Citations de Stéphanie Castillo-Soler (106)
L'écriture n'y sera plus présentée comme un outil purement administratif mais, tout comme la parole, un exutoire permettant de libérer sa pensée faute de pouvoir libérer son corps.
Il y a quelques mois encore il goûtait le soleil sur sa peau, le bonheur de flâner sans but, recherchant la vie facile, éloignant les doutes dès qu'ils surgissaient, avide de vivre sans limites, de refaire le monde avec l'insouciance de ses vingt ans. Mais ça c'était hier, ou peut-être avant-hier, il ne sait plus... Tout se bouscule dans sa tête. Il n'arrive plus à distinguer l'irréel du réel. Si dans la vie chacun suit à la lettre un scénario déjà écrit, alors le sien a dû se trouver égaré.
Dessiner te permet en quelques sorte de rester libre. Même si tu es enfermé ici tu es libre dans ta tête, et c'est cela qu'il faudrait montrer aux gens.
Le modèle paternel lui a inculqué des valeurs matérialistes qu’il remet aujourd’hui en question. À quoi bon une grande maison, une grosse voiture, une montre de prix, si dans les cœurs il manque la chaleur ? Ceux qui désirent toujours plus et ne savent pas regarder ce qu’ils ont, peuvent-ils être vraiment heureux ?
Dans ce lieu confiné en marge de la société, on ne peut plus parler de relations sociales, tout au mieux de relations inter-personnelles, gouvernées par l’amertume, la frustration, la rancoeur.
Lui aussi a commencé à emprunter des livres à la bibliothèque, et même s’il lui paraît difficile de s’intéresser à la vie imaginaire de personnages avec qui il ne pourra jamais s’identifier, il met un point d’honneur à poursuivre sa lecture, de façon à pouvoir peut-être ensuite en discuter avec Laurent.
La prison, le temps qui s’arrête. Ou plutôt qui s’étire ; Laurent sait déjà que ça va être long, très long.
Au fil des jours, dans la cellule des tensions deviennent palpables. Après s’être rapprochés, les deux garçons se sont renfermés dans leur coquille. Tout leur manque, leurs proches, l’espace, la liberté ; la promiscuité devient oppressante.
La prison a ses propres codes, pour survivre il faut s’y conformer ou du moins faire semblant. Souvent les bagarres éclatent, souvent pour un rien, car les hommes qui se sentent diminués par leur enfermement sont prêts à saisir le moindre prétexte pour s’affirmer aux yeux de leurs camarades d’infortune. Dans ce lieu confiné en marge de la société, on ne peut plus parler de relations sociales, tout au mieux de relations inter-personnelles, gouvernées par l’amertume, la frustration, la rancœur.
La bibliothèque représente, pour de nombreux détenus comme Romain et Laurent, l'accès à des portes ouvertes sur une réalité bannie.En prison plus qu'ailleurs, la lecture est une activité nécessaire, l'unique moyen de susciter la représentation d'objets, de paysages, de personnes absentes de l'univers carcéral. Les livres sont porteurs de rêves, de messages, d'évasion. Ils permettent de chasser l'ennui, comblent le vide, procurent aux détenus un ersatz de liberté.
Si la prison renferme ses propres menaces, c’est paradoxalement un lieu de vie où l’on est protégé de bien d’autres dangers.
On pourrait croire que l’enfermement a des vertus anesthésiantes ; c’est le contraire. En prison on a le temps d’analyser, de réfléchir, de ressasser, et les sentiments, les émotions sont exacerbés.
La prison est toujours la prison, mais leur amitié partagée leur permet de voir avec d'autres yeux. La grisaille leur paraît moins grise, la lumière électrique moins crue, la puanteur moins prégnante, les surveillants moins bourrus.
Attendre, espérer, désespérer, patienter, s’impatienter, languir, se morfondre, dépérir, s’étioler, se décourager, se désoler ne sont plus des verbes d’action comme le veut la grammaire, mais ici des verbes d’état, au même titre que rester et demeurer. La conjugaison, quant à elle, se trouve simplifiée : c’est le présent d’habitude, le présent des vérités durables, à toutes les personnes.
Les portables sont confisqués à l'arrivée et rendus le jour de la sortie. Pour les plus jeunes des détenus, comme Romain et Laurent, c'est comme si on les avait amputés d'un membre.
- (...) vie est parfois comme une partie de petits chevaux ou de Monopoly : parfois on avance, et parfois on est obligé de tout recommencer à zéro, mais ça veut pas dire que la partie est terminée.
- (...) nous on a pas fait que passer par la case « prison », on y est resté un bon moment !
- C’est dingue, la prison est comme une micro-société. Dehors, ceux d’en haut ne regardent jamais ceux d’en bas. Ils vivent leur petite vie entre eux, avec leur petit confort, sans trop se soucier de ceux qui triment pour y arriver. (...) ceux du bas regardent les autres en permanence. Soit avec envie, soit avec haine. Ici, les cartes ne sont pas les mêmes, on pourrait même dire qu’elles ont été redistribuées, puisqu’à priori tout le monde se retrouve à égalité.
Laurent relit la lettre de Clémentine, laissant infuser chaque mot en lui, s’efforçant d'imaginer la jeune femme lorsqu'elle a écrit ces pages. Était-ce le soir, le matin ? Était-elle assise dans son lit ou à son bureau ? Écoutait-elle de la musique ? Et comment est-elle ? Grande ou petite ? Brune ou blonde, ou bien rousse ? Il se demande s'il est autorisé à lui réclamer une photo...
Il se sent observé, et pourtant ici non plus personne ne semble vraiment faire attention à lui, il n’est déjà plus qu’un numéro, ce numéro d’écrou, cinq chiffres et trois lettres, qu’on vient de lui attribuer au service du greffe et qu’il aura tout le temps de mémoriser. Son arrivée au centre de détention n’a pas vraiment ressemblé à ce qu’il avait vu dans les films. Ballotté à l’arrière d’un fourgon il a regardé une dernière fois défiler la nature, ces champs et ces arbres qu’il ne reverrait pas avant longtemps, puis les abords de la prison, un peu à l’écart d’un petit centre-ville, quelques personnes qui semblaient attendre quelque chose, ou quelqu’un, sur le trottoir. On l’a fait descendre du véhicule, et escorté jusqu’à l’intérieur de la prison. La lourde porte s’est refermée derrière lui. Pour quatre longues années !
Faut-il des drames pour prendre conscience de la précarité de la vie et de la liberté, faut-il des drames pour apprendre à pardonner ?