Fragment 37
[...] Le sommeil est un rêve inaccessible, impossible. Mon corps réclame un calmant qu'on appelle communément amant. Un amant-somnifère au goût d'anxiolytique, aux lèvres bleues de sérotinine.
Un élément déclencheur, une épiphanie. Une manifestation littéralement, mais de quoi au juste? Une manifestation, la découverte de son envie d'écrire et de coucher l'existence humaine sur feuilles (cette dernière formulation n'est pas de moi il me semble, mais alors de qui ?), l'envie de la transcender. je crois qu'il a réveillé ce qui dormait en moi et dont je connaissais tout de même l'existence. Je veillais cela comme une mère veille son enfant assoupi les très chauds après-midi d'été, la certitude ancrée dans le ventre de la pluie et de ses promesses à venir.
Christian est mon épiphanie.
Je ne fais pas que l’écrire, je le prononce également. Prononcer son prénom, CHRISTIAN, à chaque seconde. Le scander encore CHRIS-TI-AN et encore CHRIS-TI-AN jusqu’à ce qu’il perde sa valeur (non) et sa signification (jamais) CHRIS-TI-AN CHRIS-TI-AN CHRIS-TI-AN CHRIS-TI-AN CHRIS-TI-AN CHRIS-TI-AN CHRIS-TI-AN.
Puis j’ai cherché des mots pouvant rimer avec son prénom mais rien qui ne me satisfasse. Soudainement, comme une évidence, un trésor caché sous mon nez mais invisible : JonathAN — ChristiAN. Nous rimons. Joie hallucinée s’emparant de mon cœur et de mon corps.
Christian, écris-moi davantage. Je ne veux pas qu’on ait pitié de moi car je sais ma fatalité, je la sais et je la répéterai comme une formule usée d’avoir été trop dite : je suis de la race de ceux qu’on abandonne, qui attendent et meurent.
2020
Los Angeles
Un soleil pâle monte peu à peu dans le ciel de la côte ouest. La Californie est réveillée mais Christian est encore dans ses draps à dormir. Sa tête divinement blonde écrase un oreiller vert foncé, ses pieds bronzés dépassent du lit et pendent mollement dans le vide. Dans quelques minutes, il se réveillera du lourd sommeil chimique qui lui ferme les yeux.
Je crois qu'il a réveillé ce qui dormait en moi et dont je connaissais tout de même l'existence.