Citations de Sinan Antoon (91)
L’essentiel, finalement, est que toutes les prières montent jusqu’à Dieu, quels que soient la langue ou le rite !
Nous passons des années et des années dans des salles de cours et des laboratoires, nous nous plongeons dans les livres pour ingurgiter tout ce savoir accumulé par les hommes depuis des siècles en vue de soigner les corps, d’en chasser la douleur et la mort, et voilà qu’arrive une bande d’abrutis quasi illettrés qui, rien qu’en appuyant sur un bouton ou une détente, les réduisent en charpie ! Du sang, partout du sang ! Le pays réduit à l’état de table de dissection, à cette différence près que, au lieu des morts, on dissèque les vivants. Voilà la science du vivant en vogue ces temps-ci.
Au cours des mois précédents, cinq attentats ont eu lieu contre des lieux possédés ou fréquentés par des juifs et contre la synagogue Masuda Shimtov, dans le but de les intimider. Il s’avérera plus tard que ces attaques sont le fait de bandes sionistes.
(Bagdad 1950)
Je suivais les nouvelles de l’Irak, jour après jour, à la radio, à la télé, dans les journaux et récemment sur Internet. Rien ne m’échappait. Je savais que l’embargo avait détruit le pays, mais c’est autre chose quand on s’en aperçoit sur place. Un vrai choc. Le pays est fatigué, les gens sont épuisés. Même al-Karrada, qui était le plus beau quartier, regarde ce qu’il est devenu. La saleté, la boue, les barbelés, les chars… Pas de femmes dans les rues. Ce n’est pas Bagdad, ça. Même les pauvres palmiers n’en peuvent plus, personne ne s’en occupe. Et ces Américains, avec leur racisme et leur sottise, crois-moi, ils vont pousser les gens à regretter le temps de Saddam.
Et il a eu bien raison.
—Il n’y avait que trois soldats au poste-frontière entre la Jordanie et l’Irak, et un seul fonctionnaire irakien. Il tamponnait les passeports en survêtement de sport et avec des mules aux pieds. Je lui ai demandé qui décidait là-bas, qui donnait l’autorisation ou pas aux gens de passer. “C’est l’officier américain qui décide, moi je tamponne.”
“Il est tout à fait licite aussi, a-t-il poursuivi, qu’un juif ou un chrétien lave un musulman, si aucun homme de sa religion ne se trouve dans les parages. L’important, c’est d’avoir de bonnes intentions”, a-t-il insisté....( lavage de cadavres )
" Même les palmiers sont devenus sunnites ou chiites. "
Sinan Antoon dans un entretien avec Muriel Steinmetz de "L'Humanité", le 14 juin 2018.
Ça m’a rappelé l’histoire drôle que Lu’aï m’avait racontée la semaine précédente. Je lui ai dit :
"Tiens, écoute, j’en ai une qui va te plaire. C’est trois Irakiens : un sunnite, un chiite et un chrétien. La lanterne d’Aladin leur tombe entre les mains, le djinn en sort et demande au chiite : « Fais un vœu ! Parle, c’est comme si c’était fait. » Le chiite répond."Liquide-moi tous les sunnites jusqu’au dernier. –Tu n’as qu’à demander pour être servi ! " dit le djinn. Il va voir le sunnite et lui demande : « Et toi, qu’est-ce que tu veux ? » Le sunnite lui répond : « Tue-moi tous les chiites jusqu’au dernier, je ne veux plus en entendre un qui respire ! –Tu n’as qu’à demander pour être servi ! » dit le djinn. Enfin, il se tourne vers le chrétien et lui demande : « Et toi, quel est ton vœu ? » Le chrétien réfléchit un moment et lui répond : « Occupe-toi d’abord du vœu des deux autres et reviens me voir après ! »”
" La sourate de Marie dit :
Secoue vers toi le tronc du palmier;
Il fera tomber sur sur toi
Des dattes fraîches et mûres " jusqu'à la description du paradis dans le Coran où des fruits, des palmiers et des grenadiers attendent les croyants......
Le hadith dit : " Une maison sans dattes, ses gens meurent de faim ....."
Mais les paroles mielleuses du début se sont révélés des paroles en l'air, comme celles de partis politiques avant de prendre le pouvoir.
Je croyais que la vie et la mort étaient deux mondes différents, séparés par des frontières bien nettes. Je sais maintenant qu'elles sont étroitement unies. Elles se sculptent l'une l'autre. L'une boit dans le verre de l'autre.
Au lieu de me lamenter sur le temps de ma jeunesse, j'ai loué la vieillesse mon réveil. Car elle justifie la paresse et l’indolence et rend libre de faire la sieste autant qu’on veut.
Les chansons, surtout les maqâm, étaient les chambres de mon âme où j’entrais pour rester seul avec moi-même, avec leurs murs étranges faits d’une matière invisible, mélange de tristesse et de nostalgie, percés toujours d’une fenêtre ouvrant sur le silence ou sur une autre complainte.
Quelques semaines avant le début de la guerre, le gouvernement avait libéré de prison des milliers de criminels et de voleurs, j'étais quand-même effqré d'apprendre que les Américains n'avaient pas cherché à protéger le patrimoine et les biens culturels du pays; les conventions internationales le leur imposaient pourtant, les puissances occupantes étant censées respecter cette obligation, elles aussi .
Ma petite histoire, que j'ai voulue différente, a été engloutie par la grande histoire, il n'en reste plus rien. Ma petite rivière, que j'ai voulue pleine de couleurs et de vie, a été forcée, en suivant ses courbes et ses méandres, d'abandonner ses couleurs pour qu'elles se fondent toutes dans le grand fleuve qui emporte tout vers la mort.
Toujours avec passion, il nous expliqua que l'art est intrinsèquement lié au désir d'immortalité : "L'immortalité, cette obsession humaine fondamentale, dit-il, car la présence de l'homme sur terre est éphémère. Cela le pousse à vouloir laisser une trace de son passage avant de disparaître. L'art se pose donc comme un défi à la mort et au temps, et glorifie la vie."
A l'époque de Saddam, le pays était une prison. La prison s'est maintenant scindée en plusieurs cachots aux dimensions confessionnelles, séparés par de hauts murs de béton, et couverts de sang par les barbelés.
C'est comme si il y avait une énorme hache que chaque nouveau régime arrachait au précédent, pour poursuivre la destruction et creuser la tombe encore plus profonde.
Nous avions pensé que la vie humaine avait atteint son coût le plus bas sous la dictature, qu'elle allait maintenant regagner un peu de valeur, mais c'est le contraire qui est arrivé.
Ceux qui ont renversé Saddam sont ceux qui l'avaient mis au sommet.
Débuts et fins se confondent. Chacun pleure sur son Irak heureux. Mais quand je regarde toutes ces photos et les commentaires qui les suivent, je me rends compte que je n’ai même pas de jours heureux que je pourrais regretter ! Mes jours heureux à moi ne sont pas encore nés.
Elle dormait nue sur une table d’albâtre, dans un espace découvert, sans toit ni murs. Il n’y avait personne autour de nous et, à perte de vue, rien d’autre que le sable qui s’étendait jusqu’à l’horizon. Des nuages moutonnés dans le ciel, qui se relayaient pour voiler les rayons du soleil, fuyaient pour s’y dissiper. J’étais dévêtu et déchaussé. Tout m’étonnait. Je sentais le sable sous mes pieds ainsi que le vent frais. Je me suis lentement approché de la table pour m’assurer que c’était bien elle. Quand et pourquoi est-elle revenue de l’étranger après toutes ces années? Sa chevelure noire ramassée sur le côté de la tête lui couvrait la joue droite de quelques mèches; elle semblait ainsi garder son visage qui n’avait pas changé. Ses sourcils étaient soigneusement épilés. Ses paupières abaissées se terminaient par des cils épais. Son nez veillait sur ses lèvres charnues, teintées de rose comme si elle était encore en vie, ou venait de mourir. Ses mamelons se dressaient sur ses seins en poire; je ne voyais aucune trace de
l’intervention. Elle avait les mains croisées sur le nombril, les ongles longs, vernis de la couleur des lèvres, le pubis glabre et les ongles des pieds maquillés de rose, eux aussi. Est-elle morte ou endormie? J’ai eu peur de la
toucher. Je l’ai fixée et j’ai chuchoté son nom : Rim.
"Mais les mots, ajoute-t-elle, les yeux plus doux, en mimant avec ses mains des caresses sur mon visage sans me toucher, comme si elle entamait une danse sensuelle, les mots, les mots, ils te font sentir le parfum des fleurs du souvenir. Ils te font couler des yeux les pleurs du fou rire. Ils deviennent des sourires plus doux qu'une caressé. Un torrent de tendresse, sans besoin de rien dire."