-Pitre là qui faisait fuir les américains qui se faisaient détrousser par les voyoux locaux renforcés d'haïtiens et de dominiquais quand ce n'était pas des lynchages exercés sur eux. Deux générations n'auront pas suffi à résorber le fléau qui fait tâche d'huile aujourd'hui, puisque la métropole se fout déjà pour elle.



Si, il y a quand même une histoire pour le fils de riche planteur né à Pointe-à-Pitre, même si l'homme tombe un peu dans l'oubli quand le mien est certainement mort depuis sans aucune histoire -et même si je commettais l'impudence de le formuler ainsi, il est hautement probable que le crack qui n'existait pas encore alors en Guadeloupe le rattrapât, le happât comme des milliers de jeunes antillais à la dérive qui n'avaient pas le sou, de jeunes totalement innocents dont l'issue ne fut pas hypothétique ; peut-être que Félix Eboué était né pour ceux-là.. Certainement diront certains !







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Vents / Chronique / Chant pour un équinoxe

Vents est un magnifique recueil des poèmes de Saint John Perse.

Ses textes, s'ils peuvent paraître hermétiques au premier abord, sont d'une beauté telle qu'ils transportent le lecteur dans des sensations d'une force et d'une intensité incomparables.

Lire ces textes c'est se retrouver dans des contrées lointaines en présence de personnages mi-réels, mi fantastiques.
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Oiseaux

Les "Oiseaux" de Saint-John Perse ne sont pas ceux que l'on voit voler dans le ciel mais ceux qui se trouvent sur les tableaux de Georges Braque. C'est pour fêter les quatre-vingt ans du peintre que le poète français lauréat du prix Nobel de littérature 1960 a écrit ce recueil en vers libres.



Personnellement je trouve les oiseaux de Braque superbes et je regrette les lithographies de la première édition de ce livre pour rapprocher textes et images.

L'enthousiasme de Perse pour l'oeuvre et les oiseaux de Braque n'est pas surprenant. Les artistes ont la même vision poétique et s'alimentent aux mêmes sources aux mêmes thèmes.

Pour eux, les mondes végétal et animal participent à l'aventure humaine. Les oiseaux, plus que jamais, font le lien entre l'homme et l'espace.



Si la prose du poète est sinueuse et difficile à suivre, elle peut aussi s'identifier au corps ou au vol ou l'oiseau. Il y a des phrases très belles comme la première de ce court recueil, qui m'inspire : "L'oiseau, de tous les consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin."

Pour autant l'écriture de Saint-John Perse est si riche d'imagination que j'ai eu parfois du mal à le comprendre mais cela donne envie de poursuivre la lecture de son oeuvre.





Challenge Riquiqui 2023

Challenge XXème siècle 2023

Challenge Gourmand 2023-2024

Challenge ABC 2023-2024

Challenge Nobel illimité

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Œuvre poétique

À quoi sert de poétiser de façon si incompréhensible ? Quel est l’intérêt pour un poète (ou n’importe quel écrivain) d’être aussi hermétique ? Est-ce de la prétention, du snobisme ? Faut-il une clef ? Y en a-t-il une ? Suis-je bête ?

Même tranquille et concentré, au calme, le soir au lit, je n’ai pas compris grand-chose, ni d’ailleurs rien, ou si peu, ressentis à la lecture de ces « poèmes », il n’y a presque rien de touchant pour moi là-dedans !

J’ai acheté ce bouquin à un prix dérisoire dans une bouquinerie (Ah ma fâcheuse curiosité !) mais il ne vaut que par l’objet qu’il est ... Bon, il y a aussi une présentation de Roger Caillois, qui est censée donner des clefs ; extraits : p.39 « Au début, tout y paraît étranger et obscur. Jusqu’au vocabulaire qui déconcerte », p.42/43 « De longues et solennelles énumérations résument des mœurs inexplicables (...). D’autres fois, des discours dont on ne saura ni qui les prononce, ni qui les écoute, élèvent dans le vide des sortes de panégyriques presque sans objet, s’attardent en d’obscures confidences ... » !? Donc, pour comprendre, pour être ému, touché par cette poésie, il vous faut une bonne douzaine de dictionnaires (étymologiques, philosophiques, de langues ...), un manuel d’exégèse commac et aussi plusieurs boites à outils de différents corps de métiers ! ?

Alexis Leger - le vrai nom de Saint-John Perse - à obtenu le prix Nobel de littérature en 1960 : Sans commentaire !

Un extrait peut-être ? D’accord mais lisible alors : « L’offrande, ô nuit, où la porter ? et la louange, la fier ? ... Nous élevons à bout de bras, sur le plat de nos mains, comme couvée d’ailes naissantes, ce cœur enténébré de l’homme où fut l’avide, et fut l’ardent, et tant d’amour irrévélé... Écoute, ô nuit, dans les préaux déserts et sous les arches solitaires, parmi les ruines saintes et l’émiettement des vieilles termitières, le grand pas souverain de l’âme sans tanière ».

Donc, voilà ; 2 étoiles : 1 pour l’objet (belle couverture illustré par Picasso, belle maquette et beau grammage) et 1 autre pour la présentation de Roger Caillois et les quelques rares poèmes accessibles de ce recueil.

Allez, salut.

P.S. : ARRHh, je suis vraiment trop gentil parfois !

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Amers

Ô Amers, Ode à la Mer,

Pourquoi ne chantes-tu point l'Amour aux Sirènes et aux Poissons ?

Saint-John, pourquoi ne plonges-tu point à la rencontre des récifs coralliens ?

Étonnamment peu nombreuses sont dans ton recueil et récit les méduses. Dès lors, comment pourrions-nous être, nous lecteurs, pétrifiés ?

Quelques rougets du couchant, pourtant, et le "congre salace du désir", "congre royal" sortent des eaux d'Amères. Aussi la sirène De Nerval, narval ou licorne des mers, qui sens "l'eau verte et le récif, [...] la vierge et le varech". Celle qui est "l'idole de cuivre vierge, en forme de poisson, que l'on enduit de miel de roche ou de falaise".

Il apparaît à la novice que le chœur antique, à la facture classique, oscille entre l'apollinien et le dionysiaque, chante certes la Mer mais encore l'Amour et la Mort, l'Amour du Cantique des Cantiques, la Mort et ses Rites.

Les Initiés reconnaîtront l'Alchimie du Verbe, le symbolisme de Mallarmé dans la Forme, le surréalisme à venir, l'hermétisme & l'ésotérisme (voir le champ lexical plus qu'abondant du rituel et du sacrifice).

À la fin, malgré tout le vocabulaire se rapportant à ce qui se voit à la surface de la Mer ("Etroits sont les vaisseaux"), on revient avec amertume sur ce qu'on a lu et on se demande ce qui se cache en eau profonde, là où la lumière n'est pas, et on s'interroge encore, rétrospectivement, sur les éclats de lumière qui se reflètent sur l'eau.



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Amers

J'avais gardé un beau souvenir de lecture de Saint-John Perse, de quand j'étais lycéenne. Mais ça remonte si loin... Mes goûts poétiques ont-ils changé ? Ai-je choisi le "mauvais" recueil ? J'ai été infichue de terminer Amers, que j'ai trouvé totalement hermétique, trop lyrique voire même ampoulé. Je suis preneuse de tout conseil pour re-découvrir cet auteur par une voie plus aisée.

Challenge Nobel

LC thématique de novembre 2021 : ''Faites de la place pour Noël”
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Poésie

Mini format, maxi portée pour ce discours de Saint John Perse qui dit en peu de mots, mais quels mots! tout ce que j'attendais d'entendre sur ce qu'est la poésie, ce qu'elle apporte d'absolument essentiel à la lecture du monde, par-delà la science et la philosophie. Ce texte m'a profondément touchée car la poésie est un univers dans lequel je ne parviens pas encore à entrer et je le ressens comme un manque; un monde sans poésie est un monde mort, dénué de sens.
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Chant pour un équinoxe

Je suis toujours impressionnée par le style de Saint-John Perse même si je ne comprends pas tout ce qu'il exprime dans sa poésie. Il utilise un vocabulaire et des formules complexes mais ses textes sont comme des chansons que l'on aime sans comprendre les paroles.

Sa lecture demande une certaine concentration alors j'ai choisi un recueil très court car j'admets que cela doit être difficile à tenir sur la longueur.



"Chant pour un équinoxe" regroupe les quatre derniers poèmes du Nobel de littérature français dont trois en lien avec le temps et un poème d'amour : Sécheresse, Chant pour un équinoxe, Nocturne et Chanté par celle qui fut là.

Écrits entre 1968 et 1974, ils évoquent souvent la nature. Ce qui est surprenant dans le premier poème intitulé Sécheresse, c'est la conscience de l'auteur des conséquences de la sécheresse, sujet d'actualité. Il écrit : "Quand la sécheresse sur la terre aura tendu son arc, nous en serons la corde brève et la vibration lointaine. "

Et puis, s'il utile des mots rares, il parle très souvent de dieu comme une force spirituelle.



Quand on lit Saint-John Perse il faut accepter de ne pas tout comprendre, il faut aussi admettre qu'il y a un élan surprenant dans ses phrases alambiquées.





Challenge Riquiqui 2023

Challenge XXème siècle 2023

Challenge Nobel illimité

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Oiseaux

L'oiseau est comme un bateau nous dit Saint-John Perse. Alors là, je ne suis pas d'accord car pour moi, oiseau = avion

Bon ... D'accord ... L'oiseau fonctionne sans moteur alors que le voilier avance comme l'oiseau au gré du vent et des courants. En définitive, le poète doit avoir raison avec sa comparaison.

Saint-John Perse, dans "Oiseaux", il les dissèque les oiseaux, du coup il maîtrise bien son sujet, d'un point de vue anatomique et stylistique. Il nous apprend comme Prévert à dessiner un oiseau. On peut le dessiner donc, dans sa cage l'oiseau, mais on peut le dessiner, encore mieux, comme un bateau, à la Braque par exemple, comme un avion ( là Braque me donne raison), mais on peut tout aussi bien dessiner une vague forme ailée sur un fonds bleu qui peut représenter selon le spectateur un oiseau ou un bateau, le fonds bleu étant au choix le ciel ou la mer. L'exercice de style insiste sur la nécessité de représenter le sujet, l'oiseau, dans son environnement. Et si possible, rappelons-le, sans cage, pour que l'oiseau puisse prendre son envol (poétique).
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Saint-John Perse : Oeuvres complètes

De nos jours, Saint-John Perse est plus célébré que lu. Une admiration qui confinait à la bigoterie (le Nouvel Obs titrait à sa mort « L’éclipse du soleil ») a cédé la place aux travaux académiques sur la langue, l’image, la métrique ou l’inspiration. Mais aussi à la critique mesquine du monument que Perse s’est élevé dans la Pléiade (un article anonyme du Point titrait en 2015 : « Pléiadisé vivant, le chef-d’œuvre mythomane de SJP »). Or il faut lire Perse, et particulièrement Anabase.



Anabase est publiée en 1924, l’année du manifeste du surréalisme. André Breton voyait en Perse un « surréaliste à distance » mais les deux hommes ne se sont pas rencontrés. Alexis Leger, diplomate aguerri, se tenait à l'écart de toute école, et surtout d'une influence aussi invasive que celle de Breton. Je présume que Breton appréciait la provocation adolescente d’Éloges : « Un chien vivant au bout d’un croc est le meilleur appât pour le requin » « La tête de poisson ricane entre les pis du chat crevé qui gonfle, vert ou mauve ? » « Ceux qui sont vieux […] boivent des punchs couleur de pus » ; ou encore ses non-sens sonores à la Lewis Carroll : « Les gomphrènes, les ramies, l’acalyphe à fleurs vertes et ces piléas cespiteuses qui sont la barbe des vieux murs s’affolent sur les toits » (p 36, 45, 48 et 49, la pagination est celle de la Pléiade).

Anabase est le premier poème qu’Alexis Leger signe Saint-John Perse. Le titre sonore est emprunté à deux Anabases antérieures, deux épopées dont le lieu est la Perse, l’Anabase de Xénophon (l’expédition des Dix Mille) et celle d’Arrien (l’épopée d’Alexandre). Le poète affirme que cette proximité - Anabases, Perse - est un hasard (p 1108) ; peu importe. Il écrit entre deux longs silences. Il s’était tu pour gagner son pain après Eloges en 1911. Il se retire de la littérature après Anabase pour se consacrer au Quai d’Orsay, et ne revient à l’écriture qu’en 1940, après sa déchéance de la nationalité Française par Vichy et son exil aux Etats-Unis.



L’œuvre est belle, nette et donne du sens. La beauté d’Anabase ne se commente pas, elle s’éprouve à la lecture. Sa netteté vient de l’éviction du sentimental, du pittoresque, du contingent. Elle expose à l’effort. Le lecteur de Perse doit s'investir dans sa lecture, comme celui des poètes officiels du 20ème siècle : Valéry écrit que la poésie est « la capture et la réduction des choses difficiles à dire » (Variétés p 1500) ; Char annonce que « Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire » (p 632). Perse, paraphrasant Héraclite, écrit dans Amers : « Ils m'ont appelé l'Obscur et j'habitais l'éclat » (p 283). Il s’en explique au banquet Nobel : « La poésie n’est pas souvent à l’honneur. L’obscurité qu’on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d’éclairer, mais à la nuit même qu’elle explore, et qu’elle se doit d’explorer : celle de l’âme elle-même et du mystère où baigne l’être humain » (p 443). Beauté, netteté et don du sens. Anabase, dit Perse, « a pour objet le poème de la solitude dans l’action » (p 1108). J’y trouve deux thèmes profonds, l'enthousiasme et le désir.



Le titre même d’Anabase évoque la montée de l’esprit, le retour aux sources, la chevauchée victorieuse. Anabase est un enthousiasme, au sens originel de transport divin. C’est une utopie, une uchronie, d’où Perse a effacé toute référence mythologique, historique ou géographique pour lui donner une valeur universelle, hors du temps et du lieu. On peut deviner un récit, une progression dans le poème, mais c’est un récit sans fin, fait d’impulsions, de pauses, de retours, de nouveaux départs, la spirale d’un souffle originel, d’un tohu-bohu. Flux matériel, flux spirituel, flux du temps, on sait par Héraclite que ces flux sont synonymes et irréversibles : on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve. Dans Exil, Perse fait de ce flux enthousiaste son art poétique : « Ha ! comme un gonflement de lèvres sur la naissance des grands Livres, Cette grande chose sourde par le monde et qui s’accroît soudain comme une ébriété. Cette chose errante par le monde, cette haute transe par le monde, et sur toutes grèves de ce monde, du même souffle proférée, la même vague proférant Une seule et longue phrase sans césure à jamais inintelligible… » (p 126). Les cris répétés de Solitude ! des chants IV et V d'Anabase sont encore des cris d’enthousiasme. Cent ans plus tôt, on aurait crié Liberté ! Pour ce sentiment glorieux d’indépendance, mais en 1924 le romantisme est mort depuis longtemps et la liberté dévaluée. « Solitude ! Je n’ai dit à personne d’attendre… je m’en irai par là quand je voudrai… Et l’Etranger tout habillé de ses pensées nouvelles se fait encore des partisans dans les voies du silence : son œil est plein d’une salive, il n’y a plus en lui substance d’homme. Et la terre en ses graines ailées, comme un poète en ses propos, voyage… » (p 101). Cet enthousiasme est vital, nécessaire, et même péremptoire. Le poète condamne violemment l’abandon, la délectation morose, l’acédie : « L’odeur puissante m’environne. Et le doute s’élève sur la réalité des choses. Mais si un homme tient pour agréable sa tristesse, qu'on le produise dans le jour ! et mon avis est qu’on le tue, sinon il y aura une sédition » (p 96) « Ceux-là qui en naissant n’ont pas flairé de telle braise, qu’ont-ils à faire parmi nous ? et se peut-il qu’ils aient commerce de vivants ? » (p 102).



Le désir est partout dans Anabase, dès le premier chant : « J’aviverai du sel les bouches mortes du désir ! Qui n’a, louant la soif, bu l’eau des sables dans un casque, Je lui fais peu de crédit au commerce de l’âme » (p 94). Ce désir est violent : « La terre vaste à mon désir, et qui en posera les limites ce soir ?... La violence au cœur du sage et qui en posera les limites ce soir ? » (p 96). Shlomo Elbaz affirme que le désert est le lieu du désir (les Hébreux au désert, la tentation du Christ). S’il y a un désert dans Anabase, il a aussi les mers et les fleuves, et les migrations, les villes et les foules, et dans ces foules, les hommes qui s'individualisent dans la joie des sens : « Ha ! toutes sortes d’hommes dans leurs voies et façons […] Celui qui tire son plaisir du timbre de sa voix, celui qui trouve son emploi dans la contemplation d'une pierre verte ; qui fait brûler pour son plaisir un feu d’écorce sur son toit ; qui se fait sur la terre un lit de feuilles odorantes, qui s'y couche et repose ; […] celui qui mange des beignets, des vers de palme, des framboises ; […] ou bien encore celui qui mâche d’une gomme fossile, qui porte une conque à son oreille, et celui qui épie le parfum de génie aux cassures fraîches de la pierre ; celui qui pense au corps de femme, homme libidineux » (p 112). L’érotisme est présent dans tout l’œuvre de Perse. Dans Anabase : « Sous quelles mains pressant la vigne de nos flancs, nos corps s’emplissent d’une salive, Et dans nos corps de femmes, il y a comme un ferment de raisin noir », il peut être dalinien : « ah ! que l’acide corps de femme sait tacher une robe à l’endroit de l’aisselle ! ah ! que la langue du lézard sait cueillir les fourmis à l’endroit de l’aisselle ! » Il est réaliste dans Neiges (p 201) : « Et c'est ruée encore de filles neuves à l’An neuf, portant, sous le nylon, l’amande fraîche de leur sexe ». Il est métaphore d’Héraclite dans Amers : « O femme prise dans son cours, et qui s’écoule entre mes bras comme la nuit des sources, qui donc en moi descend le fleuve de ta faiblesse ? M'es-tu le fleuve, m'es-tu la mer ? ou bien le fleuve dans la mer ? M’es-tu la mer elle-même voyageuse, où nul, le même, se mêlant, ne s'est jamais deux fois mêlé ? ». Anabase s'achève ainsi : « Et ce n'est point qu'un homme ne soit triste, mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d'un vieil arbre, appuyé du menton à la dernière étoile, il voit au fond du ciel à jeun de grandes choses pures qui tournent au plaisir […] Et paix à ceux, s’ils vont mourir, qui n’ont point vu ce jour » (p 117).



Tout cela est interprétation. Comme un acteur interprète une pièce, ou un pianiste une sonate, le lecteur d’un poète difficile s’engage et interprète : « J'écris la moitié d'un poème et le lecteur écrit l'autre » disait Valéry (Cahiers). Dans notre siècle tenté par un retrait hostile, il faut lire celui qui écrit « Ouvre ta paume, bonheur d’être… » (Amers p 141) : il nous donne une formidable confiance dans le réel et dans la présence des autres vivants.

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Éloges

Dans mon objectif (lié au challenge) de découvrir le plus de prix Nobel possible de littérature, et après avoir déjà découvert plusieurs poètes Nobel qui m’ont beaucoup séduite, je me suis attaquée à ce recueil de Saint-John Perse, Nobel 1960. Je ne sais pas si c’est l’antériorité de l’écriture qui reflète le style d’une autre époque, mais je suis restée complètement hermétique à la poésie de cet auteur.



L’écriture est très libre et ne répond plus aux contraintes de la poésie traditionnelle des siècles précédents. Il n’y a donc ni rime ni vers. Cependant, de nombreuses répétitions sont présentes ainsi que des formules très grandiloquentes à mon goût. J’ai trouvé ainsi le tout un peu surfait comme si l’auteur cherchait surtout à faire un exercice de style plutôt qu’à toucher le lecteur.



La lecture s’avère assez ardue. Même si d’habitude je ne suis pas opposée au fait de ne pas tout saisir d’emblée lorsque je lis de la poésie, j’aime être transportée par la musicalité de la langue. Il s’agit pour moi de l’aspect le plus important de la poésie et cela n’a malheureusement pas été le cas lors de cette lecture. Peut-être qu’un jour j’aurai le courage d’essayer d’autres recueils de l’auteur pour infirmer cette impression.
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Saint-John Perse : Oeuvres complètes

Un jour, dans une librairie de livres usagés à Montréal, j'ai ouvert Amers par hasard et j'ai commencé à lire: Et vous mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous laisserez-vous au rostre de la ville parmi la pierre publique et les pampres de bronze.

Je suis tombé en amour avec l'ample pulsation de la période de Saint-John Perse, avec ces sonorités qui reviennent avec les images nébuleuses et cette sensation d'histoire ou d'historicité qui nimbe les pages sans que les repères soient suffisamment marquer pour y placer le nom d'un homme ou un lieu avec certitude. J'ai cherché beaucoup de mots dans le dictionnaire, mais jamais je ne me suis découragé de lire cet auteur qui me transporte dans un univers mystérieux. Je le place à l'égal de Baudelaire, dans mon panthéon personnel, un peu plus haut même!
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Éloges

Un de mes auteurs préférés en poésie moderne.

Un monde tout décrit avec semblerait-il une telle facilité de description, simple et magnifique. Un maniement du verbe que j'admire et qui me fait rêver au-delà du réel. Par ses mots, je m'envole.
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Amers

Hissez la grand voile et larguez les amarres ! la poésie de Saint-John Perse

vous emmène par-delà le roulis de ses vers en des contrées imaginaires où le réel se nourrit de mythe et d'histoire, de paysages sublimes et d'expérience humaine.

Que dire d'autre sur mon poète préféré ? Qu'il m'accompagne dans tous mes rêves et nourrit mes envies de voyage par sa simple lecture.
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Amers

Alexis Léger, dit Saint-John-Perse (1887-1975) est un poète français. Si, si. Pas des plus connus, sans doute, mais des plus mal connus à coup sûr. Il faut dire qu’il n’a pas la réputation d’un poète « facile » : comme René Char, il est d’un hermétisme qui peut a priori en décourager plus d’un et à faire fuir plus d’une (ou le contraire).

« Ils m’ont appelé l’Obscur, et mon propos était de mer ».

Avouez que, comme présentation, on a connu plus glamour.

Mais comme René Char, et par certains côtés même, mieux que René Char, il mérite notre attention : il y a chez Saint-John-Perse un rythme, une cadence, imprimées certes par une imagination puissante et évocatrice mais aussi, et peut-être surtout, par le choix d’un style poétique particulier, qui colle à merveille à son propos : Saint-John-Perse utilise le verset. Non pas par référence aux versets bibliques ou coraniques, de longueur inégales, et aux intentions incantatoires (encore que), mais plutôt parce que ce type de vers, ample et délié, permet de faire une phrase longue, bien balancée, où l’auteur peut à son gré placer ses graves et ses aigus, et imprimer le rythme qu’il souhaite :

« Et c’est un chant de mer comme il n’en fut jamais chanté, et c’est la Mer en nous qui nous le chantera :

La mer en nous portée, jusqu’à la satiété du souffle, et la péroraison du souffle,

La mer en nous, portant son bruit soyeux du large et toute sa grande fraîcheur d’aubaine par le monde ».



L’inspiration, il la cherche en lui-même, comme la plupart des poètes, au travers de sa propre expérience et en rapport avec le monde qui l’entoure. Jusque-là ce n’est pas très original. Mais il semble que Saint-John-Perse ait une connexion particulière avec les éléments, particulièrement l’eau et l’air. Son origine antillaise y est sans doute pour quelque chose (il est né en Guadeloupe), et sa carrière de diplomate qui lui a fait sillonner la Terre en bateau et en avion, a dû nourrir ce goût pour l’espace marin et l’espace aérien qui parcourt toute son œuvre.



« Amers » est un recueil de 1957, où cet élément marin évidemment, tient la première place. Le titre, à lui seul, est une énigme : « amer » est le nom qu’on donne à ces balises qui signalent aux bateaux l’entrée dans les ports. Mais il s’agit peut-être de l’adjectif qui pourrait correspondre à un état d’esprit particulier, ou encore un jeu de mots « à mer », ou même « à mère », dans la mesure où la mer est aussi la mère universelle d’où vient toute vie… Le poète laisse s’épaissir le mystère autour de ce titre, et il a bien raison.



Bien sûr, il y a cet hermétisme, ces mots parfois techniques qui déstabilisent le lecteur… Mais comme le soulignait Breton, Saint-John-Perse, est un « surréaliste éloigné », ce qui lui confère sa propre logique poétique, qui consiste à éveiller la sensibilité du lecteur, en lâchant toute bride à l’imagination. Car c’est là un des atouts de Saint-John-Perse : la puissance d’évocation qui n’est pas loin de ressembler par moments, mais de façon plus maîtrisée, aux « Chants de Maldoror » de Lautréamont : comparez « Vieil océan… » avec les poèmes de ce recueil, vous y trouverez une filiation évidente.

Lisez Saint-John-Perse. Lentement, plusieurs fois, pour bien vous en imprégner, et surtout à voix haute pour bien en sentir le balancement peut-être déclamatoire, presque incantatoire, mais somme toute magique.

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Éloges

Éloges : un des chants du monde les plus libres qui soit jamais écrits. Les souvenirs d’enfance, la nostalgie, la lumière et le climat des îles, la mixité insulaire, la beauté des paysages et les indolences. Tout est rendu de façon fragile, tantôt subliminale, tantôt évocatrice. Ce n’est pas pour rien que Saint John Perse a été prix Nobel de littérature.

Il se dégage de ces textes une force qui vient de la nature, qui vient de la profonde influence de ces communautés humaines insulaires, de ces échanges gardés au fond du cœur au fil des années. Et ce langage en devient universel comme des vagues qui se brisent sur le rivage. Le ressac mâche et remâche les mots, et laisse sur le sable ces traces éphémères qui elles seules peuvent rendre compte de l’harmonie du monde.
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Vents / Chronique / Chant pour un équinoxe

Saint-John Perse à son sommet...



- RELECTURE -

Lors d'une séance de dédicace (merci aux éditions Attila !) la semaine dernière, le grand Jacques Abeille a eu cette belle phrase (en substance) : "C'est seulement au fil des années que l'on réalise la chance d'avoir été baigné aussi bien par Saint-John Perse que par Frédéric Dard".



On ne saurait être plus d'accord... et grâce au grand styliste, une irrépressible envie de relire du Saint-John Perse, mon poète favori, de loin, des années lycée / prépa - et souvent relu ensuite -, m'a saisi.



Avec "Vents" en 1945-46, le souffle épique est à son apogée sans doute, plus fort que dans "Anabase" que j'eus la chance de disséquer jadis avec un autre grand styliste, Jean-Marc Agrati, et moins précieux peut-être que dans le redoutable "Amers". L'ironie, saine, y a aussi fait son apparition, discrètement.



"C'étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,

De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte,

Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,

En l'an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !



Flairant la pourpre, le cilice, flairant l'ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,

Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d'athlètes, de poètes,

C'étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,

Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses..."



"Au chant des hautes narrations du large, elles promenaient leur goût d'enchères, de faillites ; elles disposaient, sur toutes grèves, des grands désastres intellectuels,

Et sur les pas précipités du soir, elles instituaient un nouveau style de grandeur où se haussaient nos actes à venir ; (...)



Elles infestaient d'idées nouvelles la laine noire des typhons, le ciel bas où voyagent les beaux édits de proscription, (...)"



Avec "Chronique" en 1959-1960, au moment de la réception du prix Nobel, on est dans la conclusion de l'œuvre (il n'y aura que le presque bizarre "Oiseaux" ensuite).



"« Prédateurs, certes ! nous le fûmes ; et de nuls maîtres que nous-mêmes tenant nos lettres de franchise – Tant de sanctuaires éventés et de doctrines mises à nu, comme femmes aux hanches découvertes ! Enchères aux quais de corail noir, enseignes brûlées sur toutes rades, et nos cœurs au matin comme rades foraines... (...)



« Nous n'avons point tenure de fief ni terre de bien-fonds. Nous n'avons point connu le legs, ni ne saurions léguer. Qui sut jamais notre âge et sut notre nom d'homme ? Et qui disputerait un jour de nos lieux de naissance ? Éponyme, l'ancêtre, et sa gloire, sans trace. Nos œuvres vivent loin de nous dans leurs vergers d'éclairs. Et nous n'avons de rang parmi les hommes de l'instant. (...)



« Grand âge, nous voici. Rendez-vous pris, et de longtemps, avec cette heure de grand sens."



Toujours aussi étonnante, toujours aussi inspiratrice, cette poésie d'une force extraordinaire continue à irriguer les sens et l'intelligence des lecteurs et des écrivains.

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Anabase

De nos jours, Saint-John Perse est plus célébré que lu. Une admiration qui confinait à la bigoterie (le Nouvel Obs titrait à sa mort « L'éclipse du soleil ») a cédé la place aux travaux académiques sur la langue, l'image, la métrique ou l'inspiration. Mais aussi à la critique mesquine du monument que Perse s'est élevé dans la Pléiade (un article anonyme du Point titrait en 2015 : « Pléiadisé vivant, le chef-d'oeuvre mythomane de SJP »). Or il faut lire Perse, et particulièrement Anabase.



Anabase est publiée en 1924, l'année du manifeste du surréalisme. André Breton voyait en Perse un « surréaliste à distance », mais les deux hommes ne se sont pas rencontrés. Alexis Leger, diplomate aguerri, se tenait à l'écart de toute école, et surtout d'une influence aussi invasive que celle de Breton. Je présume que Breton appréciait la provocation adolescente d'Éloges : « Un chien vivant au bout d'un croc est le meilleur appât pour le requin » « La tête de poisson ricane entre les pis du chat crevé qui gonfle, vert ou mauve ? » « Ceux qui sont vieux […] boivent des punchs couleur de pus » ; ou encore ses non-sens sonores à la Lewis Carroll : « Les gomphrènes, les ramies, l'acalyphe à fleurs vertes et ces piléas cespiteuses qui sont la barbe des vieux murs s'affolent sur les toits » (p 36, 45, 48 et 49, la pagination est celle de la Pléiade).

Anabase est le premier poème qu'Alexis Leger signe Saint-John Perse. le titre sonore est emprunté à deux Anabases antérieures, deux épopées dont le lieu est la Perse, l'Anabase de Xénophon (l'expédition des Dix Mille) et celle d'Arrien (l'épopée d'Alexandre). le poète affirme que cette proximité — Anabases, Perse — est un hasard (p 1108) ; peu importe. Il écrit entre deux longs silences. Il s'était tu pour gagner son pain après Eloges en 1911. Il se retire de la littérature après Anabase pour se consacrer au Quai d'Orsay, et ne revient à l'écriture qu'en 1940, après sa déchéance de la nationalité française par Vichy et son exil aux États-Unis.



L'oeuvre est belle, nette et donne du sens. La beauté d'Anabase ne se commente pas, elle s'éprouve à la lecture. Sa netteté vient de l'éviction du sentimental, du pittoresque, du contingent. Elle expose à l'effort. le lecteur de Perse doit s'investir dans sa lecture, comme celui des poètes officiels du 20e siècle : Valéry écrit que la poésie est « la capture et la réduction des choses difficiles à dire » (Variétés p 1500) ; Char annonce que « Certains jours il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire » (p 632). Perse, paraphrasant Héraclite, écrit dans Amers : « Ils m'ont appelé l'Obscur et j'habitais l'éclat » (p 283). Il s'en explique au banquet Nobel : « La poésie n'est pas souvent à l'honneur. L'obscurité qu'on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d'éclairer, mais à la nuit même qu'elle explore, et qu'elle se doit d'explorer : celle de l'âme elle-même et du mystère où baigne l'être humain » (p 443). Beauté, netteté et don du sens. Anabase, dit Perse, « a pour objet le poème de la solitude dans l'action » (p 1108). J'y trouve deux thèmes profonds, l'enthousiasme et le désir.



Le titre même d'Anabase évoque la montée de l'esprit, le retour aux sources, la chevauchée victorieuse. Anabase est un enthousiasme, au sens originel de transport divin. C'est une utopie, une uchronie, d'où Perse a effacé toute référence mythologique, historique ou géographique pour lui donner une valeur universelle, hors du temps et du lieu. On peut deviner un récit, une progression dans le poème, mais c'est un récit sans fin, fait d'impulsions, de pauses, de retours, de nouveaux départs, la spirale d'un souffle originel, d'un tohu-bohu. Flux matériel, flux spirituel, flux du temps, on sait par Héraclite que ces flux sont synonymes et irréversibles : on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve. Dans Exil, Perse fait de ce flux enthousiaste son art poétique : « Ha ! comme un gonflement de lèvres sur la naissance des grands Livres, Cette grande chose sourde par le monde et qui s'accroît soudain comme une ébriété. Cette chose errante par le monde, cette haute transe par le monde, et sur toutes grèves de ce monde, du même souffle proférée, la même vague proférant Une seule et longue phrase sans césure à jamais inintelligible… » (p 126). Les cris répétés de Solitude ! des chants IV et V d'Anabase sont encore des cris d'enthousiasme. Cent ans plus tôt, on aurait crié Liberté ! Pour ce sentiment glorieux d'indépendance, mais en 1924 le romantisme est mort depuis longtemps et la liberté dévaluée. « Solitude ! Je n'ai dit à personne d'attendre… je m'en irai par là quand je voudrai… Et l'Etranger tout habillé de ses pensées nouvelles se fait encore des partisans dans les voies du silence : son oeil est plein d'une salive, il n'y a plus en lui substance d'homme. Et la terre en ses graines ailées, comme un poète en ses propos, voyage… » (p 101). Cet enthousiasme est vital, nécessaire, et même péremptoire. le poète condamne violemment l'abandon, la délectation morose, l'acédie : « L'odeur puissante m'environne. Et le doute s'élève sur la réalité des choses. Mais si un homme tient pour agréable sa tristesse, qu'on le produise dans le jour ! et mon avis est qu'on le tue, sinon il y aura une sédition » (p 96) « Ceux-là qui en naissant n'ont pas flairé de telle braise, qu'ont-ils à faire parmi nous ? et se peut-il qu'ils aient commerce de vivants ? » (p 102).



Le désir est partout dans Anabase, dès le premier chant : « J'aviverai du sel les bouches mortes du désir ! Qui n'a, louant la soif, bu l'eau des sables dans un casque, Je lui fais peu de crédit au commerce de l'âme » (p 94). Ce désir est violent : « La terre vaste à mon désir, et qui en posera les limites ce soir ?... La violence au coeur du sage et qui en posera les limites ce soir ? » (p 96). Shlomo Elbaz affirme que le désert est le lieu du désir (les Hébreux au désert, la tentation du Christ). S'il y a un désert dans Anabase, il a aussi les mers et les fleuves, et les migrations, les villes et les foules, et dans ces foules, les hommes qui s'individualisent dans la joie des sens : « Ha ! toutes sortes d'hommes dans leurs voies et façons […] Celui qui tire son plaisir du timbre de sa voix, celui qui trouve son emploi dans la contemplation d'une pierre verte ; qui fait brûler pour son plaisir un feu d'écorce sur son toit ; qui se fait sur la terre un lit de feuilles odorantes, qui s'y couche et repose ; […] celui qui mange des beignets, des vers de palme, des framboises ; […] ou bien encore celui qui mâche d'une gomme fossile, qui porte une conque à son oreille, et celui qui épie le parfum de génie aux cassures fraîches de la pierre ; celui qui pense au corps de femme, homme libidineux » (p 112). L'érotisme est présent dans tout l'oeuvre de Perse. Dans Anabase : « Sous quelles mains pressant la vigne de nos flancs, nos corps s'emplissent d'une salive, Et dans nos corps de femmes, il y a comme un ferment de raisin noir », il peut être dalinien : « ah ! que l'acide corps de femme sait tacher une robe à l'endroit de l'aisselle ! ah ! que la langue du lézard sait cueillir les fourmis à l'endroit de l'aisselle ! » Il est réaliste dans Neiges (p 201) : « Et c'est ruée encore de filles neuves à l'An neuf, portant, sous le nylon, l'amande fraîche de leur sexe ». Il est métaphore d'Héraclite dans Amers : « Ô femme prise dans son cours, et qui s'écoule entre mes bras comme la nuit des sources, qui donc en moi descend le fleuve de ta faiblesse ? M'es-tu le fleuve, m'es-tu la mer ? Ou bien le fleuve dans la mer ? M'es-tu la mer elle-même voyageuse, où nul, le même, se mêlant, ne s'est jamais deux fois mêlé ? » (p 347-8). Anabase s'achève ainsi : « Et ce n'est point qu'un homme ne soit triste, mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d'un vieil arbre, appuyé du menton à la dernière étoile, il voit au fond du ciel à jeun de grandes choses pures qui tournent au plaisir […] Et paix à ceux, s'ils vont mourir, qui n'ont point vu ce jour » (p 117).



Tout cela est interprétation. Comme un acteur interprète une pièce, ou un pianiste une sonate, le lecteur d'un poète difficile s'engage et interprète : « J'écris la moitié d'un poème et le lecteur écrit l'autre » disait Valéry (Cahiers). Dans notre siècle tenté par un retrait hostile, il faut lire celui qui écrit « Ouvre ta paume, bonheur d'être… » (Amers p 341) : il nous donne une formidable confiance dans le réel et dans la présence des autres vivants.



Impressions nouvelles à la troisième lecture. le texte m'a semblé plus court, signe d'une plus grande familiarité. L'intention me paraît claire, au contraire des exégètes qui lisent dans le poème de multiples intentions contradictoires. Saint Léger quitte la contrainte matérielle, intellectuelle et hiérarchique de la diplomatie et prend un congé sabbatique pour rentrer de Pékin à Paris à cheval. Image liminale du poulain. Les cris répétés de Solitude ! en IV et V sont des cris d'enthousiasme. Cent ans plus tôt on aurait crié Liberté ! pour ce sentiment glorieux d'indépendance, mais en 1924 le romantisme est mort et la liberté est dévaluée. Plénitude devant des paysages extrêmes, déserts ou peuplés à sa guise d'hommes puissants des confins, réminiscence des ambassades, ou de foules bigarrées, explosion de la diversité humaine (ha ! toutes sortes d'hommes dans leurs voies et façons). Enfin un érotisme discret est omniprésent, sans la longueur et l'insistance d'Amers (1957) : (ah ! que l'acide corps de femme sait tacher une robe à l'endroit de l'aisselle !).



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