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Critiques de Sarai Walker (131)
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Les Voleurs d'innocence

La malédiction des sœurs Chapel.



« Les sœurs Chapel: /d’abord elles sont mariées/ Puis elles sont enterrées. »



Ce roman à résonance gothique est génial! Un page-turner qui vous accapare jusqu’à la dernière page.

L’histoire débute au Nouveau Mexique en 2017 mais c’est surtout dans les Années 50 que le récit se déroule, au Village de Bellflower aux États-Unis.

On va suivre l’étrange et tragique histoire des 6 sœurs Chapel, aux prénoms de fleurs, frappées par une terrible malédiction. Chacune possède un talent artistique et vit dans une demeure victorienne en forme de « gâteau de mariage » avec leur père, un célèbre fabricant d’armes souvent absent, et leur mère Belinda qui ne semble pas avoir toute sa tête car persécutée par des fantômes la nuit.

Recluse dans son boudoir à l’air empoissonné, assaillie par le parfum « écœurant » des roses annonciateur d’une naissance ou d’un malheur, elle finira sous traitement afin de « débarrasser les corridors hantés de son cerveau dérangé ». Mère fantasque et extralucide, elle a gardé un lien avec le monde des esprits en raison des circonstances qui ont entouré sa naissance.



Tout commence avec le mariage d’Aster la fille aînée. Prise d’un mauvais pressentiment sa mère annonce que si Aster se marie elle se condamne à une mort imminente. Personne à part Iris ne prend au sérieux ses avertissements. La prophétie se réalisera pourtant et annoncera le début d’une succession de tragédies troublantes et violentes liées à l’engagement amoureux. « Il faut fuir » selon les supplications de sa mère mais peut-on fuir son destin? Peut-on SE fuir ?



Dans les couloirs du manoir familial là où des rires d’adolescentes devraient résonner une atmosphère bien plus pesante prend peu à peu le contrôle de la maisonnée. L’aile des filles se videra progressivement.

Le « Toc toc » fréquent aux portes et fenêtres est-il vraiment le fait de spectres persécuteurs ou d’hallucinations auditives ?

C’est Iris la cinquième sœur qui nous relate leur étrange histoire qu’elle a consignée dans des carnets secrets. Elle est la plus déterminée à prendre son destin en main et conjurer le sort.

Luttant pour ne pas devenir comme sa mère dont elle a hérité le 6 ème sens, elle combat ses visions de la mariée sans tête et ses propres prémonitions.



C’est un roman subtil et métaphorique sur la condition féminine, sur l’émancipation de la femme, sa place dans le couple. Il y est aussi question d’amour et d’amour sororal puissant.



Une pincée d’irrationnel, une louche de mystère et de terreur latente, une poignée d’envoûtement, une larme de romantisme, une bonne dose de suspense et voilà l’ambiance au manoir en forme de « gâteau de mariage » et de ce roman irrésistible.
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Les Voleurs d'innocence

" Il était une fois, dans les années 1950 six jeunes filles aux doux prénoms de fleurs- Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel " .

On est en Amérique et leur père dirige l'entreprise florissante d'armes à feu, Chapel. Leur mère est "folle." Lorsque l'aînée sera sur le point de se marier, ce qui était le point culminant de la " carrière" d'une femme à l'époque, leur mère aura une vision : aucune des filles Chapel, ne survivra à une union...

Et la première des filles meurt, comme annoncé...

Oh, je ne dis rien qui ne soit dévoilé dés le début, Iris sera la seule à survivre et , quand on fait sa connaissance au début du roman, c'est une vieille dame, qui a fuit, la maison de son enfance, en forme de "gâteau de mariage" et qui est devenue une peintre célèbre...



S'inspirant vaguement de la vie et de la légende de Sarah Winchester pour la mère, et de la peintre Georgia O'Keeffe pour les oeuvres d'art omniprésentes dans ce roman, l'autrice, dont c'est le premier roman, fait une entrée fracassante dans le monde de la littérature. Tout d'abord , elle est publiée par la prestigieuse maison d'édition Gallmeister, et puis, parce que ce roman est très original. de style gothique et donc, immensément mystérieux, faisant référence à des poétes comme Emily Dickinson, mêlant littérature et peinture habilement, il est également très poétique avec cette profusion de noms de fleurs, qu'elles soient oeuvres d'art ou prénoms des filles Chapel...

C'est un roman qui a une vraie ambiance, une atmosphère propre qui plaira à certains lecteurs, et qui ne plaira pas à d'autres, qui ne se satisferont pas de ces morts inexpliquées, de tous ces mystères et qui en ressortiront frustrés ! Moi je me situe entre les deux, et je comprends les deux points de vue, mais la beauté de l'écriture, et son originalité ont davantage fait pencher la balance vers le positif . Certains aussi verront de l'illogisme dans cette malédiction car les femmes n'y meurent pas toutes de la même façon...

Tout n'est que symboles dans cette histoire qui peut faire penser par instants à un conte cruel "pour enfants"...

Les hommes y sont vus comme des menaces, que ce soit à travers le mariage et l'acte sexuel qui en découlera... Seul l'amour entre femmes est décrit de façon positive et poétique... Leur maison est dans le style architectural de" gateau de mariage" et sera au fil des décés : mortifère, étouffante, sentira le renfermé...Le père, de part son entreprise, est perçu comme un vecteur de mort, et celle de ses filles sera comme un retour de karma...



Poésie, peinture, fleurs, années 50, homosexualité, sororité, folie : si vous aimez le mystère , ce roman gothique vous tend les bras...

Sarai Walker sera une autrice à suivre...
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Les Voleurs d'innocence

Les hommes aiment les pistolets et les femmes aiment les fleurs...

Les hommes tuent les femmes avec le symbole phallique de l'arme à feu et les blessent avec un pénis. Les femmes sont délicates comme des petites Asters, des Roses, des Callas, des Daphnés, des Iris et des Hazels, qui aiment les pâtisseries, le parfum, les bagues de fiançailles, la poésie, le dessin et surtout elles saignent !!! (les règles, l'hymen percé)

Si ce roman paraît quelque peu cliché, il parvient tout de même à séduire.



***



Belinda ne voulait pas se marier car sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère sont mortes en couches. Elle ne se projette pas dans cette vie maritale. Mais la société dans laquelle, elle grandit, ne lui laisse pas beaucoup de choix, si elle ne veut pas finir sous un pont. Elle épouse un fabricant d'armes à feu et ne mourra pas en couche, car elle donnera naissance à six filles.

Six filles qui naîtront sous le joux d'une malédiction étrange...

Iris, seule survivante, nous conte son histoire...



***



Personnellement, j'ai été assez rapidement captivée par les histoires de toutes ses femmes. On pourrait trouver redondant le côté stéréotype homme/femme (et la seule qui s'en sort est celle qui ne se marrie pas), mais contextualisons l'époque, cela se passe en 1950, une époque qui n'est pas la mienne et j'ai été charmée par l'écriture de Sarai Walker, par cette touche fantastique et son imagination symbolique apportée. (Les femmes ne sont jamais crues).



***



J'avais déjà aimé Dietland même si je trouvais que son premier roman avait quelques maladresses (elle s'éparpillait), mais j'ai adoré certaines de ses phrases, la plaçant ainsi dans les auteurs à suivre.
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Les Voleurs d'innocence

Imaginez, un gigantesque gâteau de mariage, structure, couleur, fleurs, tout y est.



Prenez un énorme couteau, vous découpez une belle tranche et à l’intérieur, 8 personnes, Belinda, la maman, Henry , le père et leurs six filles, Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris, celle qui nous conte cette histoire et Hazel surnommée « Zelie ». Vous avez la famille Chapel au complet.



Cette immense bâtisse victorienne, située à Bellflower Village, semblait sortie tout droit d’un conte de fées, où six magnifiques princesses attendaient le prince charmant, seul le mariage pouvait les libérer de cette prison. Dans les années 1950, pas d’études pour les femmes, elles étaient nées pour agrandir la famille et prendre soin de leur mari.



Ce n’est pas une histoire à raconter aux jeunes filles qui allaient se marier.

« Les sœurs Chapel :

D’abord elles sont mariées

Puis elles sont enterrées »



La première à se marier, est bien sur Aster, l’aînée, l’ordre est respecté.

« J’essaie de me remémorer cette semaine précédant le mariage afin de vous la décrire (vous – qui êtes-vous, exactement ?). Mais j’ai enfoui cette époque dans ce que ma sœur Calla appelait « l’abîme de mon esprit ». Imaginez-le : un endroit froid et solitaire, des asphodèles poussant dans les fissures du béton, un bruit d’eau gouttant au loin, une porte qui grince.

Emily Dickinson a écrit qu’il n’y a pas que les maisons qui sont hantées, mais que le « cerveau regorge de corridors ». C’est vrai. Et les miens débordent. L’abîme de mon esprit – tous ces corridors hantés, selon la façon dont vous voulez le décrire – contient des éclats de verre brisé éparpillés sur tout le sol. J’attrape un tesson et je dépeins ce que je vois, puis je le repose.

Cette histoire a des arêtes déchiquetées, pourrait infliger de profondes blessures. Ce n’est pas une histoire que je peux raconter avec du fil et une aiguille, cousue à petits points bien nets. Ce sont des tessons ou rien. »



Un nuage sombre, planait sur cette maison, Belinda la mère, ne s’occupait jamais de ses pétales (filles), comme elle les surnommait, elle était hanté par des visions, elle entendait des voix, apercevait des fantômes, tués par des fusils Chapel, une entreprise florissante dont son mari était l’héritier. Ces armes avaient servis dans différents conflits. Elle hurlait toutes les nuits et prédisait la mort de ces filles à chaque mariage. On disait qu’elle était malade, folle.



Un beau mariage, pour la première des filles. Mais à peine est-elle mariée, que le lendemain de ses noces, elle meurt mystérieusement, laissant sa famille en état de choc. Puis la deuxième connaît le même sort. Quel malheur pèse sur les Chapel ? Une tension extrême règne sur les sœurs restantes, le chagrin, la peur, les questions. Elles sont maudites par des événements qui ont eu lieu dans la famille de leur mère et transmises par les femmes enceintes, sur plusieurs générations.



Iris, la cinquième, va tout faire pour échapper à ce funeste destin, elle est décidée à survivre, mais quel choix a-t-elle ?



Un récit puissant, un suspense qui monte au fil des pages, le parfum des roses, y tient une place très importante, l’ambiance est haletante et sombre. J’ai beaucoup aimé.

Gallmeister, une très belle maison d'édition.

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Les Voleurs d'innocence

- Dans la famille Chapel, je demande la fille !

- Laquelle, elles sont six.

- Ah oui, c'est vrai. Hé bien, l'aînée...

- Donc celle qui se mariera la première.

- C'est une façon de voir les choses...

- Donc celle aussi qui mourra la première...

Là je ne savais plus quoi répondre, je me suis alors souvenu d'un coin paumé des États-Unis où à la fin des années cinquante, des enfants avaient inventé une comptine :

« Les soeurs Chapel :

D'abord elles sont mariées

Puis elles sont enterrées. »

Je suis entré dans l'univers des soeurs Chapel comme on entre dans un immense gâteau de mariage. Les voleurs d'innocence raconte une histoire dont la désinvolture et l'innocence des premières pages pourraient s'apparenter à un conte de fée.

Ces six jeunes filles ont des prénoms de fleurs. Venez dans le jardin, je vais vous les présenter, de l'aînée jusqu'à la cadette : Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel. auraient pu connaître le bonheur ; mais la réalité a été toute autre.

Progressivement, le récit va se transformer en un conte cruel...

L'histoire se déroule sur une courte période, celle des années 1950. Pourtant le roman débute en 2017, au Nouveau-Mexique. Sylvia Wrenn une célèbre artiste plasticienne et peintre déjà âgée, - elle doit avoir près de quatre-vingt ans, reçoit un jour d'une journaliste une lettre énigmatique lui demandant de la rencontrer. Pour l'en convaincre, elle évoque ce qu'elle prétend savoir : Sylvia Wrenn ne serait autre qu'Iris Chapel, seule rescapée de l'hécatombe de cette fameuse sororie de six filles... Sylvia Wrenn ne prête pas d'intérêt à cette sollicitation. Cependant, elle se souvient...

Nous sommes dans le Connecticut, précisément à Bellflower Village, dans les années 1950. La famille Chapel est très riche. le père, Henry Chapel, est propriétaire de la célèbre entreprise Chapel Firearms, qui fabrique des armes à feu et des munitions. La famille habite une énorme bâtisse victorienne ressemblant à un gâteau de mariage. C'était déjà comme un présage. En fait, elle est un exemple parfait d'un style architectural de l'époque qu'on désignait ainsi. Et une aile entière de cette maison est dédiée aux six soeurs qui vivent dans une harmonie digne d'un jardin fleuri.

Vous voyez, c'est presque comme un conte de fée...

Ah ! Je ne vous ai pas parlé de la mère, Belinda, passionnée par la végétation et un peu étrange. C'est là que le conte de fée commence à se fissurer. Déjà que la mère déteste les roses, elle en est même allergique... On apprendra vite pourquoi... Elle semble hantée par le poids d'un passé qui l'étouffe... Mais surtout, le jour où Aster annonce ses fiançailles, alors que les cinq autres soeurs jubilent, sautent de joie, maman Belinda évoque l'idée d'une malédiction. Se marier serait pour Aster le chemin assuré vers la mort... Vous imaginez le froid...

Alors la comptine des enfants de Bellflower Village m'est revenu comme quelque chose d'entêtant et de maléfique.

Dans ce destin inexorable qui appelait chacune de ces soeurs au mariage, l'une après l'autre, comme un chemin si bien construit par avance, tout aurait pu être beau, joyeux, magique. Elles étaient destinées à des existences conformes à la norme dans des chemins attendus, tracés sans vague jusqu'à la mort. Il n'en fut rien. Bien sûr j'ironise, car c'était un chemin sans rêve, sans vraie joie aussi, sans autre alternative surtout... Une prison aux barreaux dorées. Certaines s'en réjouissaient, d'autres s'en contentaient, d'autres...

Alors j'ai vu brusquement, dans ce récit qui m'a happé dès les premières pages, quelque chose de saisissant, qui prend à la gorge et transforme le conte de fées en vision horrifique d'une certaine société.

Ici les hommes n'ont pas le beau rôle, non pas qu'ils soient des voyous, des méchants, des salauds, non c'est bien plus insidieux, ils sont peut-être eux aussi conçus et programmés pour s'engager dans ce chemin où ils auront tout simplement le beau rôle. Ils ont même parfois le privilège selon le rang qu'ils occupent de cueillir en ce jardin les plus belles fleurs...

Et dans ce roman, ces hommes sont cela, enfermés, condamnés, muselés dans une vision patriarcale, le père, les jeunes époux l'un après l'autre, les garçons d'honneur, même le médecin venant constater le drame à chaque fois...

Sarai Walker est d'un regard sans concession pour dire la condition d'une époque, une société américaine malade de son patriarcat, elle se saisit d'un procédé narratif qui l'empêche cependant d'être manichéenne, sentencieuse, donneuse de leçons et c'est ici que réside la forme éblouissante du roman...

Qui plus est, fleurs parmi les fleurs, des citations d'Emily Dickinson, Walt Whitman, Percy Bysshe Shelley... enrichissent le texte.

Ode à la sensibilité, à la grâce, à la poésie, à la peinture... l'amour entre les femmes s'ouvre brusquement un jour comme une révélation pour la narratrice qui cherche dans ce fracas morbide une faille pour s'échapper...

J'ai trouvé dans ce roman une écriture incroyablement addictive qui nous emporte dans un souffle résolument féministe. La plume de Sarai Walker est belle, fluide, fait mouche avec beaucoup d'à propos, dispose d'un pouvoir capable de prolonger l'histoire au-delà des dernières pages, comme un écho lancinant...

Les voleurs d'innocence, c'est un roman gothique, envoûtant et douloureux, qui se dévore comme un gâteau de mariage, ou même un gâteau ordinaire, tant qu'à faire, quitte à être gourmand...

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Les Voleurs d'innocence

Elles sont six, six enfants au prénom de fleurs, un si beau bouquet que pourtant la malédiction familiale menace. Leur mère a perdu sa propre mère lors de sa naissance et celle-ci avait vécu le même sort. Pour cette génération de jeunes filles, le destin frappe beaucoup plutôt, le jour même de leur mariage. Les prédictions de la mère, que seule Iris, la quatrième de la fratrie semble comprendre, n’y feront rien.



Certes le propos est sombre et pourtant on est rapidement happé par cette histoire qui renvoie à la manière d’un conte à une réflexion sur le sort des femmes, au coeur du vingtième siècle. N’est-ce pas une sorte de petite mort que de se retrouver confinée entre quatre murs, fussent-ils richement garnis, pour œuvrer dans l’ombre des homme s qui accomplissent leur destin, délestés des charges du quotidien ?





J’ai aimé les portraits de ces jeunes filles et l’ambiance parfois à limite du fantastique.



La deuxième partie est très différente, tant dans le contenu que la forme. Il est sans doute difficile de terminer une telle histoire. Mais le propos reste intéressant.



C’est un récit très féministe, dont la tendance est d’accuser le monde masculin de tous les maux que subissent les femmes, au point de ne leur reconnaître qu’une utilité accessoire



« Je n'ai jamais laissé beaucoup de place aux hommes dans ma vie, mais il est utile d'en avoir dans les parages lorsqu'il faut porter les objets lourds »



Belle découverte que ce roman écrit à la manière d’un conte, dont le décor rend racine dans notre passé récent.



Merci à l'équipe des Bibliomaniacs pour leur podcast consacré à ce roman, et qui m'a donné envie de le découvrir





624 pages Gallmeister 24/08/2023

Traduction Janique Jouin-de Laurens

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Les Voleurs d'innocence

J'ai aimé ce livre pour son ambiance prenante et envoûtante qui serpente de manière vénéneuse dès la première page dans la demeure aux allures de serre de Bellflower dans le Connecticut des années 50.



J'apprécie particulièrement les histoires autour des maisons et Bellflower ne m'a pas déçue. La bâtisse est un personnage à part entière minutieusement décrite dans son architecture austère, le décor vintage des pièces à vivre ou à ne pas y mettre un pied.



La vie d'alors avec ses codes et ses carcans où la femme était réduite à son rôle domestique est marquante dans le roman. Ce poids d'une époque baigne dans une atmosphère particulière, presque étouffante et étouffée par l'innocence des adolescentes mises en danger par leur désir de mariage avec ses mirages d'une nouvelle liberté.



L'autrice américaine Sarai Walker magistralement traduite par Janique Jouin-de-Laurens dresse un portrait saisissant des 6 soeurs Chapel avec un soin du détail pour chacune d'entre elle qui les différencie toutes dans leur caractère et leurs passions.

Les 6 soeurs sont véritablement incarnées et très liées entre elles comme si elles avaient vraiment existées. La mère des jeunes filles inspirée de la légende de Sarah Winchester, héritière de l'industrie des armes à feu est à la fois diaphane et oiseau de mauvais augure.



C'est le personnage d'Iris, l'une des soeurs rescapée devenue vieille dame qui raconte plusieurs années après dans un « je » implacable nous plaçant derechef au coeur de l'histoire d'une lignée de femmes se heurtant à la loi des hommes et au surnaturel.



Une belle oeuvre littéraire  au message clairement féministe.
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Les Voleurs d'innocence

Elles sont six sœurs au fond de l’océan et chaque année, l’une atteint sa majorité et a le droit de monter à la surface voir le monde des hommes.

Ou presque.

Elles ne vivent pas sous l’eau mais dans une énorme demeure victorienne, labyrinthique, symbole de la fortune familiale basée sur la vente d’armes.

La demeure est entièrement ornée de fleurs par leur mère un peu cinglée – et prophétesse de malheur.

Et prophétesse assez clairvoyante, car en effet aller voir le monde des hommes... c’est mortel.

Les critiques de mes camarades m’avaient plu au point de me précipiter sur ce roman, "gothique et féministe".

J’en attendais trop, peut-être.

J’ai trouvé le côté gothique un peu léger, et l’aspect féministe un peu superficiel également.

Ceci dit, ça se laisse lire, certaines images recèlent une vraie inspiration.

"J’ai enfoui cette époque dans ce que ma sœur Calla appelait "l’abîme de mon esprit". Imaginez-le : un endroit froid et solitaire, des asphodèles poussant dans les fissures du béton, un bruit d’eau gouttant au loin, une porte qui grince."

Délicieusement gothique, celle-ci, n’est-ce pas ?

Ou celle-ci : "Notre maison biscornue avait toujours été une île, mais (…) on aurait dit que notre parcelle de terrain avait fini par se détacher du reste du Connecticut pour flotter vers la mer."

Alors oui, l’écriture peut être inspirée… mais pas toujours.

J’ai trouvé bien longuets les descriptions de repas, de tenues, les passages tels que "Elle posa la tasse et la soucoupe sur le guéridon près du vase en verre goutte d’eau rempli de callas jaunes."

Puisqu’on est chez un marchand d’armes, l’autrice aurait pu relire avec profit ce que Tchekhov dit des fusils.



Traduction de Janique Jouin-de Laurens.



Challenge USA : un livre, un État (Connecticut)
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Les Voleurs d'innocence

À travers ses tableaux, Sylvia Wren est devenue l’une des artistes américaines les plus importantes de l’Histoire.

Mais qui connaît vraiment cette femme mystérieuse et recluse qui refuse toutes les demandes d’interviews ?

Quelque part au Nouveau-Mexique, Sylvia reçoit une lettre qui va la bouleverser. Une lettre d’une journaliste qui a découvert un secret soigneusement et profondément enfoui sur sa vie.

Et si Sylvia Wren n’avait pas toujours été Sylvia Wren ?

Voilà comment débute le prologue de ce roman de 600 pages signé par Sarai Walker et qui nous est vendu dès la quatrième de couverture comme un page-turner gothique absolument captivant par le New York Times.

Sous ses dehors floraux, l’ouvrage publié par Gallmeister et traduit par Janique Jouin-de Laurens, cache un parfum fantastique aussi vénéneux que fascinant, comme un serpent au milieu du jardin d’Éden.

L’autrice de Dietland quitte rapidement le Nouveau-Mexique pour le Connecticut et le Bellflower Village : bienvenue dans la demeure de la famille Chapel !



Filles de bonne famille

Changement de lieu et changement d’époque puisque la confession de Sylvia Wren nous transporte dans les années 50 sous la plume d’Iris Chapel, avant-dernière fille de la richissime famille Chapel… et véritable nom de notre artiste du Nouveau-Mexique.

Iris est donc l’une des héritières de l’immense fortune des Chapel construite sur la vente de fameuses carabines Chapel. Une chose qui horrifie sa mère, Belinda Chapel, mais qui ne semble pas accabler plus que cela son père, Henry Chapel.

Iris vit dans une immense demeure en forme de gâteau de mariage en compagnie de ses cinq sœurs : Aster, Rosalind, Calla, Daphne et Zelie.

La plus âgée, Aster, rencontre Matthew, un jeune homme de bonne famille qui la demande rapidement (et logiquement) en mariage.

Tout pourrait se poursuivre comme la chronique ordinaire d’un monde pris dans l’ambre, comme hors du temps. Celle d’une Amérique fière et souriante où l’argent appelle l’argent.

Mais Sarai Walker en a décidé tout autrement.

La famille Chapel conserve un secret, un secret intimement lié à Belinda Chapel, la mère de cette joyeuse et resplendissante petite famille.

Belinda est hantée, elle voit des fantômes, en réalité les victimes des armes à feu produites par son mari.

Alors que le mariage approche, Belinda sent que quelque chose d’horrible va se produire… et tout vire au cauchemar.

Les voleurs d’innocence n’a pas prévu d’emprunter des chemins évidents et préfère le flou et la brume pour noyer sa narration.

Le fantastique s’installe doucement, discrètement, comme un bruit à votre porte alors que la nuit s’épaissit.

Et si Belinda n’était pas folle ?



L’atmosphère qui vous colle à la peau

Cet énorme roman, véritable petit Everest où se collisionne Emily Dickinson, Sarah Winchester et Georgia O’Keefe, ne devrait pas vous effrayer par son nombre de pages. À l’instar d’un autre pavé, Notre Part de Nuit de Mariana Enriquez, l’aventure d’Iris Chapel se dévore sans pouvoir se lâcher. Sarai Walker vous prend au piège dès son prologue bourré de mystères et de pistes à moitié avouées.

Pendant plusieurs centaines de pages, vous voici plongé dans l’Amérique des années 50 d’un point de vue purement féminin, aux côtés d’une jeune fille qui va progressivement comprendre que le monde qui l’entoure, dirigé par des hommes pour des hommes, est certainement l’élément le plus effrayant et nocif de sa propre réalité.

Nous allons suivre les morts mystérieuses des sœurs Chapel et c’est Iris qui nous guide autant que faire se peut, car elle-même n’a pas toutes les clés, elle-même hésite encore sur ce que fut sa jeunesse et les traumatismes qu’elle renferme.

Avant toute chose, Les voleurs d’innocence est un pur roman d’ambiance gothique, une sorte de petit miracle qui arrive à marier à la perfection un fantastique constamment sur le fil et une narration dense comme un témoignage d’une extrême précision de toute une époque.

Sarai Walker excelle à dépeindre cette immense bâtisse qui abrite les Chapel et à en faire à la fois un refuge et une prison, un lieu de vie et un lieu de mort. Le malaise insidieux qui se diffuse dans le récit d’Iris n’est pas uniquement dû au background savamment étudié de cette période mais c’est surtout la façon de confidences et les doutes qui rongent notre narratrice qui rend le tout d’une sincérité confondante.

Iris Chapel est un personnage de fiction absolument fabuleux… comme l’est sa mère dès ses premières apparitions.

Double fictionnel d’une certaine Sarah Winchester, Belinda Chapel est une femme hantée, une mère hantée. Elle est surtout et avant tout un portrait de femme du XXème siècle aux États-Unis absolument bluffant, criant de vérité, formidablement touchante et tranchante dans sa tristesse profonde. Car, inutile de vous le cacher plus longtemps, Les voleurs d’innocence n’est pas juste un roman de fantômes qui murmurent des choses terribles sur votre avenir, c’est surtout un roman de femmes.



Sororité nouvelle

Sarai Walker imagine une sororité prise au piège d’une époque où la femme reste un objet décoratif, quelque chose que l’homme utilise pour son plaisir et pour l’enfantement, pour le mariage et pour habiter les demeures trop grandes et poussiéreuse. On comprend que le pire ici n’est certainement pas l’évocation de créatures surnaturelles ou de sinistres visites nocturnes, mais bel et bien la vie qui attend ces jeunes femmes qui n’ont guère que le mariage pour horizon, enfants et bons repas à cuisiner en prime. C’est le gouffre qui sépare l’enfance et les liens qui unissent les six sœurs d’avec cette vie qu’on leur promet qui va activer le processus voulu par l’autrice. Cette vision terrible qui réduit la femme à une condition triste et dégradante, non seulement illustrée par l’histoire de Belinda mais bien sûr par la tragédie inexplicable qui va toucher toutes les filles Chapel…sauf une.

Cette exception, bien évidemment, c’est Iris. La seule qui choisit de croire sa mère, la seule qui choisit de la considérer sérieusement au lieu de la cataloguer comme folle ou hystérique et de l’enfermer dans un asile qui n’a même pas la décence de porter ce nom. Iris, qui n’aime pas les hommes et qui veut autre chose qu’un mariage ou une vie rangée.

Au fond, Les voleurs d’innocence est un (r)éveil à la conscience, un éveil à soi d’une jeune fille qui choisit d’affronter son sexe, son désir et son avenir.

C’est une artiste qui comprend que l’art ne doit pas être un tableau banal de plus mais quelque chose qui doit vous sortir les tripes, vous mettre à genoux, vous faire hurler, pleurer, aimer.

Car qu’est-ce qu’une vie sans amour ? Qu’est-ce qu’une vie passée à sentir des roses que l’on déteste ? Qu’est-ce qu’une vie passée dans les bras d’un homme que l’on aime pas ? Qu’est-ce qu’une vie passée dans l’ombre et rejetée dans la folie ?

La puissance du récit de Sarai Walker s’explique par la rage qui l’habite, une rage qui n’est pas brandit sans raison, une rage qu’elle arrive à mettre en forme au cours d’une histoire incroyable et vibrante d’émotions.

Opposant la violence des hommes, de leurs guerres, de leurs fusils, de leurs bombes et les espoirs, la poésie, la beauté de ces jeunes femmes que l’on formate à devenir des épouses avant de les voir disparaître, littéralement.

On pourrait arguer que le roman n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il cultive le doute entre le surnaturel et le réel, entre le fantôme au pied du lit et les pierres tombales du jardin. Mais ce qu’on retiendra surtout, c’est la toute puissance d’une narration d’une maîtrise implacable dans le suspense et dans sa façon de passer un message féministe radical en faisant revivre toutes ces sorcières du passé brûlées ou muselées qui préféraient simplement regarder le ciel.



Les voleurs d’innocence est un piège mortel pour le lecteur comme pour les sœurs Chapel, le genre d’œuvre qui vous retient quelque part entre le réel et l’irréel, hantant vos nuits pour longtemps une fois l’histoire terminée. Un chef d’œuvre.


Lien : https://justaword.fr/les-vol..
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Les Voleurs d'innocence

Il était une fois six soeurs au prénom de fleur qui vivaient dans une maison gâteau de mariage, avant de n'être plus que Cinq, puis quatre, puis trois… comme dans tout conte de fées, le coup du sort n'est jamais bien loin, ici sous la forme d'une étrange malédiction : chaque soeur qui se mariera, en mourra dès le lendemain. Cette triste prédiction, lancée non pas par une sorcière, mais par Belinda, la mère des soeurs Chapel, que tout le monde croie complètement folle, se vérifiera dès le mariage d'Aster, l'aînée, puis avec celui de Rosalind, neuf mois plus tard.



Avant cette double tragédie, la vie n'était déjà pas simple dans le gâteau de mariage, comme les soeurs Chapel surnomment leur maison, une bâtisse victorienne à pignons et encorbellements alambiqués. Leur mère, qui subit sa vie maritale et maternelle, tout en restant traumatisée par la mort de sa propre mère alors qu'elle était bébé, vit comme une recluse fantômatique ; leur père, qui dirige une entreprise d'armes à feu, ne s'occupe pas plus de ses filles, qui vivent ainsi complètement repliées et livrées à elles-mêmes. Comment alors continuer à vivre, quand le seul espoir de sortir de cette ambiance délétère et de connaître l'amour, c'est-à-dire le mariage (nous sommes dans les années 50), vous est refusé ?

Vaste question dont la réponse sera donnée par Iris, la seule survivante de cette histoire (je ne divulgue rien, on l'apprendra assez rapidement), dont le salut tiendra à un changement d'identité, pour mieux mettre son passé à distance et réaliser ses rêves.



Dès que les premières critiques de ce roman sont sorties sur Babelio, j'ai su que ce roman était fait pour moi ; et mes attentes n'ont pas été déçues parce que j'ai adoré ce roman !

Pourtant, c'est un roman assez lourd, dont la tristesse et la douleur évidentes, omniprésentes, sont renforcées par l'ambiance gothique régnant dans le gâteau de mariage. Certains critiques ont fait un lien avec les soeurs Lisbon de « Virgin Suicides », ce qui n'est pas faux, tant la mélancolie latente de ce groupe de soeurs dont l'horizon est rétréci est identique, de même que les questions liées au passage à l'âge adulte, à la découverte de ses désirs et à un féminisme, ici assez ardent.



En effet, le rôle que les hommes peuvent jouer dans la malédiction des Chapel est assez clair, celui que le mariage et la maternité ont sur les femmes aussi, rétrécissant toute ambition, tout rêve, toute liberté, comme l'autrice ne cessera de le marteler tout au long de son texte. La seule solution ? La fuite, l'affranchissement du carcan patriarcal dans lequel les femmes s'enferment d'elles-mêmes, voire même la prise de distance avec l'hétérosexualité.



« Les voleurs d'innocence » est ainsi un magnifique roman sur un apprentissage de la liberté, qui ne pourra se faire qu'à un prix très élevé. Sa mélancolie et sa douleur latentes, qui infusent des parfums délétères, rendent la lecture parfois irrespirable mais également assez envoûtante. Il m'a été impossible de me détacher du destin impossible de ces soeurs dont la pulsion de vie se fait au détriment de la logique et de la raison, comme des papillons de nuit attirés par la lumière qui les brûlera pourtant. Il en résulte un roman vénéneux, sombre, à la beauté hors norme, au plaisir de lecture rare.
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Les Voleurs d'innocence

Certains livres dégagent une fragrance particulière. Celui ci a tous les atouts pour ça en mettant en scène les six sœurs Chapel prénommées respectivement Aster, Rosalind, Calla, Daphné, Iris et Hazel.

Un bouquet que n'aurait pas renié Emily Dickinson tant l'hommage rendu à la poétesse herboriste est assumé.

Sarai Walker offre un roman tout en parfums et couleurs dans l'Amérique des années 50. Les jeunes filles ressemblent à des bonbons acidulés et, quand elles ne se parent pas, elles rêvent d'un mari viril et ombrageux et d'un foyer avec frigo et aspirateur.

Les filles Chapel vivent en huis-clos dans l'immense et baroque demeure familiale, fleuron des armements Chapel dont la célèbre carabine a assuré la postérité tant sur les théâtres de guerre que sur les plateaux hollywoodiens.

Image idyllique de cette Amérique en plein essor industriel où chaque jour amène son lot de progrès et d'avenir radieux.

Pourtant, il plane un autre parfum sur ce livre. Un parfum ombrageux, mystérieux, incarné par Belinda, la mère, silhouette solitaire et lointaine qui fraie plus souvent avec les morts qu'avec les vivants.

L'air de rien, l'auteure distille la tragédie quand, le lendemain de ses noces, Aster, l'aînée, décède dans une scène digne de Rosemary's baby.

Et il n'en restait plus que cinq...

Rosalind à son tour s'éprend d'un homme, l'épouse et meure dans des circonstances similaires.

Il n'en restait que quatre et le cimetière de la propriété est loin d'être repu.

L'immense qualité de ce roman est de traiter de l'étrange sans jamais basculer dans le glauque ou l'horreur.

J'ai pu lire le terme gothique pour qualifier cette œuvre. Pour ma part, et loin des couleurs sombres et sataniques de ce mouvement culturel, c'est du côté de Mary Shelley que j'ai retrouvé de franches influences, et notamment dans la question de la quête compulsive de la conquête masculine.

Parce qu'à la fin, ne m'est restée qu'une seule et centrale question. Qui sont ces voleurs d'innocence si ce n'est les hommes en admettant que l'innocence soit à priori une vertu féminine?

Féministe, ce roman l'est inconditionnellement, mais avec subtilité et intelligence. Si les hommes y sont pour la plupart décrits comme des machos autoritaires, le contexte de l'époque ne permettait pas aux femmes la moindre propension à l'hystérie sous peine d'enfermement.

Bref. C'est un livre passionnant, protéiforme, que j'ai dévoré avec avidité et délices. Étonnée à la fin de ne garder qu'une seule odeur, celle d'une tubéreuse, capiteuse, entêtante et vaguement inquiétante.
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Les Voleurs d'innocence

Henry Chapel est l'héritier de l'entreprise Chapel, célèbre pour ses armes utilisées au cours des différents conflits nationaux et mondiaux. « Voilà sur quoi reposait la réussite de la famille Chapel : la mort massive. » (p. 271)



Belinda Chapel crie aux fantômes toutes les nuits et craint l'avenir. « Il est plus facile de dire que les femmes comme ma mère sont folles. Dans ce cas-là, inutile de les écouter. Et alors, peut-être que dans un sens elle est devenue folle. Elle ne pouvait communiquer en hurlant. » (p. 541)



Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel sont les six filles de la famille Chapel. Tour à tour, le lendemain de leur mariage, et comme l'avait prédit leur mère, elles meurent. « Pour nous, ce n'était pas la maison qui était hantée, mais Belinda elle-même. J'ai grandi en pensant que notre mère était hantée et, comme mes sœurs et moi avions toutes vécu à l'intérieur d'elle durant neuf mois, je me demandais si nous étions aussi hantées. » (p. 73) Seule Iris prête foi aux annonces de sa mère. Seule Iris essaye de sauver ses sœurs et de se sauver elle-même, au prix du plus grand des sacrifices.



Entre malédiction familiale et prophétie autoréalisatrice, Sarai Walker a écrit une merveille de raffinement gothique et de sophistication lugubre. J'ai dévoré ce texte en quelques heures, avide de connaître les destinées scellées des filles Chapel. Une tenace et écœurante odeur de roses a accompagné ma lecture... « Elle ne découvrirait jamais la véritable histoire, impossible à connaître pour quiconque en dehors de la famille Chapel. Et qui reste-t-il des Chapel pour la raconter ? Personne. » (p. 28) Le point d'orgue de ce roman magistral est la réflexion finale sur l'identité et l'héritage des femmes artistes.
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Les Voleurs d'innocence



Voilà un roman féministe qui n’emprunte pas au militantisme vulgaire ni pédagogique, ni victimisant ou accusateur.

Non, il est factuel et va bien plus loin : les hommes tuent les femmes.

Point, à la ligne.

À travers l’histoire d’une famille frappée par le destin, l’autrice passe en revue les contraintes et les interdictions posées aux femmes : responsable-esclave du foyer, un corps qui ne lui appartient pas, le viol caché derrière le devoir conjugal, l’impossibilité de faire des études, et j’en passe.

Elle a l’intelligence placer son récit dans les années 1950, de lui donner une forme légèrement fantastique et de faire parler son personnage, se libérant de toute responsabilité dans les propos. C’est très habile.

Iris, la narratrice, est en proie à de nombreux sentiments contradictoires qui ouvrent la réflexion du lecteur. Je souhaite du reste que les hommes lisent ce roman, pas seulement les femmes qui par nature seront attirées par cette épopée tragique qui parle si bien d’elles.

Si l’ambiance est désespérément mélancolique, l’orientation est résolument optimiste.

Ce roman est une réussite, j’espère qu’il émergera dans cette rentrée littéraire toujours aussi foisonnante.





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Les Voleurs d'innocence

Elle a passé plus de temps à fuir son passé qu’à vivre entouré de sa famille. Elle a cherché pendant soixante ans à repousser les fantômes et les voix qui murmurent à son oreille. Elle a effacé les images de ses sœurs, leurs sourires, leurs cris et cette terre retournée sur leurs tombes. Elle a rejeté le monde de Belinda, celui des esprits et des prédictions. Mais aujourd’hui, tout cela la rattrape. Elle ne veut plus lutter et elle sait qu’elle va devoir accepter qui elle est, et l’avouer au monde…

Les voleurs d’innocence de Sarai Walker est un roman envoûtant. Avec une écriture fine, travaillée, rythmée, l’auteur nous entraine au cœur d’une famille frappée par les deuils, les morts soudaines et les fantômes qui rôdent. C’est une confrontation entre deux mondes, celui du visible de l’invisible, celui des hommes et des femmes, celui des forts et des faibles, celui de l’amour et de la vie. C’est aussi une ode au corps, à l’art, à la liberté.

C’est à Bellflower Village, au cœur du Connecticut, dans une grande maison en forme de gâteau de mariage, que l’on rencontre la famille Chapel. Elles sont six sœurs, unies par l’art, la lecture, la nature. Elles comptent les unes sur les autres et les aînées font office de mère, puisque la leur reste cloitrée dans sa chambre, en proie aux esprits des victimes des armes qui portent leur nom. A cette époque, dans les années 50, les femmes n’ont de place qu’une fois mariée, en tant qu’épouse, mère et gestionnaire du foyer. Alors, chacune rêve de ce prince charmant…

Aster, l’aînée, est la première à mourir. Soudainement, le lendemain de ses noces. Belinda l’avait prédit mais personne n’écoute une femme qui prête plus d’attention aux fantômes qu’à ses filles. Seule Iris succombe à son univers et entend ses peurs, ses angoisses et ses visions. Quatre autres sœurs vont mourir d’aimer. Mais comment vivre sans amour ? Pour chacune d’elle, il ne sert à rien de résister si c’est la solitude et l’isolement qu’on leur promet…

Iris ne veut pas de cette vie. Elle veut fuir, se couper du monde, sans aucun contact avec les hommes. Elle veut peindre, oublier cette famille, prendre soin de Lola, la femme qu’elle aime. Elle rejette le destin qu’on lui prédit, elle veut trouver sa place en tant que femme, artiste, amoureuse.

Les voleurs d’innocence est le chant, ou plutôt le cri d’un être abandonné de tous, qui refuse qu’on lui impose des règles de vie, qui aspire au calme de ce monde et qui attend patiemment de retrouver les esprits de ses sœurs et de sa mère, enfin apaisée…

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Les Voleurs d'innocence

Qu'est-il arrivé aux sœurs Chapel, six jeunes filles au destin tragique ?



Recluse dans sa demeure du Nouveau-Mexique, Sylvia Wren peintre émérite et reconnue, vit jusqu'ici une existence secrète et paisible. Aujourd'hui âgée, celle-ci partage son temps entre son métier passion et son amour pour sa compagne. Mais c'était sans compter la curiosité d'une journaliste...



Au cours d'un dîner mondain et à travers l'indiscrétion d'une vieille dame un peu éméchée, la journaliste apprend que la célèbre Sylvia Wren serait une des sœurs Chapel. L’unique survivante d'une malédiction par laquelle toutes ses sœurs seraient mystérieusement mortes. Déclinant les interviews tout au long de sa carrière, la réponse à la journaliste ne fait pas exception. Mais qui est véritablement Sylvia Wren ? Qui se cache derrière la plus célèbre peintre américaine ?





Remontant le fil de ses souvenirs, le masque se fissure, le déni craquelle pour enfin laisser exprimer sa vérité.





Gothique et sororal, Les voleurs d'innocence de Sarai Walker est sans conteste un des romans les plus puissants de la rentrée littéraire 2023. À la fois sombre et fascinant, on se laisse volontiers embarquer par les souvenirs de Sylvia Wren/Iris Chapel pour qui le destin frappe tragiquement sa famille. Du moins les femmes. Entre tragédie ou malédiction, là est la question.





Si les femmes semblent tomber comme des mouches à leur mariage, il faut y voir ici la condition malheureuse d'une vie domestique moralement imposée. Eminemment féministe, ce roman aux airs de Virgin Suicides et des Noces Rebelles; pour lequel l'autrice fait d'ailleurs référence en fin d'ouvrage; se distingue par son ambiance envoûtante, lui conférant le statut de page-turner.





Mystérieux et vénéneux, on étouffe peu à peu sous le poids et l'odeur des fleurs dont ces sœurs portent les prénoms, comme le long pourrissement inhérent à leur sort. Avec une langueur et une moiteur qui colle à la peau, leur désir d'émancipation inconscient s'oppose à la violence des hommes et leur aptitude à soumettre.





Captivant et impressionnant, le roman de Sarai Walker dénonce avec brio le piège de la société patriarcale et la malédiction d'être une fille. Vibrant de poésie et d'émotions, oscillant entre le réel et le fantastique, Les voleurs d'innocence est incontestablement une toile dans laquelle je suis tombée avec plaisir. Un vrai coup de cœur !





Avec une traduction maitrisée et des références picturales et littéraires à foison, ce roman est une pépite à laquelle vous ne pourrez échapper.
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Les Voleurs d'innocence





A contre-courant des contes de fées, Sarai Walker imagine un roman gothique où les jeunes femmes meurent lorsqu'elles perdent leur virginité. Le mariage, loin d'être l'aboutissement d'une série d'épreuves et d'une belle histoire d'amour, devient alors l'ultime halte.

"Cela aurait dû être le premier jour du reste de leur vie. Au lieu de cela, c'était le dernier"



Dans une demeure fastueuse, surnommée le "gâteau de mariage" vivaient six jeunes filles à marier. C'est du moins le destin prévu dans les années 1950 pour les riches héritières aux prénoms de fleurs, de la famille Chapel qui a fait fortune dans le commerce des armes.

Le travail des femmes n'est pas envisageable à cette époque, surtout dans les classes les plus aisées où les femmes servent à donner des héritiers à leurs époux et à présenter une image de la famille parfaite.

Sauf que M. Chapel, dans sa précipitation à trouver une épouse, a fait le mauvais choix en épousant Belinda qui le déteste : "Je n'ai jamais aimé ton père ; pas même bien aimé. Je n'aimais pas son visage, ou sa façon de parler, ou son odeur, rien chez lui. J'ai pleuré pendant des jours avant le mariage."



Belinda est présentée comme une mère mentalement perturbée, fille et petite-fille de femmes mortes pendant l'accouchement, affectée d'une sensibilité exacerbée qui lui fait croire que la maison est hantée par ceux qui sont morts à cause des armes de la famille.

Cette maison de conte de fées, dont les chambres sont décorées de grappes de fleurs peintes, habitées par des jeunes filles exubérantes  ne ressemble pas pour elle à celle du Dr March et de sa famille, mais à une demeure lugubre payée au prix du sang.

Pour ce personnage, Sarai Walker s'est inspirée de Sarah Winchester, qui, devenue veuve et héritière du fabricant d'armes, se consacra à la construction d'une maison pour accueillir les fantômes des victimes des armes Winchester.

C'est sur elle que repose l'atmosphère gothique qui infuse dans le roman alors qu'elle déambule dans ses longues robes blanches, parle aux fantômes, semble ignorer l'existence de ses filles ou au contraire prononce des avertissements sinistres.



En jouant avec les codes de la littérature gothique, l'auteure jongle également avec les propositions freudiennes de l'hystérie féminine.

Pour la société patriarcale et rationnelle de 1950, la folie est la seule hypothèse plausible et le corps des femmes le seul responsable.

"Pour lui, je le savais, la mort de mes sœurs avait l'aura de quelque chose de strictement féminin et par conséquent honteux. Parler de ce qui s'était passé aurait été comme discuter de sexe ou de menstruations ou de choses que l'on n'abordait pas très souvent en public, ni d'ailleurs en privé, du moins à cette époque. Ce qui était arrivé à mes sœurs était donc devenu un sujet tabou. "



Entre créatures surnaturelles et communication avec les morts, s'ajoute cette part d'implicite qui transforme Belinda en féministe opprimée . Ce qui n'est pas dit à propos de Belinda est immédiatement perçu par les lecteurs. Le monde des hommes est systématiquement associé à la violence, d'abord parce qu'ils fabriquent et utilisent les armes pour tuer, mais aussi parce qu'ils se livrent à des actes de violence sur le corps des femmes pour les soumettre.

On sait que le mariage lui a été imposé, que ses talents d'artiste n'ont servi qu'à décorer les chambres des filles et qu'elle n'a pas développé d'instinct maternel. On devine aisément que chacune des filles est née du viol de Belinda par son mari, à cette époque où les femmes ne pouvaient pas disposer de leur corps. Comment mesurer le désespoir de cette femme dont les talents ont été sacrifiés et à qui on a imposé des fonctions qu'elle ne voulait pas assumer ?

Les confidences faites à sa fille témoignent de sa répulsion au cours des relations sexuelles imposées et de son sentiment de dépossession et de spoliation.

" Tu ne comprends pas ce qu'est réellement le mariage. Comment, une fois mariée, tu appartiens à un homme et cesse d'être toi-même."





Le mari, les médecins, les fiancés des filles représentent une société patriarcale , qui ne considère pas la parole des femmes et la musèle à la moindre tentative de libération en la sanctionnant par l'enfermement.

La fuite est l'unique solution pour Iris. Elle survit grâce à sa haine des hommes mais ceux-ci la condamnent à l'internement. Non seulement elle était réceptive aux avertissements de sa mère, mais elle a suivi ses préconisations et a affirmé son identité.

Iris devenue artiste, homosexuelle et sans enfants incarne la revanche de sa mère.



Sarai Walker a déclaré s'être inspirée de l'artiste Georgia O'Keeffe pour la fausse biographie de Sylvia Wren, notamment pour l'érotisme de ses fleurs. Dans le roman, contrairement au modèle, la dimension sexuelle est totalement revendiquée. Dans la dernière partie, Sylvia/ Iris évoque ses toiles érotiques en rendant hommage à Lola "qui est le seul corps de femme que je connais en dehors du mien, mon paysage favori. Elle et notre histoire d'amour sont exposées dans des musées du monde entier."

De même elle date la découverte de sa sexualité, et de son inspiration artistique, d'un dessin de sa sœur Daphné qui avait représenté le sexe de son amie Veronica sous la forme d'un iris.



Calla, l'une des six sœurs, déclare que le sang et la douleur sont le destin des femmes, et plus encore de celles de la famille. Sa sœur lui répond : " Te frotter à la tige d'une rose ne t'endormira pas, te frotter à celle d'un homme, si."

Après la mort des deux sœurs aînées, la malédiction familiale semble admise par les survivantes qui ont conscience que la première relation sexuelle leur sera fatale. Malgré cela, la question se pose pour les sœurs comme pour l'auteure en un clin d'œil amusé à ceux qui l'accuseraient d'ostracisme envers les hommes : " C'est quoi, une vie sans amour ?"















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(In)visible

J'ai découvert ce roman avec la série prénommé Dietland. Une séquence m'a fait réfléchir sur quelque chose que je n'avais jamais réalisé avant. J'ai donc voulu lire le roman pour savoir s'il était plus complet dans la réflexion.

J'invite TOUTES les femmes à lire ce roman. Il n'est pas parfait, il est inégal dans son contenu, ce n'est pas le roman féministe du siècle... Mais en dépit de quelques maladresses et quelques hésitations de fond, j'ai été encouragée à reconsidérer certaines de mes pensées : peu importe que l'on soit grosse, laide, jolie, mince, maigre, nous serons chosifiées par une grande partie de la population masculine. En lisant (in)visible, j'ai repensé à Virginie Despentes qui dit que souvent après avoir vécu un viol ou une agression sexuelle, on s'enlaidit pour passer inaperçu: "Post-viol, la seule attitude tolérée consiste à retourner la violence contre soi. Prendre vingt kilos, par exemple. Sortir du marché sexuel puisqu'on a été abîmée, se soustraire de soi-même au désir. En France, on ne tue pas les femmes à qui s'est arrivé, mais on attend d'elles qu'elles aient la décence de se signaler en tant que marchandise endommagée, pollué."

Mais ses mots de Despentes, concernent les femmes comme moi. Des femmes qui se sont enlaidies dans le but de ne plus attirer la gente masculine. Qu'en est-il de celles qui ont toujours été en dehors des critères de beauté depuis toute petite? Celles qui n'ont jamais côtoyées les Hommes? Quel regard ont-elles sur nous? Ce qu'elles croient sur nos rapports avec les Hommes? Croient-elles que les Hommes nous traitent comme des princesses? Que nous sommes plus respectées? Et c'est cela que j'ai adoré, lorsque la protagoniste réalise en fait que le problème ne vient pas de son poids mais des Hommes en général, de toute l'hypocrisie patriarcale.

Autre citation, celle tirée du roman de Sarai Walker, que je vous partage car JE L'ADORE. Cette citation, est devenue presque symbolique, je la partage à chaque fois que j'aborde la misandrie naissante de ce siècle (il faut bien comprendre que les féministes ne sont pas misandres, mais que la misandrie née probablement d'un féminisme qui n'est pas écouté, d'un féminisme que l'on veut taire, d'un féminisme dont on se moque).

Voici la citation :"Jennifer est la conséquence d'une certaine forme de terrorisme. Dès l'enfance, les petites filles sont éduquées dans la crainte de l'homme néfaste. Nous sommes terrifiées à l'idée que ce monstre nous harcèle, nous viole, ou pire, nous assassine. Incapables de différencier les bons des mauvais, nous en arrivons à nous méfier de tous les hommes. de fait, on déconseille aux femmes de sortir seules la nuit, on leur impose des tenues vestimentaires appropriées, on leur interdit de parler aux inconnus, on leur reproche d'être trop séduisantes, etc. Sans oublier les cours d'autodéfense, les pailles anti-GHB, les bombes lacrymogènes et les sifflets antiviol. Nous vivons dans la peur constante d'être attaquée par les hommes. Ne s'agit-il pas d'une forme de terrorisme?" Peur de prendre le train, peur de sortir le soir, crainte d'être harcelée selon ce qu'on porte, crainte de ce qu'on pourrait mettre dans notre verre, peur de rencontrer un homme qui nous bat ou pire, etc... Les femmes vivent dans la peur comme en temps de Guerre? Et comment pouvons-nous répondre à cette peur? N'avons-nous pas toutes eu ce rêve de révolution pour en finir avec cette peur? Cette peur qui n'est pas écoutée, ou parfois moquée, cette peur qui est si souvent dénigrée ou même omise, n'est-elle pas celle qui fait naître la haine des hommes dans le coeur de ses femmes qui ne sont jamais prise en compte?

Si vous voulez savoir comment les femmes de ce roman répondent à cette peur, je vous encourage à lire ce roman.

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Les Voleurs d'innocence

Sarai WALKER. Les voleurs d’innocence.



Ce roman narre une saga familiale et se déroule aux Etats-Unis des années 1950 jusqu’à nos jours, dans le Connecticut, à Bellflower village. Henry Chapel, fabricant et marchand d d’armes a épousé Belinda Holland. Ils ont conçu six filles en neuf années. Toutes portent en guise de prénoms de noms de fleurs : Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel « Zélie. ». Ces six filles vont connaître un destin tragique.



Je regrette beaucoup d’avoir lu la quatrième de couverture. En effet, elle nous annonce la tragédie vécue par cette fratrie. Une seule réussira à échapper à ce fatal destin, vu et proféré par la mère. Cette dernière est victime d’hallucinations, de prémonitions et malheureusement elle n’annonce à tous que des faits réels.



Eliza L. Mortimer, journaliste réalisatrice de documentaire écrit à Sylvia Wren, afin de réaliser un reportage sur sa carrière. Cette dernière peint et réside à Abiquiu, dans le Nouveau-Mexique. Cette femme peintre célèbre et de talent, vit retirée du monde et n’apparaît jamais lors de ses nombreuses expositions mondiales , ni à la télévision, ni dans la presse et ne donne aucune interview. Pour Eliza, elle est un véritable fantôme. Personne ne la connaît. Une avocate de New York régit son patrimoine et une personne de confiance pilote gère le quotidien. Qui est donc Sylvia Wren et pourquoi fuit-elle le monde, vivant recluse dans une demeure, avec Lola, sa compagne ? Très sollicitée par Eliza, elle va, sur des petits carnets livrer son existence. Elle est une survivante des filles Chapel. Et la lignée s’éteindra à son décès. Elle est célibataire et n’a pas d’enfant. Elle a fui sa famille lors de la mort de sa plus jeune sœur...



Avec beaucoup d’empathie, elle nous dévoile le destin funeste des filles Chapel. Quelle malédiction pèse sur ses jeunes femmes. Rose, la mère de Belinda, Dollie, mère de Rose, Alma, mère de Dollie, toutes ses femmes sont décédées à la naissance de leur enfant. Belinda éprouve des phénomènes paranormaux, annonçant le sort que vont subir ses filles. Cette femme, incomprise, mal aimée par son époux subira un triste sort. Tout au long de son récit, Sylvia « Iris » nous plonge dans un univers pesant, angoissant. La famille vit dans une demeure lugubre : l’architecture de cette résidence ressemble à un énorme « gâteau de mariage » avec dôme de glaçage dégoulinant de son sommet. L’héroïne nous fait partager le quotidien de cette riche famille. Nous participons aux préparatifs de mariage des filles qui en se mariant espèrent échapper au funeste destin promis par leur mère. Chaque « fille-fleur » a une personnalité propre, un caractère bien trempé et désire trouver le bonheur auprès d’un époux qu’elle choisit. Nous sommes pris dans un engrenage, désirant connaître la destinée de ces jeunes filles, avides de liberté…



Une fois que nous avons commencé ce livre, nous ne pouvons plus le lâcher. Il nous faut connaître le dénouement. Patience, chaque chose en son temps…Mais quel sera le chemin emprunté par Iris pour s’esquiver et mener une vie normale ? i Je vous conseille de lire ce roman fantastique. Je l’ai adoré. Il est bien construit.L’écriture est agréable, fluide. La traduction est très certainement fidèle aux propos délivrés par l’autrice. Merci à Janique Jouin-de Laurens. Je vous souhaite à tous une bonne journée et de belles lectures à partager.

( 07/11/2023).
Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Les Voleurs d'innocence

Maudites de génération en génération ? Voilà comment pourrait se résumer « Les voleurs d’innocence ». « Notre lignée maternelle est un collier enroulé si serré autour de notre cou qu’on ne peut pas respirer. » Dans la famille Chapel des années 1950, une femme prénommée Belinda donne naissance à six enfants qui porteront toutes un prénom de fleurs : Aster, Rosalind, Calla, Daphne, Iris et Hazel. Une douceur qui contrebalance avec les activités qui font la richesse de la famille : la vente d’armes, car Chapel est aussi le nom d’une marque d’armes à feu qui enorgueillit le chef de famille. Toutes les femmes de la famille sont décédées en couche, sauf Belinda Chapel qui semble porter sur ses frêles épaules le poids de ce terrifiant héritage familial et s’illustre par un comportement étrange : des visions, des prémonitions, et une existence terrée dans ses appartements de la propriété dite « le gâteau de mariage » « Les voleurs d’innocence » s’ouvre sur la voix de Sylvia Wren (Iris) en 2017, artiste mondialement connue qui vit loin du monde, calfeutrée dans sa maison au Nouveau-Mexique. C’est elle qui va raconter l’histoire de sa famille et revenir sur ses souvenirs d’enfance et les drames qui ont jalonné l’histoire familiale.





Dans « Les voleurs d’innocence », autre temps, autres mœurs : une femme des années 50 doit se marier, faire des enfants et s’occuper de son foyer. Elle ne sert à rien d’autre. C’est d’ailleurs le rêve d’au moins cinq des filles Chapel pour s’échapper du gâteau de mariage en faisant d’une pierre deux coups : fuir un père absent et une mère fantomatique. Paradoxalement, ce modèle de femme (foyer, enfants) n’est pas celui transmis à ces jeunes filles par leur mère qui affiche clairement sa désapprobation devant le mariage. De plus, elle a donné naissance à six filles sans y laisser la vie, c’est déjà un exploit vis-à-vis de l’héritage familial, on ne va pas lui demander en plus de s’en occuper ! « Belinda prétendait détester le gâteau de mariage, pourtant, elle le quittait rarement, restant à l’intérieur, coupée du monde, parcourant les couloirs, dans sa longue robe blanche, vivant dans un univers de filles, de fleurs et d’esprits. » Les six sœurs s’élèvent sans que jamais leur mère ne participe à leur éducation, prenne de grandes décisions les concernant ou soit présente aux importants rendez-vous de leurs existences. « Elle n’avait jamais vraiment guidé ses filles, n’avait jamais essayé de nous pousser dans aucune direction, la plus grande part de son énergie étant dépensée pour sa propre survie, jour après jour. » Connaissant la « malédiction » familiale, il est très étonnant que les filles veuillent suivre le schéma classique, mariage, enfants, foyer. Leurs prénoms symbolisent tous des êtres éphémères, fragiles, comme si elles pouvaient disparaître dans un simple souffle de vent.





« Les voleurs d’innocence » pourraient être l’expression consacrée aux hommes qui viennent ravir le cœur de ces jeunes femmes. Dans l’ensemble, les hommes du roman sont des êtres peu sympathiques. Ils se marient facilement, par confort, sans vraiment connaître la femme qu’ils épousent et cela est aussi vrai pour le couple parental. Le mariage est la seule question dont Belinda se mêle réellement, elle dont la mère Rose, et la grand-mère Rose (encore des prénoms de fleurs) n’ont pas survécu au premier accouchement. Comment ses filles pourraient-elles délibérément avoir envie de prendre un tel risque ? « Tu ne comprends pas ce qu’est réellement le mariage. Comment, une fois mariée, tu appartiens à un homme et cesses d’être toi-même. » Par une simple prémonition à voix haute, Belinda Chapel met en garde ses filles du sort qui les attend. « J’ai l’impression que quelque chose d’horrible va se produire. (…) ce que je veux dire, c’est… (…) Le mariage va provoquer quelque chose d’horrible. Je ne sais pas quoi exactement mais je crois qu’il faudrait réfléchir à le repousser. » Malheureusement, considérée comme folle, recluse en elle-même autant que dans ses appartements, elle est peu écoutée. Elle vit à l’intérieur d’elle-même, écoute ses intuitions et devine le parfum des roses inhérent à chaque promesse d’une nouvelle catastrophe.





Les traumatismes et malédictions se transmettent de génération en génération dans « Les voleurs d’innocence ». À cela s’ajoute un élément rapporté que j’ai trouvé extrêmement judicieux de placer dans le roman : la vente des armes. La famille Chapel est en effet à la tête d’une très grosse usine de fabrication d’armes ce qui contribue à intensifier une certaine « pollution morale » qui flotte sur le gâteau de mariage tel un nuage noir porteur d’une condamnation certaine. « C’est ainsi que notre famille gagnait de l’argent, après tout : guerre, meurtre, suicide, massacre d’animaux. Aussi macabre que ce fût, la carabine Chapel était néanmoins une précieuse icône américaine, et mon père possédait des photographies de lui en compagnie du général John J. Pershing et du président Franck D. Roosevelt. » Assurément, les activités professionnelles ne contribuent pas à asseoir une forme de sérénité sur la famille et pour Belinda c’est un élément supplémentaire pour attirer le malin. Cependant, l’art vient adoucir les épreuves de la vie et les douleurs du quotidien. Sarai Walker évoque de nombreux artistes dans ce roman, dont la narratrice elle-même.





J’ai beaucoup aimé l’analogie entre Iris et Belinda dans « Les voleurs d’innocence » dont les chemins de vie sont parallèles. Ce sont deux fantômes chacune à leur manière. « Mère hantée, fille hantée. » Elles vivent cloîtrées : la première pour échapper à une vie qu’elle ne s’est pas choisie, la seconde afin que personne ne sache réellement qui elle est et de quelle famille elle est issue. Pourtant, leurs ombres sont sans cesse entremêlées. Iris a vécu à l’intérieur de l’esprit de sa mère de façon très intime, réceptive à ses prémonitions, bercée par les terreurs nocturnes de celle-ci, sensible à toutes les voix spectrales qui venaient déranger le réel. « J’ai grandi en pensant que notre mère était hantée et, comme mes sœurs et moi avions toutes vécu à l’intérieur d’elle durant neuf mois, je me demandais si nous aussi étions hantées. » Les hommes ne sont que source d’empoisonnement et provoquent des drames cataclysmiques. L’ambiance du récit est opaque et la prémisse de Sarai Walker sur les relations hommes/femmes est noire, anxiogène, désenchantée et pessimiste, comme si les deux sexes n’étaient pas destinés à pouvoir vivre ensemble. L’une des sœurs affirme même : « (…) et quant à notre mère… elle n’est pas extralucide. La vérité c’est qu’elle déteste les hommes. » Et lorsque l’on déteste les hommes, on est forcément assimilé à une folle…





Je vous recommande vivement de découvrir l’histoire des femmes de la famille Chapel dont le nom est issu d’une fabrique d’armes mais pourrait aussi inspirer une forme de calme et de solennité si on le traduisait par « église ». Le bien et le mal se combattent à travers elles, au-delà d’elles, dans une traversée de l’existence pavée de fantômes, de parfum de roses et de femmes qui meurent au contact des hommes. « Qu’est-ce qu’il y a de génial à seulement vivre ? Je préfère être vivante. » « Les voleurs d’innocence » est un roman tout à fait envoûtant où les émotions s’entrelacent grâce à des personnages d’une belle densité et des problématiques d’un temps où les femmes étaient victimes d’un sort peu enviable et cantonnées au mariage comme seul avenir. Êtes-vous prêts à être vous aussi « Belindasée » ? Mais N’oubliez pas « Une vie sans amour n’est pas une vie. »
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Les Voleurs d'innocence

« Les Voleurs d’Innocence » est un de ces romans gothiques et vénéneux que n’auraient renié ni Mary Shelley et encore moins Emily Dickinson à laquelle Sarai Walker rend un hommage palpable. Il n’a pas été sans me rappeler « Le Treizième Conte » ou certaines ambiances propres à Daphné du Maurier également…

Fleur étrange que ce roman qui sous ses airs de conte cruel, de légende macabre et vaporeuse constitue un vibrant plaidoyer féministe contre un patriarcat meurtrier et les années cinquante qui broyaient les femmes plus qu’elles ne les libéraient.

« Les Voleurs d’Innocence » chemine à rebours des contes de fées… Si Cendrillon, Blanche-Neige, Aurore et la Belle trouvaient dans le mariage l’épanouissement et la liberté, l’accomplissement et le bonheur, c’est la mort que trouvent les sœurs Chapel au moment où elles perdent leur virginité, le sang des noces devenant sang de mort…

Tout commence pourtant comme au pays des fées, par un château. Le « gâteau de mariage » comme on l’appelle dans la famille est la vaste demeure gothique et inquiétante de la famille Chapel qui produit depuis des décennies les fusils du même nom. Nous sommes dans l’Illinois dans les années 1950 et les grandes dynasties nées d’un XIX°siècle industrieux ont encore pignon sur rue et vivent toujours dans ces demeures tarabiscotées à l’architecture complexe qui regorgent des souvenirs amassés par les précédentes générations. C’est à l’ombre de la demeure que grandissent les six filles de Mr. Chapel, six jeunes filles aux prénoms de fleurs qui ne voient presque pas leur père et qui ont avec leur mère, Belinda, une relation ambiguë. C’est que cette dernière, toujours vêtue de blanc et la chevelure dénouée est perturbée mentalement. D’aucuns diraient folle, ou hystérique. Le terme était en vogue dans les années cinquante… Chaque jour, elle n’a de cesse de clamer que la demeure est hantée, que fantômes et esprits en ont pris possession et qu’à cela, rien d’étonnant, puisque la maison est bâtie sur le sang de ceux que les armes Chapel ont tué… Face à Belinda dont on apprend que sa mère est morte en lui donnant au monde et qu’elle n’aime guère son époux et sur qui repose une grande partie de l’ambiance gothique du roman (vous souvenez-vous de la femme de Rochester déambulant à la nuit tombée dans Jane Eyre et s’en prenant à la robe de mariée de l’héroïne ?) les six sœurs ont des réactions différentes… Les aînées la croient folles et n’écoutent pas ses malédictions, les plus jeunes l’aiment en la craignant…

Quoiqu’il en soit Aster, Rosalind, Calla, Daphné, Iris et Hazel grandissent, se construisent tant bien que mal dans le sillage de ces parents. A bien des égards, elles m’ont rappelée les sœurs Lisbon de « Virgin Suicides » et dans ces années cinquante encore si puritaines où faire carrière n’était pas une option, le mariage apparaît comme le seul destin enviable. Aster et Rosalind s’y précipitent comme elles se précipitent dans les bras de leurs prétendants.

C’est là que la tragédie s’invite, violente et inexorable…

Comme dans « Les Dix Petits Nègres », une à une et vêtue de leurs plus beaux atours, les sœurs Chapel à peine épousées meurent dans d’étranges circonstances, sans jamais écouter les malédictions de Belinda que son époux fait interner…

Seule Iris, qui un jour deviendra vieille et libre, échappera au destin qui pèse de son joug sur sa mère et ses sœurs, mais au prix de quel sacrifice…

Sarai Walker joue dans « Les Voleurs d’Innocence » avec les codes du roman gothique, de l’histoire d’épouvante et parvient à tisser une atmosphère lourde, oppressante, saturée de parfums et de fragrances, de fantômes et de terreurs. Le malaise est présent, vif, à chaque page sous laquelle elle distille des questionnements féministes sous-jacents en dénonçant notamment le traitement des femmes au sein même du mariage, le viol conjugal, les tabous et de manière plus générale la méconnaissance et l’irrespect des hommes pour les femmes qui expliquaient alors tous les maux et les douleurs par le corps et la notion bien freudienne d’hystérie. Patriarcat et libération aussi sont au cœur de ce roman envoutant et inclassable qui se nimbe d’un érotisme certain au gré des fleurs peintes par Iris comme une autre Georgia O’Keeffe au moment où elle découvre sa propre sexualité…

Certes, « Les Voleurs d’Innocence » ne brille pas par sa subtilité mais il fascine et interroge, il hante en laissant planer fantômes et non-réponses, sang et mystères. C’est l’un de ses textes que l’on sent hanté lui aussi intrinsèquement, un texte qui déchire un voile qu’on voudrait oublier ou ignorer, qui dit dénonce sous couvert d’un conte cruel… mais les contes depuis toujours sont là aussi pour dire l’indicible, non ?

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