Citations de Tristan Corbière (109)
Qu'ils se payent des républiques,
Hommes libres ! - carcan au cou -
Qu'ils peuplent leurs nids domestiques !...
- Moi je suis le maigre coucou.
- Moi, - cœur eunuque, dératé
De ce qui mouille et ce qui vibre…
Que me chante leur Liberté,
A moi ? toujours seul. Toujours libre.
Petit mort pour rire
Va vite, léger peigneur de comètes !
Les herbes au vent seront tes cheveux ;
De ton oeil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...
Les fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...
Ne fais pas le lourd : cercueils de poètes
Pour les croque-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croiront mort - Les bourgeois sont bêtes -
Va vite, léger peigneur de comètes !
Plus tard, tu colleras sur papier tes pensées,
Fleurs d’herboriste, mais, autrefois ramassées…
Quand il faisait beau temps au paradis perdu.
Assez, n’est-ce pas ? va-t’en!
Laisse
Ta bourse -dernière maîtresse -
Ton revolver - dernier ami…
Drôle de pistolet fini!
…ou reste, et bois ton fond de vie,
Sur une nappe desservie…
[Insomnie]
Insomnie, impalpable Bête !
N’as-tu d’amour que dans la tête ?
Pour venir te pâmer à voir,
Sous ton mauvais œil, l’homme mordre
Ses draps, et dans l’ennui se tordre !…
Sous ton œil de diamant noir.
Dis : pourquoi, durant la nuit blanche,
Pluvieuse comme un dimanche,
Venir nous lécher comme un chien :
Espérance ou Regret qui veille,
À notre palpitante oreille
Parler bas… et ne dire rien ?
Pourquoi, sur notre gorge aride,
Toujours pencher ta coupe vide
Et nous laisser le cou tendu,
Tantales, soiffeurs de chimère :
— Philtre amoureux ou lie amère
Fraîche rosée ou plomb fondu ! —
Insomnie, es-tu donc pas belle ?…
Eh pourquoi, lubrique pucelle,
Nous étreindre entre tes genoux ?
Pourquoi râler sur notre bouche,
Pourquoi défaire notre couche,
Et… ne pas coucher avec nous ?
Pourquoi, Belle-de-nuit impure,
Ce masque noir sur ta figure ?…
— Pour intriguer les songes d’or ?…
N’es-tu pas l’amour dans l’espace,
Souffle de Messaline lasse,
Mais pas rassasiée encor !
Insomnie, es-tu l’Hystérie…
Es-tu l’orgue de barbarie
Qui moud l’Hosannah des Élus ?…
— Ou n’es-tu pas l’éternel plectre,
Sur les nerfs des damnés-de-lettre,
Râclant leurs vers — qu’eux seuls ont lus.
Insomnie, es-tu l’âne en peine
De Buridan — ou le phalène
De l’enfer ? — Ton baiser de feu
Laisse un goût froidi de fer rouge…
Oh ! viens te poser dans mon bouge !…
Nous dormirons ensemble un peu.
A l’Etna
Etna - j’ai monté le Vésuve …
Le Vésuve a beaucoup baissé :
J’étais plus chaud que son effluve,
Plus que sa crête hérissés …
- Toi que l’on compare à la femme …
- Pourquoi ? - Pour ton âge ? Ou ton âme
De caillou cuit ? … - Ça fait rêver …
- Et tu t’en fais rire à crever ! -
- Tu ris jaune et tousses : sans doute,
Crachant un vieil amour malsain ;
La lave coule sous la croûte
De ton vieux cancer au sein.
- Couchons ensemble, Camarade !
Là - mon flanc sur ton flanc malade :
Nous sommes frères, par Vénus,
Volcan ! …
Un peu moins … un peu plus …
Armor
Paysage mauvais
PAYSAGE MAUVAIS
Sables de vieux os — Le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit…
— Palud pâle, où la lune avale
De gros vers, pour passer la nuit.
— Calme de peste, où la fièvre
Cuit… Le follet damné languit.
— Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit.
— La Lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups… — Les crapauds,
Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs coliques,
Les champignons, leurs escabeaux.
RONDEL
Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles !
Il n’est plus de nuits, il n’est plus de jours ;
Dors... en attendant venir toutes celles
Qui disaient : Jamais ! Qui disaient : Toujours !
Entends-tu leurs pas ?... Ils ne sont pas lourds :
Oh ! les pieds légers ! – l’Amour a des ailes...
Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles !
Entends-tu leurs voix ?... Les caveaux sont sourds.
Dors : Il pèse peu, ton faix d’immortelles :
Ils ne viendront pas, tes amis les ours,
Jeter leur pavé sur tes demoiselles...
Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles !
Oh ! je t’aimais comme… un lézard qui pèle
Aime le rayon qui cuit son sommeil.
"[...] Les petits morceaux blancs,
Dans la brume, semblaient un vol de goëlands."
"Donne-moi mon bout de crayon
– Mon bout de crayon, c’est ma lyre –
Et – là – je me sens un rayon."
LE POÈTE ET LA CIGALE
Un poète ayant rimé,
Imprimé
vit sa Muse dépourvue
De marraine, et presque nue:
Pas le plus petit morceau
De vers...ou de vermisseau.
Il alla crier famine
Chez une blonde voisine,
La priant de lui prêter
Son petit nom pour rimer.
C'était une rime en elle
- Oh ! je vous pairai, Marcelle,
Avant l'août, foi d'animal !
Intérêt et principal. -
La voisine est très prêteuse,
C'est son plus joli défaut:
- Quoi: c'est tout ce qu'il vous faut ?
Votre Muse est bien heureuse...
Nuit et jour, à tout venant,
Rimez mon nom... Qu'il vous plaise !
Et moi j'en serai fort aise.
Voyons: chantez maintenant.
Vous qui ronflez au coin d’une épouse endormie,
Ruminant ! savez-vous ce soupir : l’INSOMNIE ?
— Avez-vous vu la Nuit, et le Sommeil ailé,
Papillon de minuit dans la nuit envolé,
Sans un coup d’aile ami, vous laissant sur le seuil,
Seul, dans le pot-au-noir au couvercle sans œil ?
— Avez-vous navigué ?... La pensée est la houle
Ressassant le galet : ma tête... votre boule.
— Vous êtes-vous laissé voyager en ballon ?
— Non ? — bien, c’est l’insomnie. — Un grand coup de talon
Là ! — Vous voyez cligner des chandelles étranges :
Une femme, une Gloire en soleil, des archanges...
Et, la nuit s’éteignant dans le jour à demi,
Vous vous réveillez coi, sans vous être endormi.
Si ma guitare
Que je répare,
Trois fois barbare :
Kriss indien.
Cric de supplice,
Bois de justice,
Boîte à malice,
Ne fait pas bien…
Si ma voix pire
Ne peut te dire
Mon doux martyre…
– Métier de chien ! –
Si mon cigare,
Viatique et phare,
Point ne t’égare ;
– Feu de brûler…
Si ma menace,
Trombe qui passe,
Manque de grâce ;
– Muet de hurler…
Si de mon âme
La mer en flamme
N’a pas de lame ;
– Cuit de geler…
Vais m’en aller !
A une camarade
Mon amour, à moi, n’aime pas qu’on l’aime ;
Mendiant, il a peur d’être écouté…
C’est un lazzarone enfin, un bohème,
Déjeunant de jeûne et de liberté.
Vénerie.
Ô Vénus, dans ta Vénerie,
Limier et piqueur à la fois,
Valet-de-chiens et d’écurie,
J’ai vu l’Hallali, les Abois !…
Que Diane aussi me sourie !…
À cors, à cris, à pleine voix
Je fais le pied, je fais le bois ;
Car on dit que : bête varie…
- Un pied de biche : Le voici,
Cordon de sonnette sur rue ;
- Bois de cerf : de la porte aussi ;
- Et puis un pied : un pied-de-grue !…
Ô Fauve après qui j’aboyais,
- Je suis fourbu, qu’on me relaie ! -
Ô Bête ! es-tu donc une laie ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bien moins sauvage te croyais !
Nature morte.
Des coucous l’Angélus funèbre
A fait sursauter, à ténèbre,
Le coucou, pendule du vieux,
Et le chat-huant, sentinelle,
Dans sa carcasse à la chandelle
Qui flamboie à travers ses yeux.
– Écoute se taire la chouette…
– Un cri de bois : C’est la brouette
De la Mort, le long du chemin…
Et, d’un vol joyeux, la corneille
Fait le tour du toit où l’on veille
Le défunt qui s’en va demain.
Le mousse.
Mousse : il est donc marin, ton père ?…
– Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d’avec ma mère,
Il a couché dans les brisants…
Maman lui garde au cimetière
Une tombe – et rien dedans. –
C’est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants.
Deux petits. – Alors, sur la plage,
Rien n’est revenu du naufrage ?…
– Son garde-pipe et son sabot…
La mère pleure, le dimanche,
Pour repos… Moi : j’ai ma revanche
Quand je serai grand – matelot ! –
SAINT TUPETU
DE
TU-PE-TU
C’est au pays de Léon. — Est une petite chapelle à saint Tupetu. (En breton : D’un côté ou de l’autre.)
Une fois l’an, les croyants — fatalistes chrétiens — s’y rendent en pèlerinage, afin d’obtenir, par l’entremise du Saint, le dénoûment fatal de toute affaire nouée : la délivrance d’un malade tenace ou d’une vache pleine ; ou, tout au moins, quelque signe de l’avenir : tel que c’est écrit là-haut. — Puisque cela doit être, autant que cela soit de suite… d’un côté ou de l’autre — Tu-pe-tu.
L’oracle fonctionne pendant la grand’messe : l’officiant fait faire, pour chacun, un tour à la Roulette-de-chance, grand cercle en bois fixé à la voûte et manœuvré par une longue corde que Tupetu tient lui-même dans sa main de granit. La roue, garnie de clochettes, tourne en carillonnant ; son point d’arrêt présage l’arrêt du destin : — D’un côté ou de l’autre.
Et chacun s’en va comme il est venu, quitte à revenir l’an prochain… Tu-pe-tu finit fatalement par avoir son effet.
IL est, dans la vieille Armorique,
Un saint — des saints le plus pointu —
Pointu comme un clocher gothique
Et comme son nom : TUPETU.
Son petit clocheton de pierre
Semble prêt à changer de bout…
Il lui faut, pour tenir debout,
Beaucoup de foi… beaucoup de lierre…
Et, dans sa chapelle ouverte, entre
— Tête ou pieds — tout franc Breton
Pour lui tâter l’œuf dans le ventre,
L’œuf du destin : C’est oui ? — c’est non ?
— Plus fort que sainte Cunégonde
Ou Cucugnan de Quilbignon…
Petit prophète au pauvre monde,
Saint de la veine ou du guignon,
Il tient sa Roulette-de-chance
Qu’il vous fait aller pour cinq sous ;
Ça dit bien, mieux qu’une balance,
Si l’on est dessus ou dessous.
C’est la roulette sans pareille,
Et les grelots qui sont parmi
Vont, là-haut, chatouiller l’oreille
Du coquin de Sort endormi.
Sonnette de la Providence,
Et serinette du Destin ;
Carillon faux, mais argentin ;
Grelottière de l’Espérance…
Tu-pe-tu — D’un bord ou de l’autre !
Tu-pe-tu — Banco — Quitte-ou-tout !
Juge-de-paix sans patenôtre…
TUPETU, saint valet d’atout !
Tu-pe-tu — Pas de milieu !…
TUPETU, sorcier à musique,
Croupier du tourniquet mystique
Pour les macarons du Bon-Dieu !…
Médecin héroïque, il pousse
Le mourant à sauter le pas :
Soit dans la vie à la rescousse…
Soit, à pieds joints, en plein trépas :
— Tu-pe-tu ! cheval couronné !
— Tu-pe-tu ! qu’on saute ou qu’on butte !
— Tu-pe-tu ! vieillard obstiné !…
Au bout du fossé la culbute !
TUPETU, saint tout juste honnête,
Petit Janus chair et poisson !
Saint confesseur à double tête,
Saint confesseur à double fond !…
— Pile-ou-face de la vertu,
Ambigu patron des pucelles
Qui viennent t’offrir des chandelles.
Jésuite ! tu dis : — Tu-pe-tu !…
p.223-224-225-226
LA CIGALE ET LE POÈTE
LE poète ayant chanté,
Déchanté,
Vit sa Muse, presque bue,
Rouler en bas de sa nue
De carton, sur des lambeaux
De papiers et d’oripeaux.
Il alla coller sa mine
Aux carreaux de sa voisine,
Pour lui peindre ses regrets
D’avoir fait — Oh : pas exprès ! —
Son honteux monstre de livre !…
— « Mais : vous étiez donc bien ivre ?
— Ivre de vous !… Est-ce mal ?
— Écrivain public banal !
Qui pouvait si bien le dire…
Et, si bien ne pas l’écrire !
— J’y pensais, en revenant…
On n’est pas parfait, Marcelle…
— Oh ! c’est tout comme, dit-elle,
Si vous chantiez, maintenant !