Des gouttes de rosée sur l'herbe.
Des gouttes de rosée sur des brins d'herbe, pareilles à des diamants semés en abondance de sa besace par un farfadet qui passait par là, folâtrant d'un pas ailé dans le jardin de Kweku Sai juste avant l'arrivée de celui - ci....le jardin chatoie,cille, glousse à la maniére d'écolières qui se taisent en rougissant à l'approche de leurs bien- aimés: un manguier chatoyant, un être foisonnant d'épaisses feuilles vert vif et d'œufs jaune vif.......une fontaine chatoyante désormais craquelée de fissures......
Kweku meurt pieds nus un dimanche matin avant le lever du jour, ses pantoufles tels des chiens devant la porte de la chambre.
...le monde est à la fois trop beau et plus beau qu'il n'en a conscience, il ne s'en est pas aperçu, il est passé à côté et passera peut-être davantage à côté ; il est peut-être trop tard, c'est une possibilité, le temps lui manquera; peut-être que ce qu'il a remarqué n'a au fond aucune importance, comment en aurait-ce puisque tout est voué à disparaître?
Ta mère est partie, se répète-t-elle, pelotonnée tout habillée sur le jeté qui évoque le pasé, l'époque très brève où ils habitaient une maison avec l'Homme de l'histoire, où sa famille était au complet, et elle pleure doucement pour tout ce qui est vrai, la mort de cet homme, le manque de sa mère, l'insoutenable légèreté des choses, son errance, la solitude de chacun d'eux, leur séparation, leur volatilité. Ce qu'elle n'a pu expliquer à Fola, c'est la raison de son aversion pour Noël et de son envie de disparaître à Saint-Barth cette semaine-là : afin de ne pas sentir l'éloignement, le gouffre insupportable entre ce qu'ils sont devenus et ce qu'une Famille devrait être.
Kweku meurt pieds nus un dimanche matin avant le lever du jour, ses pantoufles tels des chiens devant la porte de la chambre.Alors qu'il se tient sur le seuil entre la véranda fermée et le jardin, il envisage de retourner les chercher.Non.Ama , sa seconde épouse, dort dans cette chambre, les lèvres entrouvertes, le front un peu plissé, sa joue chaude en quête d'un coin frais sur l'oreiller, il ne veut pas la réveiller. Quand bien même il le tenterait, il n' y parviendrait pas.
Et elle avait expiré, un sourire gravé sur son visage émacié, sa main dans celle de son frère, qui avait posé la sienne sur son cou, grands yeux rieurs, qui s'écarquillaient et se vitrifiaient tandis qu'il les regardait, percevant qu'elle avit vu au-delà. S'était moquée de la mort. 'Il les reverrait plus tard en Amérique, surtout dans la salle des urgences où meurent des gosses de onze ans : les yeux calmes d'un enfant qui a vécu et est mort dans l'indigence, qui accepte et défie cette réalité. Non grâce à l'éducation, l'arme préférée de Kweku. Non avec l'aveuglement qu'il avait attribué à sa soeur, mais avec l'indifférence dont le monde avait fait preuve envers elle, lui et tous les enfants misérables. Le même dédain.) Ekua avait des yeux rieurs. En dépit de tout : tuberculose, indigence, charlatans, mort prématurée. Elle jetait sur le monde tout ce que Kweku avait vu - la déchéance de leur pauvreté, l'insignifiance de leur présence au monde ; la médiocrité désespérante d'une existence ne dépassant pas une plage qu'ils parcouraient en une demi-journée - sans s'estimer déchue, insignifiante ou méprisable pour autant.
A peine soixante seconde plus tard, la fillette revint au pas de course, tenant le poignet décharné d'un enfant qui semblait être son frère. Un sourire radieux aux lèvres, le garçon était animé d'une gaieté indomptable, une qualité que Kweku n'avait remarquée que chez les enfants vivant dans la misère à proximité de l'équateur: la faculté instinctive de se moquer du monde tel qu'il est, d'y trouver matière à rire, un enthousiasme inextinguible devant tout et rien, inexplicable étant donné la situation.
La situation les amuse.
Kweku l'avait remarqué au village, chez ses frères et sœurs, chez l'une en tout cas: sa sœur cadette, morte à onze ans d'une tuberculose curable. Plus jeune, il avait pris cela pour de la sottise, le ravissement des innocents. Une sorte d'incapacité à voir les choses. A son sens, il fallait être aveugle ou idiot pour être si souvent heureux dans ce village, dans les années cinquante. Il se trompait. Sa sœur était aussi lucide que lui, il avait fini par le comprendre la nuit de sa mort [...] il lui avait caressé le visage et répété: "Tu ne vas pas mourir. - Si", avait-elle murmué en souriant, les yeux étincelants.
Et elle avait expiré, un sourire gravé sur son visage émacié, sa main dans celle de son frère, qui avait posé la sienne sur son cou, grands yeux rieurs, qui s'écarquillaient et se vitrifiaient tandis qu'il les regardait, percevant qu'elle avait vu au-delà. S'était moquée de la mort. (Il les reverrait plus tard en Amérique, surtout dans la salle des urgences où meurent des gosses de onze ans: les yeux calmes d'un enfant qui a vécu et est mort dans l'indigence, qui accepte et défie cette réalité. Non grâce à l'éducation, l'arme préférée de Kweku. Non avec l'aveuglement qu'il avait attribué à sa sœur, mais avec l'indifférence dont le monde avait fait preuve envers elle, lui et tous les enfants misérables. Le même dédain.) Ekua avait des yeux rieurs. En dépit de tout: tuberculose, indigence, charlatans mort prématurée. Elle jetait sur le monde qui ne lui avait accordé aucune importance un regard exprimant qu'elle ne lui en accordait pas plus. Elle avait vu tout ce que Kweku avait vu - la déchéance de leur médiocrité, l'insignifiance de leur présence au monde; la médiocrité désespérante d'une existence ne dépassant pas une plage qu'ils parcouraient en une demi-journée - sans s'estimer déchue, insignifiante ou méprisable pour autant.
La qualité de cette gaieté.
Brisa le cœur de Kweku.
Le rire nerveux du professeur parvint de loin à Taiwo, qui, pour l'heure, ne s'intéressait qu'à son dessin. Elle pensait à l'attention excessive que son père prêtait à ses pieds : gommage au sel exfoliant, application d'huile essentielle de menthe et prise de vitamine E avant d'aller se coucher. L'amour des pieds. Plus tard, toutefois, elle se souviendrait du rire nerveux du professeur, de son expression crispée, de l'atmosphère de la salle de classe, des ricanements, du moindre mouvement, bruit ou image, de chaque seconde : il s'agissait d'un de ces moments qu'on ne prend jamais pour ce qu'il est.
Elle avait cessé d'être Folasadé Somayina Savage pour devenir la représentante d'une nation générique ravagée par la guerre. Sans attributs. Ni odeur de rhum. Ni posters des Beatles. Ni couverture en tissu kente jetée sur un grand lit. Ni portraits. Rien qu'une nation ravagée par la guerre, désespérante, inhumaine, aussi humide et chaude que n'importe quelle autre nation ravagée par la guerre du monde. "Je suis désolé, déclaraient-ils, branlant du chef comme on le fait à la mort d'un vieillard. C'est vraiment dommage" (pas tant que ça, plutôt dans le sens de "c'est ainsi que vont les choses ici-bas"), sans l'ombre d'une surprise dans le regard. Après tout, on n'arrêtait pas de trucider les pères aux larges épaules et aux cheveux de laine d'enfants originaires de pays chauds ravagés par la guerre, n'est-ce pas ?
Comment les choses en étaient-elles arrivées là ?
Elle ne regrettait pas Lagos, la splendeur, la vie formidable, l'impression de richesse - mais son identité livrée à l'absurdité de l'histoire, l'étroitesse et la naïveté de son ancienne individualité. Puis elle cesserait de s'intéresser aux détails, à l'idée que les attributs conféraient une forme à l'existence. Une maison ou une autre, un passeport ou un autre. Baltimore, Boston, Lagos ou Accra, vêtements élégants ou de seconde main, fleuriste ou avocate, la mort ou la vie - en fin de compte, rien n'avait beaucoup d'importance. S'il était possible de mourir sans identité, dissocié du moindre contexte, on pouvait vivre de cette façon.
Plus jeune, il avait pris cela pour de la sottise, le ravissement des innocents. Une sorte d'incapacité à voir les choses.