Les immeubles abandonnés semblaient avoir tous cette même odeur aigre. Combien y en avait-il au juste dans le centre de Tokyo ? Avec cette récession qui n’en finissait pas, on était tenté de penser que leur nombre croissait. Même dans les quartiers de shopping et de divertissement, il n’était pas nécessaire de s’aventurer bien loin pour tomber nez à nez avec des pancartes ”à louer”. Toutes ces propriétés vides lui donnaient l’impression de pénétrer dans les mysterieuses coulisses de la ville. Il se sentait investi d’un secret ignoré des passants. A savoir que Tokyo, en dépit de ses airs de métropole bruyante et clinquante, n’était rien d’autre qu’un décor de papier mâché.
Reiko pensa que dans le monde de l’entreprise, parer un indvidu de jolies couleurs était une façon de protéger la collectivité et de la valoriser. En revanche, noircir un portrait n’était généralement qu’une opinion subjective, basée sur un conflit d’intérêts personnel. La réalité, c’était que les gens étaient constituées de différentes nuances de gris, c’est à dire ambiguës.
Elle déjeunait avec Kunioku une à deux fois par mois. Ils se donnaient rendez-vous dans des endroits très différents, de la brasserie française un peu chic aux gargotes de yakitori ou de ramen, mais leur sujet de conversation était toujours le même.
Les cadavres qui sortaient de l'ordinaire.
La veille, dans un restaurant indien de bon niveau, ils avaient discuté de Naegleria fowleri, cette amibe qui se reproduisait dans les eaux stagnantes et tièdes. Elle pénétrait dans le cerveau par les voies nasales et s'y reproduisait, pour finir par dissoudre la matière grise. Le second cas identifié sur le territoire japonais concernait une victime qui avait vécu en centre-ville. Bien sûr, il y avait eu transmission par exposition à l'amibe, un type de mort accidentelle, mais Kunioku avait investigué pour savoir s'il ne s'agissait pas d'un meurtre. On avait testé les points d'eau de Tokyo, le résultat n'était pas encore connu.
Le médecin légiste ajouta de la sauce dans son bol.
Elle réagissait avec sévérité au harcelement sexuel. Dans le train, elle avait cassé en tout dix-sept doigts et deux bras de tripoteurs. Au travail, son bilan était plus modeste avec six doigts amochés, mais aucun bras cassé; en revanche, elle avait balancé son genou dans trois entrecuisses, et réussi deux impeccables balayages de jambe agrémentés d’un coup de boule.
il avait l'air aussi guilleret qu'un suspect fraîchement appréhendé.
A l'instar de l'armée, la police était basée sur la verticalité des grades. On en comptait neuf. Par ordre croissant, gardien de la paix, brigadiers, lieutnant, capitaine, commandant, commissaire adjoint, commissaire, commissaire divisionnaire, commissaire général.
Les grades permettaient d'établir le pouvoir hiérarchique et de générer une chaîne immédiate de commandement.
Le système de notation à l'intérieur de la police se basait sur les points négatifs. Réaliser des exploits était considéré comme une évidence. En revanche, en cas d'erreur, les blâmes pleuvaient. Et plus on montait en grade, plus le système devenait sévère. En conséquence, les fainéants qui ne risquaient pas de se tromper étaient mieux notés que ceux qui obtenaient des résultats extraordinaires mais avaient commis quelques bévues.
Il lui semblait qu'elle évoluait dans un monde gris et incertain. Comme le temps aujourd'hui. Le ciel était nuageux. Les allées et les venues incessantes des passants, les caractères en néons clignotants, les panneaux d'affichage, autour d'elle, tout lui paraissait délavé.
Comme je l'ai déjà mentionné, mon client a des penchants sexuels particuliers. Il a tendance à prendre plaisir en forçant les femmes qui lui résistent. La normalité ou l'anormalité de ce comportement relève du diagnostic d'un psychiatre et nous laisserons cela aux experts. Mais je pense que vous n'avez pas résisté, et que c'est pour cette raison que mon client vous a donné un coup de couteau. En fait, il aurait voulu que vous résistiez.
Avec ses yeux globuleux, ses dents en avant et ses oreilles décollées comme celles d'un singe, son visage faisait forte impression. Son fort accent de la région d'Osaka agressait les oreilles. Somme toute, un homme assez particulier.