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Citations de Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort (195)


Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort
La société, qui rapetisse beaucoup les hommes, réduit les femmes à rien.
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N’est-ce pas une chose plaisante de considérer que la gloire de plusieurs grands hommes soit d’avoir employé leur vie entière à combattre des préjugés ou des sottises qui font pitié, et qui semblaient ne devoir jamais entrer dans une tête humaine ? La gloire de Bayle, par exemple, est d’avoir montré ce qu’il y a d’absurde dans les subtilités philosophiques et scolastiques, qui feraient lever les épaules à un paysan du Gâtinais doué d’un grand sens naturel ; celle de Locke, d’avoir prouvé qu’on ne doit point parler sans s’entendre, ni croire entendre ce qu’on n’entend pas ; celle de plusieurs philosophes, d’avoir composé de gros livres contre des idées superstitieuses qui feraient fuir, avec mépris, un sauvage du Canada ; celle de Montesquieu, et de quelques auteurs avant lui, d’avoir (en respectant une foule de préjugés misérables) laissé entrevoir que les gouvernants sont faits pour les gouvernés, et non les gouvernés pour les gouvernants. Si le rêve des philosophes qui croient au perfectionnement de la société s’accomplit, que dira la postérité de voir qu’il ait fallu tant d’efforts pour arriver à des résultats si simples et si naturels ?
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Cependant on voit un petit nombre d'hommes sages, parvenus à cet age là, instruits de toutes ces choses et très éclairés, n'être ni corrompus, ni malheureux. La prudence dirige leurs vertus à travers la corruption publique; et la force de leur caractère, jointe aux lumières d'un esprit étendu, les élève au-dessus du chagrin qu’inspire la perversité des hommes.
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Dial. vii. — A. Vous êtes bien au fait des intrigues de nos ministres ?

B. C’est que j’ai vécu avec eux.

A. Vous vous en êtes bien trouvé, j’espère ?

B. Point du tout. Ce sont des joueurs qui m’ont montré leurs cartes, qui ont même, en ma présence, regardé dans le talon ; mais qui n’ont point partagé avec moi les profits du gain de la partie.
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Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort
QUESTION.

Pourquoi ne donnez-vous plus rien au public ?


RÉPONSE.

C’est que le public me paraît avoir le comble du mauvais goût et la rage du dénigrement.

C’est qu’un homme raisonnable ne peut agir sans motif, et qu’un succès ne me ferait aucun plaisir, tandis qu’une disgrâce me ferait peut-être beaucoup de peine.

C’est que je ne dois pas troubler mon repos, parce que la compagnie prétend qu’il faut divertir la compagnie.

C’est que je travaille pour les Variétés amusantes, qui sont le Théâtre de la Nation ; et que je mène de front, avec cela, un ouvrage philosophique, qui doit être imprimé à l’imprimerie royale.

C’est que le public en use avec les gens de lettres, comme les racoleurs du pont Saint-Michel avec ceux qu’ils enrôlent : enivrés le premier jour, dix écus, et des coups de bâton le reste de leur vie.

C’est qu’on me presse de travailler, par la même raison que, quand on se met à sa fenêtre, on souhaite de voir passer, dans les rues, des singes ou des meneurs d’ours.

Exemple de M. Thomas, insulté pendant toute sa vie et loué après sa mort.

Gentilshommes de la chambre, comédiens, censeurs, la police, Beaumarchais.

C’est que j’ai peur de mourir sans avoir vécu.

C’est que tout ce qu’on me dit pour m’engager à me produire, est bon à dire à Saint-Ange ou à Murville.

C’est que j’ai à travailler, et que les succès perdent du temps.

C’est que je ne voudrais pas faire comme les gens de lettres, qui ressemblent à des ânes, ruant et se battant devant un râtelier vide.

C’est que, si j’avais donné à mesure les bagatelles dont je pouvais disposer, il n’y aurait plus pour moi de repos sur la terre.

C’est que j’aime mieux l’estime des honnêtes gens et mon bonheur particulier, que quelques éloges, quelques écus, avec beaucoup d’injures et de calomnies.

C’est que, s’il y a un homme sur la terre qui ait le droit de vivre pour lui, c’est moi, après les méchancetés qu’on m’a faites à chaque succès que j’ai obtenu.

C’est que jamais, comme dit Bacon, on n’a vu marcher ensemble la gloire et le repos.

Parce que le public ne s’intéresse qu’aux succès qu’il n’estime pas.
Parce que je resterais à moitié chemin de la gloire de Jeannot.

Parce que j’en suis à ne plus vouloir plaire qu’à qui me ressemble.

C’est que plus mon affiche littéraire s’efface, plus je suis heureux.

C’est que j’ai connu presque tous les hommes célèbres de notre temps, et que je les ai vus malheureux par cette belle passion de célébrité, et mourir après avoir dégradé par elle leur caractère moral.
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Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort
«Il y a des sottises bien habillées comme il y a des sots très bien vêtus»
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Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort
Les premiers sujets de chagrin m'ont servi de cuirasse contre les autres.
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Il y a des hommes à qui les illusions sur les choses qui les intéressent sont aussi nécessaires que la vie. Quelquefois cependant, ils ont des aperçus qui feraient croire qu'ils sont près de la vérité; mais ils s'en éloignent bien vite, et ressemblent aux enfants qui courent après un masque, et qui s'enfuient si le masque vient à se retourner.
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Aph. 549 "M. le Dauphin, père du roi (Louis XVI), aimait passionnément sa première femme, qui était rousse et qui avait le désagrément attaché à cette couleur. Il fut longtemps sans aimer la seconde Dauphine, et en donnait pour raison qu'elle ne sentait pas la femme. Il croyait que cette odeur était celle du sexe"
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La conviction est la conscience de l'esprit.
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Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort
« On offrait à M... une place qui ne lui convenait pas ; il répondit : "Je sais qu’on vit avec de l’argent, mais
je sais aussi qu’il ne faut pas vivre pour de l’argent. »
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FABLE II.

C'est ici qu'on commence à trouver La Fontaine. Le discours du
renard n'a que cinq vers, et n'en est pas moins un chef-d'oeuvre.
Monsieur du corbeau, pour entrer en matière; et à la fin, vous
êtes le phénix, etc.

V. 14. Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui
qui profite de la sottise: c'est le renard qui donne la leçon à
celui qu'il a dupé, ce qui rend cette petite scène, en quelque
sorte, théâtrale et comique.

Il est fâcheux que Monsieur rime avec Flatteur, c'est-à dire ne
rime pas; mais c'était l'usage alors de prononcer l'r de monsieur.
On tolère même de nos jours cette petite négligence au théâtre,
parce qu'elle est moins remarquable.

FABLE III.

Cette petite fable est charmante par la vérité de la peinture,
pour le dialogue des deux grenouilles, et pour l'expression
élégante qui s'y trouve.

Plusieurs gens de goût blâment La Fontaine d'avoir mis la morale,
ou à la fin, ou au commencement de chaque fable; chaque fable,
disent-ils, contient sa morale dans elle-même: sévérité qui nous
aurait fait perdre bien des vers charmans.

FABLE IV.

V. 5. Relevé. Mauvaise rime qu'on appelle suffisante; La Fontaine
pouvait mettre d'un pas dégagé.

V. 6. Et faisait sonner sa sonnette.

Est un vers heureux, et d'harmonie imitative, qui s'est trouvé
sous la plume de l'auteur.

La Fontaine ne manque pas, du moins autant qu'il le peut,
l'occasion de mettre la morale de son Apologue dans la bouche d'un
de ses acteurs. Cette fable des deux Mulets est d'une application
bien fréquente.

V. 2. Celui-ci, glorieux d'une charge si belle, N'eût voulu pour
beaucoup en être soulagé.

Ce mulet-là fait songer à bien d'honnêtes gens.

FABLE V.

Cette fable du loup et du chien est parfaite d'un bout à l'autre;
il n'y a à critiquer que l'avant-dernier vers.

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.

Un loup n'a que faire d'un trésor.

FABLE VI.

Voilà certainement une mauvaise fable que La Fontaine a mise en
vers d'après Phèdre. L'association de ces quatre personnages est
absurde et contre nature. Quel besoin le lion a-t-il d'eux pour
chasser? ils sont eux-mêmes le gibier qu'il cherche. Si Phèdre a
voulu faire voir qu'une association avec plus fort que soi est
souvent dangereuse; il y avait une grande quantité d'images ou
d'allégories qui auraient rendu cette vérité sensible. Voyez la
fable du Pot de terre et du Pot de fer.

FABLE VII.

La Fontaine pour nous dédommager d'avoir fait une fable aussi
mauvaise que l'est la précédente, lui fait succéder un apologue
excellent, où il développe avec finesse et avec force le jeu de
l'amour-propre de toutes les espèces d'animaux, c'est-à dire de
l'homme, dont l'espèce réunit tous les genres d'amour-propre.

On ne finirait pas si on voulait noter tous les vers heureux de
cette fable.

V. 23. Dame fourmi trouva le citron trop petit. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

V. 28. Lynx envers nos pareils et taupes envers nous.

Et les deux derniers vers.

C'est donc la faute à Jupiter si nous ne nous apercevons pas de
nos propres défauts. Esope, que Phèdre a gâté en l'imitant, dit,
et beaucoup mieux, chaque homme naît avec deux besaces, etc. De
cette manière, la faute n'est point rejetée spécialement sur le
fabricateur souverain. La Fontaine aurait mieux fait d'imiter
Esope que Phèdre en cette occasion.

FABLE VIII.

Autre Apologue, excellent d'un bout à l'autre.

FABLE IX.

V. 27. Fi! Espèce d'interjection qu'on n'emploie que
proverbialement et dans le style très-familier.

FABLE X.

Cette fable est connue de tout le monde, même de ceux qui ne
connaissent que celle-là. Ce qui en fait la beauté, c'est la
vérité du dialogue. Plusieurs personnes ne semblent voir dans cet
Apologue qu'une vérité triviale, que le faible est opprimé par le
fort. Ce ne serait pas la peine de faire une fable. Ce qui fait la
beauté de celle-ci, c'est la prétention du loup qui veut avoir
raison de son injustice, et qui ne supprime tout prétexte et tout
raisonnement, que lorsqu'il est réduit à l'absurde par les
réponses de l'agneau.

V. 19 et 20. Si je n'étais pas né ne rime pas avec l'an passé.
Pure négligence.

FABLE XI.

Ce n'est point là une fable, quoiqu'en dise La Fontaine; c'est un
compliment en vers adressé à M. le duc de la Rochefoucault sur son
livre des Maximes. Un homme qui s'enfuit dans le désert pour
éviter des miroirs: c'est là une idée assez bizarre, et une
invention assez médiocre de La Fontaine.

V. 21. On voit bien où je veux venir.

On le voit à travers un nuage; cela est si vrai, que La Fontaine
est obligé d'expliquer son idée toute entière, et de dire enfin:

Et quant au canal, c'est celui Que chacun sait, le livre des
Maximes.

Cela rappelle un peu le peintre qui mettait au bas de ses figures,
d'un coq, par exemple, ceci est un coq.

FABLE XII.

La plupart des fables et des contes ont fait le tour du globe. La
Fontaine met en Europe la scène où il suppose que fut fait le
récit de cette aventure, récit que les Orientaux mettent dans la
bouche du fameux Gengiskan, à l'occasion du Grand Mogol, prince
qui dépendait en quelque sorte de ses grands vassaux. Au surplus,
ce récit ne peut pas s'appeler une fable; c'est une petite
histoire allégorique qui conduit à une vérité morale. Toute fable
suppose une action.

FABLE XIII.

V. 10. Au lieu de deux, etc. Voilà deux traits de naturel qu'on ne
trouve guère que dans La Fontaine, et qui charment par leur
simplicité.

V. 12. De nul d'eux. Transposition que de nos jours on trouverait
un peu forcée, mais qui se pardonnait alors dans le style
familier.

V. 13. Un quart, un quatrième.

Un quart voleur survient, etc. Voilà les conquérans appelés
voleurs, c'est-à dire par leur nom. Nous sommes bien loin de
l'Epître dédicatoire, et de ce roi qui comptera ses jours par ses
conquêtes.
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Je n'ignore pas qu'un préjugé vulgaire croit ajouter à la gloire
du fabuliste, en le représentant comme un poète qui, dominé par un
instinct aveugle et involontaire, fut dispensé par la nature du
soin d'ajouter à ses dons, et de qui l'heureuse indolence
cueillait nonchalamment des fleurs qu'il n'avait point fait
naître. Sans doute La Fontaine dut beaucoup à la nature qui lui
prodigua la sensibilité la plus aimable, et tous les trésors de
l'imagination; sans doute le fablier était né pour porter des
fables: mais par combien de soins cet arbre si précieux n'avait-il
pas été cultivé? Qu'on se rappelle cette foule de préceptes du
goût le plus fin et le plus exquis, répandus dans ses préfaces et
dans ses ouvrages; qu'on se rappelle ce vers si heureux, qu'il met
dans la bouche d'Apollon lui-même:

Il me faut du nouveau, n'en fût-il plus au monde;

doutera-t-on que La Fontaine ne l'ait cherché, et que la gloire,
ainsi que la fortune, ne vende ce qu'on croit qu'elle donne? Si
ses lecteurs, séduits par la facilité de ses vers, refusent d'y
reconnaître les soins d'un art attentif, c'est précisément ce
qu'il a désiré. Nier son travail, c'est lui en assurer la plus
belle récompense. O La Fontaine! ta gloire en est plus grande: le
triomphe de l'art est d'être ainsi méconnu.

Et comment ne pas apercevoir ses progrès et ses études dans la
marche même de son esprit? Je vois cet homme extraordinaire, doué
d'un talent qu'à la vérité il ignore lui-même jusqu'à vingt-deux
ans, s'enflammer tout à coup à la lecture d'une ode de Malherbe,
comme Mallebranche à celle d'un livre de Descartes, et sentir cet
enthousiasme d'une âme, qui, voyant de plus près la gloire,
s'étonne d'être né pour elle. Mais pourquoi Malherbe opéra-t-il le
prodige refusé à la lecture d'Horace et de Virgile? C'est que La
Fontaine les voyait à une trop grande distance; c'est qu'ils ne
lui montraient pas, comme le poète français, quel usage on pouvait
faire de cette langue qu'il devait lui-même illustrer un jour.
Dans son admiration pour Malherbe, auquel il devait, si je puis
parler ainsi, sa naissance poétique, il le prit d'abord pour son
modèle; mais, bientôt revenu au ton qui lui appartenait, il
s'aperçut qu'une naïveté fine et piquante était le vrai caractère
de son esprit: caractère qu'il cultiva par la lecture de Rabelais,
de Marot, et de quelques-uns de leurs contemporains. Il parut
ainsi faire rétrograder la langue, quand les Bossuet, les Racine,
les Boileau en avançaient le progrès par l'élévation et la
noblesse de leur style: mais elle ne s'enrichissait pas moins dans
les mains de La Fontaine, qui lui rendait les biens qu'elle avait
laissé perdre, et qui, comme certains curieux, rassemblant avec
soin les monnaies antiques, se composait un véritable trésor.
C'est dans notre langue ancienne qu'il puisa ces expressions
imitatives ou pittoresques, qui présentent sa pensée avec toutes
les nuances accessoires; car nul auteur n'a mieux senti le besoin
de rendre son âme visible: c'est le terme dont il se sert pour
exprimer un des attributs de la poésie. Voilà toute sa poétique à
laquelle il paraît avoir sacrifié tous les préceptes de la
poétique ordinaire et de notre versification, dont ses écrits sont
un modèle, souvent même parce qu'il en brave les règles. Eh! le
goût ne peut-il pas les enfreindre, comme l'équité s'élève au-
dessus des lois?

Cependant La Fontaine était né poète, et cette partie de ses
talens ne pouvait se développer dans les ouvrages dont il s'était
occupé jusqu'alors. Il la cultivait par la lecture des modèles de
l'Italie ancienne et moderne, par l'étude de la nature et de ceux
qui l'ont su peindre. Je ne dois point dissimuler le reproche fait
à ce rare écrivain par le plus grand poète de nos jours, qui
refuse ce titre de peintre à La Fontaine. Je sens, comme il
convient, le poids d'une telle autorité; mais celui qui loue La
Fontaine serait indigne d'admirer son critique, s'il ne se
permettait d'observer que l'auteur des fables, sans multiplier ces
tableaux où le poète s'annonce à dessein comme peintre, n'a pas
laissé d'en mériter le nom. Il peint rapidement et d'un trait: il
peint par le mouvement de ses vers, par la variété de ses mesures
et de ses repos, et surtout par l'harmonie imitative. Des figures
vraies et frappantes, mais peu de bordure et point de cadre: voilà
La Fontaine. Sa muse aimable et nonchalante rappelle ce riant
tableau de l'Aurore dans un de ses poëmes, où il représente cette
jeune déesse, qui, se balançant dans les airs,

La tête sur son bras, et son bras sur la nue, Laisse tomber des
fleurs, et ne les répand pas.

Cette description charmante est à la fois une réponse à ses
censeurs, et l'image de sa poésie.

Ainsi se formèrent par degrés les divers talens de La Fontaine,
qui tous se réunirent enfin dans ses fables. Mais elles ne purent
être que le fruit de sa maturité: c'est qu'il faut du temps à de
certains esprits pour connaître les qualités différentes dont
l'assemblage forme leur vrai caractère, les combiner, les
assortir, fortifier ces traits primitifs par l'imitation des
écrivains qui ont avec eux quelque ressemblance, et pour se
montrer enfin tout entier dans un genre propre à déployer la
variété de leurs talens. Jusqu'alors l'auteur, ne faisant pas
usage de tous ses moyens, ne se présente point avec tous ses
avantages. C'est un athlète doué d'une force réelle, mais qui n'a
point encore appris à se placer dans une attitude qui puisse la
développer toute entière. D'ailleurs, les ouvrages qui, tels que
les fables de La Fontaine, demandent une grande connaissance du
coeur humain et du système de la société, exigent un esprit mûri
par l'étude et par l'expérience; mais aussi, devenus une source
féconde de réflexions, ils rappellent sans cesse le lecteur,
auquel ils offrent de nouvelles beautés et une plus grande
richesse de sens à mesure qu'il a lui-même par sa propre
expérience étendu la sphère de ses idées: et c'est ce qui nous
ramène si souvent à Montaigne, à Molière et à La Fontaine.

Tels sont les principaux mérites de ces écrits

Toujours plus beaux, plus ils sont regardés,

BOILEAU.

et qui, mettant l'auteur des fables au-dessus de son genre même,
me dispensent de rappeler ici la foule de ses imitateurs étrangers
ou français: tous se déclarent trop honorés de le suivre de loin;
et s'il eut la bêtise, suivant l'expression de M. de Fontenelle,
de se mettre au-dessous de Phèdre, ils ont l'esprit de se mettre
au-dessous de La Fontaine, et d'être aussi modestes que ce grand
homme. Un seul, plus confiant, s'est permis l'espérance de lutter
avec lui; et cette hardiesse, non moins que son mérite réel,
demande peut-être une exception. Lamotte, qui conduisit son esprit
partout, parce que son génie ne l'emporta nulle part; Lamotte fit
des fables...... O La Fontaine! la révolution d'un siècle n'avait
point encore appris à la France combien tu étais un homme rare;
mais, après un moment d'illusion, il fallut bien voir qu'un
philosophe froidement ingénieux, ne joignant à la finesse ni le
naturel,

Ni la grâce plus belle encore que la beauté;

ne possédant point ce qui plaît plus d'un jour; dissertant sur son
art et sur la morale; laissant percer l'orgueil de descendre
jusqu'à nous, tandis que son devancier paraît se trouver
naturellement à notre niveau; tâchant d'être naïf, et prouvant
qu'il a dû plaire; faible avec recherche, quand La Fontaine ne
l'est jamais que par négligence, ne pouvait être le rival d'un
poète simple, souvent sublime, toujours vrai, qui laisse dans le
coeur le souvenir de tout ce qu'il dit à la raison, joint à l'art
de plaire celui de n'y penser pas, et dont les fautes quelquefois
heureuses font appliquer à son talent ce qu'il a dit d'une femme
aimable:

La négligence, à mon gré, si requise, Pour cette fois fut sa dame
d'atours.
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Si jamais on a senti à quelle hauteur le mérite du style et l'art
de la composition pouvaient élever un écrivain, c'est par
l'exemple de La Fontaine. Il règne dans la littérature une sorte
de convention qui assigne les rangs d'après la distance reconnue
entre les différens genres, à peu près comme l'ordre civil marque
les places dans la société d'après la différence des conditions;
et, quoique la considération d'un mérite supérieur puisse faire
déroger à cette loi, quoiqu'un écrivain parfait dans un genre
subalterne soit souvent préféré à d'autres écrivains d'un genre
plus élevé, et qu'on néglige Stace pour Tibulle, ce même Tibulle
n'est point mis à côté de Virgile. La Fontaine seul, environné
d'écrivains dont les ouvrages présentent tout ce qui peut
réveiller l'idée de génie, l'invention, la combinaison des plans,
la force et la noblesse du style, La Fontaine paraît avec des
ouvrages de peu d'étendue, dont le fond est rarement à lui, et
dont le style est ordinairement familier: le bonhomme se place
parmi tous ces grands écrivains, comme l'avait prévu Molière, et
conserve au milieu d'eux le surnom d'inimitable. C'est une
révolution qu'il a opérée dans les idées reçues, et qui n'aura
peut-être d'effet que pour lui; mais elle prouve au moins que,
quelles que soient les conventions littéraires qui distribuent les
rangs, le génie garde une place distinguée à quiconque viendra,
dans quelque genre que ce puisse être, instruire et enchanter les
hommes. Qu'importe en effet de quel ordre soient les ouvrages,
quand ils offrent des beautés du premier ordre? D'autres auront
atteint la perfection de leur genre, le fabuliste aura élevé le
sien jusqu'à lui.

Le style de La Fontaine est peut-être ce que l'histoire littéraire
de tous les siècles offre de plus étonnant. C'est à lui seul qu'il
était réservé de faire admirer, dans la brièveté d'un apologue,
l'accord des nuances les plus tranchantes et l'harmonie des
couleurs les plus opposées. Souvent une seule fable réunit la
naïveté de Marot, le badinage et l'esprit de Voiture, des traits
de la plus haute poésie, et plusieurs de ces vers que la force du
sens grave à jamais dans la mémoire. Nul auteur n'a mieux possédé
cette souplesse de l'âme et de l'imagination qui suit tous les
mouvemens de son sujet. Le plus familier des écrivains devient
tout à coup et naturellement le traducteur de Virgile ou de
Lucrèce; et les objets de la vie commune sont relevés chez lui par
ces tours nobles et cet heureux choix d'expression qui les rendent
dignes du poëme épique. Tel est l'artifice de son style, que
toutes ces beautés semblent se placer d'elles-mêmes dans sa
narration, sans interrompre ni retarder sa marche. Souvent même la
description la plus riche, la plus brillante, y devient
nécessaire, et ne paraît, comme dans la fable du Chêne et du
Roseau, dans celle du Soleil et de Borée, que l'exposé même du
fait qu'il raconte. Ici, messieurs, le poète des grâces m'arrête
et m'interdit, en leur nom, les détails et la sécheresse de
l'analyse. Si l'on a dit de Montaigne qu'il faut le montrer et non
le peindre, le transcrire et non le décrire, ce jugement n'est-il
pas plus applicable à La Fontaine? Et combien de fois en effet
n'a-t-il pas été transcrit? Mes juges me pardonneraient-ils
d'offrir à leur admiration cette foule de traits présens au
souvenir de tous ses lecteurs, et répétés dans tous ces livrés
consacrés à notre éducation, comme le livre qui les a fait naître?
Je suppose en effet que mes rivaux relèvent: l'un l'heureuse
alliance de ses expressions, la hardiesse et la nouveauté de ses
figures d'autant plus étonnantes qu'elles paraissent plus simples;
que l'autre fasse valoir ce charme continu du style qui réveille
une foule de sentimens, embellit de couleurs si riches et si
variées tous les contrastes que lui présente son sujet,
m'intéresse à des bourgeons gâtés par un écolier, m'attendrit sur
le sort de l'aigle qui vient de perdre

Ses oeufs, ses tendres oeufs, sa plus douce espérance;

qu'un troisième vous vante l'agrément et le sel de sa plaisanterie
qui rapproché si naturellement les grands et les petits objets,
voit tour à tour dans un renard, Patrocle, Ajax, Annibal;
Alexandre dans un chat; rappelle, dans le combat de deux coqs pour
une poule, la guerre de Troie pour Hélène; met de niveau Pyrrhus
et la laitière; se représente dans la querelle de deux chèvres qui
se disputent le pas, fières de leur généalogie si poétique et si
plaisante, Philippe IV et Louis XIV s'avançant dans l'île de la
Conférence: que prouveront-ils ceux qui vous offriront tous ces
traits, sinon que des remarques devenues communes peuvent être
plus ou moins heureusement rajeunies par le mérite de
l'expression? Et d'ailleurs, comment peindre un poète qui souvent
semble s'abandonner comme dans une conversation facile; qui,
citant Ulysse à propos des voyages d'une tortue, s'étonne lui-même
de le trouver là; dont les beautés paraissent quelquefois une
heureuse rencontre, et possèdent ainsi, pour me servir d'un mot
qu'il aimait, la grâce de la soudaineté; qui s'est fait une langue
et une poétique particulières; dont le tour est naïf quand sa
pensée est ingénieuse, l'expression simple quand son idée est
forte; relevant ses grâces naturelles par cet attrait piquant qui
leur prête ce que la physionomie ajoute à la beauté; qui se joue
sans cesse de son art; qui, à propos de la tardive maternité d'une
alouette, me peint les délices du printemps, les plaisirs, les
amours de tous les êtres, et met l'enchantement de la nature en
contraste avec le veuvage d'un oiseau?

Pour moi, sans insister sur ces beautés différentes, je me
contenterai d'indiquer les sources principales d'où le poète les a
vu naître; je remarquerai que son caractère distinctif est cette
étonnante aptitude à se rendre présent à l'action qu'il nous
montre; de donner à chacun de ses personnages un caractère
particulier dont l'unité se conserve dans la variété de ses
fables, et le fait reconnaître partout. Mais une autre source de
beautés bien supérieures, c'est cet art de savoir, en paraissant
vous occuper de bagatelles, vous placer d'un mot dans un grand
ordre de choses. Quand le loup, par exemple, accusant auprès du
lion malade, l'indifférence du renard sur une santé si précieuse,

Daube, au coucher du roi, son camarade absent,

suis-je dans l'antre du lion? suis-je à la cour? Combien de fois
l'auteur ne fait-il pas naître du fond de ses sujets, si frivoles
en apparence, des détails qui se lient comme d'eux-mêmes aux
objets les plus importans de la morale, et aux plus grands
intérêts de la société? Ce n'est pas une plaisanterie d'affirmer
que la dispute du lapin et de la belette, qui s'est emparée d'un
terrier dans l'absence du maître; l'un faisant valoir la raison du
premier occupant, et se moquant des prétendus droits de Jean
Lapin; l'autre réclamant les droits de succession transmis au
susdit Jean par Pierre et Simon ses aïeux, nous offre précisément
le résultat de tant de gros ouvrages sur la propriété; et La
Fontaine faisant dire à la belette:

Et quand ce serait un royaume?

Disant lui-même ailleurs:

Mon sujet est petit, cet accessoire est grand,

ne me force-t-il point d'admirer avec quelle adresse il me montre
les applications générales de son sujet dans le badinage même de
son style? Voilà sans doute un de ses secrets; voilà ce qui rend
sa lecture si attachante, même pour les esprits les plus élevés:
c'est qu'à propos du dernier insecte, il se trouve, plus
naturellement qu'on ne le croit, près d'une grande idée, et qu'en
effet il touche au sublime en parlant de la fourmi. Et craindrais-
je d'être égaré par mon admiration pour La Fontaine, si j'osais
dire que le système abstrait, tout est bien, paraît peut-être plus
vraisemblable et surtout plus clair après le discours de Garo dans
la fable de la Citrouille et du Gland, qu'après la lecture de
Leibnitz et de Pope lui-même?

S'il sait quelquefois simplifier ainsi les questions les plus
compliquées, avec quelle facilité la morale ordinaire doit-elle se
placer dans ses écrits? Elle y naît sans effort, comme elle s'y
montre sans faste, car La Fontaine ne se donne point pour un
philosophe, il semble même avoir craint de le paraître. C'est en
effet ce qu'un poète doit le plus dissimuler. C'est, pour ainsi
dire, son secret; et il ne doit le laisser surprendre qu'à ses
lecteurs les plus assidus et admis à sa confiance intime. Aussi La
Fontaine ne veut-il être qu'un homme, et même un homme ordinaire.
Peint-il les charmes de la beauté?
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Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort
Il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer.
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Préjugé, vanité, calcul : voilà ce qui gouverne le monde. Celui qui ne connaît pour règle de sa conduite que raison, vérité, sentiment, n’a presque rien de commun avec la société. C’est en lui-même qu’il doit chercher et trouver presque tout son bonheur.
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Dial. x. — A. La femme qu’on me propose n’est pas riche.

B. Vous l’êtes.

A. Je veux une femme qui le soit. Il faut bien s’assortir.
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Dial. ix. — A. Il a cherché à vous humilier.

B. Celui qui ne peut être honoré que par lui-même, n’est guère humilié par personne.
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Dial. viii. — Le Vieillard. Vous êtes misanthrope de bien bonne heure. Quel âge avez-vous ?

Le Jeune Homme. Vingt-cinq ans.

Le V. Comptez-vous vivre plus de cent ans ?

Le J. H. Pas tout à fait.

Le V. Croyez-vous que les hommes seront corrigés dans soixante-quinze ans ?

Le J. H. Cela serait absurde à croire.

Le V. Il faut que vous le pensiez pourtant, puisque vous vous emportez contre leurs vices… Encore cela ne serait-il pas raisonnable, quand ils seraient corrigés d’ici à soixante-quinze ans ; car il ne vous resterait plus de temps pour jouir de la réforme que vous auriez opérée.

Le J. H. Votre remarque mérite quelque considération : j’y penserai.
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Dial. vi. — Le Cuisinier. Je n’ai pu acheter ce saumon.

Le Docteur en Sorbonne. Pourquoi ?

Le C. Un conseiller le marchandait.

Le D. Prends ces cent écus ; et va m’acheter le saumon et le conseiller.
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