Si vous deviez un jour visiter Rome, ou si vous avez la chance d’y résider, je ne saurais trop vous recommander de vous lever une fois aux aurores pour observer comment le jour nouveau transforme la cité, la faisant passer du monochrome de la nuit aux nuances rougeoyantes que le soleil parvient à donner à cette pierre remarquable. Ensuite vous verrez ces couleurs devenir plus profondes, jusqu’à virer quasiment au violet, avant de se changer, en fin de journée, en un or mat. On dit que Rome possède la plus belle palette de couleurs qu’une ville peut avoir, et je ne vois rien à redire à cela.
Nous vivons à l'ère du poison sous toutes ses formes. Toutes les grandes maisons emploient quelqu'un comme moi (Francesca l'empoisonneuse) pour se protéger, ou bien punir un ennemi pour l'exemple, si nécessaire. La vie est ainsi faite. Le trône de Saint-Pierre ne saurait être épargné puisque pour ces mêmes maisons il s'agit de la place suprême à occuper, et que pour se faire elles sont prêtes à se battre telles des chiens de meute rendus fous par l'odeur du sang.
...j'étais l'empoisonneuse du cardinal Borgia en personne, l'un des hommes le plus craint de toute la chrétienté.
Un homme soumis à la torture dirait n’importe quoi pour faire cesser les horreurs qu’on lui inflige, mais cela ne signifie pas que ses aveux soient nécessairement faux pour autant.
Qu’ils disaient vrai lorsqu’ils prétendaient être plus rusés qu’elle. Que ce qu’ils lui avaient donné à mettre dans le vin passerait bien inaperçu. Et pourtant elle l’avait détecté, cette femme qui se penchait maintenant au-dessus de lui pour le scruter. Il en tremblait de peur, et pria pour ne pas mouiller son pantalon. Il en était réduit à cela : s’il vous plaît mon Dieu, faites que je ne me pisse pas dessus.
Les abeilles, les plus étonnantes des créatures de Dieu, bien plus que l’Homme lui-même. Elles travaillent dur, avec zèle et abnégation pour atteindre le but qu’elles se sont fixé. D’autre part, elles présentent certains comportements fascinants. Par exemple, de retour à la ruche, une abeille se pose parfois juste devant et se lance dans ce qui apparaît comme une danse complexe, dont les pas exacts varient selon le but recherché, d’après moi. En voyant cela, les autres abeilles quittent la ruche, souvent dans la même direction d’où venait la première.
— Je vois…, dit la femme. Elle traversa lentement la pièce pour regarder par la petite fenêtre qui donnait sur le fleuve. Le clair de lune éclaira son visage. Elle était jeune, plutôt agréable d’apparence, mais n’avait rien de remarquable dans une ville où la beauté était monnaie courante. C’est ainsi qu’elle n’aurait suscité qu’un éphémère intérêt, sans tous ces bruissements de voix qui semblaient se déclencher à son passage où qu’elle aille.
— Et tu n’as jamais su leurs noms ? demanda-t-elle.
L’homme qui était sur le point de mourir secoua la tête
— La plupart des gens ne feraient pas la différence entre leur cul et leur coude, répliqua Vittoro.
Il se tourna tout de suite vers moi et ajouta :
— Pardonnez-moi, Donna, je ne suis qu’un vieux soldat qui a son franc-parler.
Je lui serrai la main, sentant mes yeux s’embuer de larmes.
— Ne t’excuse pas, Vittoro, et pour l’amour du ciel, arrête de me vouvoyer et de m’appeler Donna. Je suis autant une dame que toi.
Les deux hommes éclatèrent de rire, davantage pour relâcher la pression que pour mon trait d’esprit, à l’évidence.
L’homme qui était sur le point de mourir secoua la tête. Il était agenouillé sur le parquet en simple chemise, car il allait se coucher lorsqu’elle était arrivée. Le matin venu, à l’ouverture des portes de la ville, il se serait échappé en prenant la route vers le nord et Viterbe. Mais il était trop tard à présent.
Il serrait si fort ses mains devant lui que les articulations en étaient devenues blanches.
— J’espère au moins que tu as été grassement rétribué, lança-t-il. As-tu conscience qu’en agissant ainsi, c’est ta vie que tu as monnayée ?
La voix du condamné se cassa.
— Je savais que c’était risqué.
— Mais tu as cru… qu’as-tu cru, au juste ? demanda la femme. Que tu serais plus malin que moi ? Que je ne me rendrais compte de rien avant qu’il ne soit trop tard ?
— J’espérais…