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Citations de Sinan Antoon (91)


Rêves :

Chapitre 1 = Rim "Lave-moi"
Chapitre 6 = un vieillard : "Lève-toi, Jawad et écris tous les noms !"
Chapitre 15 = forme de cauchemar réel : "Complètement dégouté, j'ai éteint la télévision. Mais le sang s'est mis à couler de l'écran, il recouvrait tout de rouge."
Chapitre 20 = l'arrivée des cadavres : "Qu'est-ce que tu attends ?"
Chapitre 30 = promenade dans un jardin public : "Aspergez-moi d'eau"
Chapitre 32 = Rim ; une grenade à la place du sein manquant
Chapitre 34 = Les anges lui rappellent l'obligation de laver les morts en formulant l'intention d'abord
Chapitre 37 = Torture : tu te prétends croyant et artiste et tu fais ce boulot ?
Chapitre 39 = une foule de cadavres
Chapitre 41 = statues de Giacometti, à laver comme les morts
Chapitre 47 = l'attentat suicide en attendant de recevoir son passeport
Chapitre 48 = le permis de laver
Chapitre 50 = le père à la salle de lavage
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Il me semble entendre la mort me murmurer : "Je suis toujours la même, je n'ai point changé. Rien qu'une factrice de la Poste."
Si la mort est une factrice, je suis certainement l'un de ceux qui reçoivent chaque jour le plus de lettres par son intermédiaire. Celui qui, tout doucement, les retire de leurs enveloppes déchirées et tachées de sang. Celui qui les lave, les débarrasse de leurs cachets, les sèche et les parfume en marmonnant des paroles auxquelles il ne croit qu'à moitié, puis les enroule avec soin dans du tissu blanc pour qu'elles arrivent en paix à leur ultime destinataire : la tombe.
Mais les lettres s'entassent, mon père ! J'en reçois en une journée ou deux dix fois plus que ce qui t'étais adressé durant toute une semaine. Dirais-tu que c'est la volonté de Dieu, que c'est le detin, si tu étais là ? Si seulement tou pouvais être là !
p.13
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Elle dormait nue sur une table d'albâtre, dans un espace découvert, sans toit ni murs. Il n'y avait personne autour de nous et, à perte de vue, rien d'autre que le sable qui s'étendait à l'horizon. Des nuages moutonnés dans le ciel, qui se relayaient pour voiler les rayons du soleil, fuyaient pour s'y dissiper. J'étais dévêtu et déchaussé. Tout m'étonnait. Je sentais le sable sous mes pieds ainsi que le vent frais. Je me suis lentement approché de la table pour m'assurer que c'était bien elle. Quand et pourquoi est-elle revenue de l'étranger après toutes ces années ? Sa chevelure noire ramassée sur le côté de la tête lui couvrait la joue droite de quelques mèches ; elle semblait ainsi garder son visage qui n'avait pas changé. Ses sourcis étaient soigneusement épilés. Ses paupières abaissées se terminaient par des cils épais. Son nez veillait sur ses lèvres charnues, teintées de rose comme si elle était encore en vie, ou venait de mourir. Ses mamelons se dressaient sur ses seins en poire ; je ne voyais aucune trace de l'intervention. Elle avait les mains croisées sur le nombril, les ongles longs, vernis de la couleur des lèvres, le pubis glabre et les ongles de pied maquillés de rose, eux-aussi. Est-elle morte ou endormie ? J'ai eu peur le toucher. Je l'ai fixée et j'ai chuchoté son nom : Rim. Elle a souri, sans ouvrir les yeux au début, puis, quand elle les a ouverts la noirceur de ses prunelles a souri aussi. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je l'ai interrogée à haute voix :
- Rim, qu'est-ce que tu fais là
J'ai failli l'étreindre et l'embrasser, mais elle m'a averti :
- Ne m'embrasse pas. Lave-moi d'abord, pour que nous puissions être ensemble, et après...
[...]
Il m'a semblé entendre une voiture s'approcher. Je me suis retourné et j'ai vu un Humvee rouler à une vitesse affolante, laissant derrière lui une traînée de poussière. Il a brusquement viré à droite et s'est arrêté à quelques mètres de nous. Les portières se sont ouvertes. Quatre ou cinq hommes encagoulés, habillés de kaki et portant des mitraillettes en sont sortis. Ils ont couru dans notre direction. J'ai cherché à la protéger de ma main droite, mais l'un d'eux était déjà arrivé près de moi. Il m'a assené un coup de crosse sur la figure et m'a renversé. Puis il m'a roué de coups de pied dans le ventre, dans les reins et dans le dos. Un autre m'a attrapé les bras pour me tirer loin de la table. Aucun d'eux n'a soufflé mot. Je criais, je les insultais, mais je n'entendais pas ma voix. Ils m'ont forcé à m'agenouiller et m'ont ligoté les poignets avec une corde. L'un des deux premiers m'a posé un couteau sur la gorge, pendant que l'autre me bandait les yeux. Leurs rires se sont mêlés aux cris et aux râles de Rim, que j'entendais clairement. J'ai essayé de me dégager, mais ils me tenaient fermement. J'ai hurlé de nouveau, je n'entendais toujours pas ma voix. Les gémissements de Rim m'étaient pourtant audibles, ainsi que les grognements des hommes, leurs ricanements et le crépitement de la pluie battante. J'ai senti une douleur atroce, la lame froide transpercer ma gorge. Le sang chaud a coulé sur ma poitrine et sur mon dos. Ma tête est tombée. Elle a roulé comme un ballon sur le sable. J'ai entendu des pas qui s'approchaient. L'un d'eux a ôté le bandeau de mes yeux, l'a glissé dans sa poche, m' a craché dessus et s'en est allé. J'ai vu mon corps à gauche de la table, à genoux, baignant dans une mare de sang. Les trois autres regagnaient le Humvee. Deux d'entre eux traînaient Rim par les cheveux. Elle a voulu tourner la tête vers moi, mais l'un d'eux l'a giflée. J'ai crié son nom, sans entendre le son de ma voix. Ils l'ont assise sur la banquette arrière puis ils ont refermé les portières. Le moteur a démarré. Le Humvee s'est éloigné à toute allure, pour disparaître à l'horizon. Et la pluie a continué de cingler la table vide.
Je me réveille haletant, trempé de sueur.

chapitre 1
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Les vivants meurent ou partent en voyage, et les morts viennent toujours. Je croyais que la vie et la mort étaient deux mondes différents, séparés par des frontières bien nettes. Je sais maintenant qu'elles sont étroitement unies. Elles se sculptent l'une l'autre. L'une boit dans le vase de l'autre. Mon père savait cela, le grenadier le sait parfaitement aussi. Je suis comme le grenadier, mais mes branches ont été toutes coupées, cassées et enterrées avec les cadavres.
Mon coeur, lui est devenu une grenade desséchée, qui bat au rythme de la mort et qui me lâche en tombant à chaque instant, dans un gouffre sans fond.
Mais personne ne sait. Personne
Seul le grenadier... le sait.

chapitre 55
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"Je sors, ai-je dit à Mahdi, je vais près du grenadier." Les derniers mois, j'avais pris l'habitude de m'asseoir sur la chaise que j'avais posée devant le grenadier, pour converser avec lui ; il est devenu mon seul ami au monde. Ses fleurs rouges s'étaient épanouies, elles me paraissaient comme des plaies qui respiraient et criaient sur les branches. Je m'installais là, et je fredonnais une vieille chanson qui me hantait depuis que je l'avais entendue à la radio, quelques semaines plus tôt. Sans le vouloir, j'avais glissé dans ses paroles le terme de "grenadier", et l'avais subsitué à celui de "basilic" :

O tendre grenadier,
Aie pitié de moi l'épris
Mon corps s'est amaigri
Mon âme a fondu
Je n'ai plus que la peau est les os
Ma maladie me ronge de l'intérieur
Je ne peux plus penser
Grave est ma blessure
Et mon remède, personne ne le connaît
Le jour où j'ai aimé, O ma désirée,
J'ai perdu l'esprit,
Je suis resté désemparé
Quelle faute ai-je commise ? Je ne le savais
Je n'ai jamais rien fait de mauvais
J'ai seulement aimé ma bien-aimée
Ce n'est pas un péché pour me repentir
Et l'indulgence de Dieu demander
O tendre grenadier,
Ai pitié de moi l'épris

J'ai regardé la terre où il poussait, la terre foncée, mouillée par l'eau du lavage qu'il venait de boire. Comme il est étrange, cet arbre ! Il boit les eaux de la mort depuis des décennies, fleurit et porte des fruits. Est-ce pour cela que mon père l'aimait beaucoup ? "Il n'est de grenade qui ne contienne une graine des grenades du paradis", me disait-il, en citant le Prophète. Mais il est là-bas, le paradis, ailleurs, les paradis sont toujours ailleurs, et tout l'enfer est ici, il s'agrandit jour après jour. Les racines de ce grenadier sont ici, comme moi, dans les profondeurs de l'enfer. Est-ce que les racines racontent tous leurs secrets aux branches, ou est-ce qu'elles leur cachent les vérités qui font mal ? Ses branches s'élèvent vers le ciel, et lorsque le vent les caresse, il semble battre des ailes pour s'envoler. Mais c'est un arbre. C'est son destin que d'être un arbre et de rester ici. Je ne cesse de répéter que je ne crois pas au destin, pourquoi suis-je donc en train de parler ainsi ? Il faudrait que je dise son histoire, plutôt. Ce que les gens nomment le destin, c'est l'histoire. Et l'histoire est aléatoire et violente, elle se déchaîne, emporte tout ce qui se trouve sur son passage, sans jamais se retourner.
chapitre 55
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Mes yeux croisaient ceux de Ghayda' de plus en plus souvent, avec ou sans raison particulière. Comme des oiseaux, ils voletaient entre son visage et les vergers de son corps, qui regorgeaient de tout ce qu'il y a de désirable. Elle me prenait sur le fait parfois, et chassait de son regard mes oiseaux qui venaient à peine de se poser sur son corps, le picoraient ou buvaient de son eau ; elle souriait alors.
p.257
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[Rim à propos de son premier mari]
Il m'a quand même lancé un jour que la gamelle des soldats avait bien meilleur goût que mes plats. Je l'ai prié de m'excuser et lui ai juré que j'allais m'améliorer avec la pratique. Je l'avais pourtant prévenu, pendant nos fiançailles, que je ne cuisinais pas très bien. Il m'avait répondu qu'il était habitué aux repas de l'armée et que nous préparerions les nôtres ensemble. Mais les paroles mielleuses du début se sont révélées des paroles en l'air, comme celles des partis politiques avant de prendre le pouvoir.
p.86
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Références littéraires et artistiques :

Le chant de Zouhour Hussein (p.33)

"Chant de la pluie " - du poète Badr Shakir al-Sayyab (p.62)

Jawad Salim - sculpteur et peintre (chapitre 8)

Nâzim al-Ghazâli - chanteur (p.71)

Giacometti (chapitre 11)

Mouzaffar al-Nawwab (p.88)

Haddha mou inssaf minnak, célèbre chanson irakienne qui fut d'abord chantée par Salima Mourad (p.157)

Hanna Batatu, "le plus important et le plus encyclopédique sur l'Irak contemporain" (p.168)

monument al-Shahid, érigé à la gloire des soldats irakiens morts pendant la guerre contre l'Iran et conçu par Ismaïl Fattah al-Turk (p.168)

chanson de Kazim al-Saher (p.237)

Nancy Ajram, chanteuse libanaise (p.269)

poète et jurisconsulte al-Sharif al-Radi - Xe siècle (p.291)
mollah al-Karbala'i (p.289)
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En écartant le rideau, j'ai vu un taxi transportant sur son toit un cercueil enroulé dans un drapeau. Mon corps est tombé dans un gouffre sans fond. Telle une lance, la plainte de ma mère l'a transpercé, pendant que je me précipitais nu-pieds vers l'escalier.
p.20
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- Ils s'en vont où, les morts ?
- Auprès de Dieu. Ton papa prend soin d'eux avant leur enterrement.
- Comment ils arrivent chez Dieu s'ils sont enterrés ?
- L'âme s'élève vers le ciel, mais le corps reste dans la terre dont il est issu. "Vous êtes tous d'Adam et Adam est de terre" a dit le Prophète.
J'ai regardé le ciel. Il y avait cinq nuages qui se chevauchaient. Lequel portera l'âme du défunt ? me suis-je demandé. Et pour aller où ?
p.18
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Je cherche le second oreiller dont j'ai l'habitude, depuis mon enfance, de me couvrir de manière à m'isoler de tout bruit. Il est tombé près du lit, à côté de mes mules. Je le ramasse, m'enfouis la tête dessous, afin de récupérer ma part de la nuit.
pp.13-14
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