Citations de Serge Doubrovsky (58)
un être qu'on aime, on ne fait pas de tri dedans, c'est à prendre ou à laisser. (p.409)
Avec ma femme, mon passé ne passe pas. Mes amours d'antan lui restent dans la gorge. La scène avec la belle a beau dater d'avant sa naissance, elle est jalouse Que j'ai pu en désirer d'autres, en aimer d'autres. Avant elle. Que j'en alimente mon style. Elle est hostile. Mes déballages de tripe et de coeur, farouchement contre.
Des fois ça marche, d'autres, ça boite. (p.155)
Si on avait un crâne en verre, si on pouvait se lire mutuellement dans les pensées, pas un couple qui n'éclaterait au bout d'une heure. (p.51)
Les sentiments, c'est ce qu'on décrit dans les romans, il ressentit alors, elle éprouva soudain. comme si l'existence se passait entre cœur et tête, bas-ventre et cortex.Dans la vie, on a très peu de sentiments. Ils vous saisissent parfois à l'improviste, vous prennent à la gorge, au tournant d'une rue, au coin d 'une phrase. Ou vous frappent, au creux de l'estomac, comme un coup de poing. Puis, il se perdent, rentrent sous terre, fleuves engloutis, résurgences lointaines. Le reste du temps, on n'a pas le temps. On a de vagues affleurements affectifs, de minuscules accélérations cardiaques. Sentir est un luxe, réservé aux heures oisives. Pendant le travail, l'attention, la tension, est ailleurs. Ce qu'on doit faire, ce qu'on doit dire, à ça qu'on pense. Les sentiments, dans la journée, sont des momies emmaillotées. La nuit, des fantômes effilochés au cours des songes.
On peut tout dire du moment que c'est passé. Le présent, voilà le problème, parce qu'il engage l'avenir. (p.50)
DE QUOI. M'obsède, me martèle la tête. Une fois mort, on est mort, qu'est-ce que ça change. Qu'est-ce que ça peut faire. Eh bien , non. JE VEUX SAVOIR. (p.330)
Je ne pourrai pas dire TOUTE la vérité. Mais TOUT ce que je dirai sera vrai. (p.52)
Et question sexe je suis rudement coincé. Mes désirs me claquemurent. Mes impulsions me ligotent. Les injonctions de ma carcasse sont mon carcan. Je n'ai aucune latitude. L'attitude m'est dictée d'en bas, d'avance. Là où je n'ai aucun contrôle. Mes sens n'entendent pas raison. Mes sens vont dans la mauvaise direction.
L'analyse cornélienne est ici d'une sûreté, d'une finesse, d'une cruauté que Marivaux n'a jamais surpassées. Ces comédies, longtemps laissées au rebut, sont d'une richesse et d'une rigueur étonnantes. Rarement la dialectique de la liberté a été explorée avec autant de pénétration et de minutie.
Chacun pour soi, chacun poursuit. Isolé par des hyperespaces sidéraux. J'en suis sidéré. Le vacarme est muet. Au centre du bruit assourdissant, pas un son. Un conglomérat colossal de squelettes agités, sans un échange de parole. Pas un regard qui se croise. Dans cet entrechoquement de rencontres, chacun s'évite. Poste beuglant porté à bout de bras ou crâne au secret entre les écouteurs du casque, chacun n'a d'ouïe que pour sa musique. Abasourdi, je suis tombé quelques instants en arrêt devant la fourmillante solitude.
Quand on se tue, on tue du même coup ceux qui vous aiment. (p.330)
... il est incroyable que les travaux d'un Leo Spitzer, d'un Auerbach ou d'un René Wellek attendent toujours chez nous un traducteur. L'insularité n'est pas nécessairement où l'on pense.
On parle avec raison d'une oeuvre "toujours vivante" : seul, en effet, l'ouvrage médiocre reste enfermé en son moment historique et culturel. "Sur le Racine mort, le Campistron pullule", s'écriait Victor Hugo. C'est en vérité, l'inverse ; sur le Campistron mort, Racine, littéralement pullule ; il se reproduit avec chaque époque. Son oeuvre ne peut plus changer, mais elle se transforme ; elle ne peut plus progresser, mais elle peut s'enrichir ; elle ne saurait être modifiée, mais, dans son rapport à des nouveaux esprits, dans son contact avec une nouvelle histoire, elle peut être renouvelée.
On n'est jamais si bien asservi que par soi-même.
L'autobiographie est la plus efficace et la plus commode des préparations à la mort.
Si l'écriture est manière d'être, elle renvoie à son tour à la présence, en elle et par elle, de l'écrivain. Le style de l'œuvre indique donc le choix d'être d'un auteur : il dit la façon dont une existence humaine a intégré et exprimé la totalité de ses rapports concrets avec le monde.
Dans le champ de leur exploration commune, la philosophie entretient avec la littérature des rapports de plus grande conscience, mais la littérature de plus grande fidélité à l’existence. Le travail spécifique et irremplaçable de la critique littéraire consiste donc à donner le maximum de conscience à un moment donnée de l’histoire, aux vérités authentiques et transhistoriques de la littérature.
Une réflexion approfondie sur la littérature est d’ordre philosophique ou elle n’est rien.
Vouloir changer l'ordre établi, c'est, par définition, vouloir l'impossible, jusqu'à ce que l'impossible soit devenu le réel.